L’émergence d’une conscience agricole de gauche : un pan d’histoire à connaître

dimanche 4 mai 2008.
 

Dans une société à dominante rurale, Gambetta s’efforça, à la fin du XIXème siècle, « de faire chausser aux paysans les sabots de la République » par la création d’un ministère de tutelle. Il eut également à cœur de faire du métayer un propriétaire à part entière capable de subvenir aux besoins de sa famille. Avec le soutien du très influent Groupe Saint-Germain, ardent défenseur du syndicalisme agricole de gauche.

Les progrès techniques et la Révolution industrielle ne changent rien à l’affaire. En cette seconde partie du XIXè siècle, la condition paysanne poursuit sa lente mutation. Sous la Troisième République, elle est encore celle d’une majeure partie de l’humanité, même dans les pays où le capitalisme s’est le plus développé.

En France comme ailleurs, le problème de la faim et des subsistances est d’abord celui des sociétés rurales, avant de s’étendre au monde urbain.

Sans compter qu’au fur et à mesure que la population croît, les terres ne suffisent plus à lui donner du travail. L’exode rural et l’emploi industriel sont alors les seules issues qui s’offrent à cette main-d’œuvre faiblement qualifiée.

Émancipation

Une autre difficulté survient, celle de l’appropriation de la terre qui n’appartient pas à ceux qui la travaillent. Pour mettre fin à cette dissociation entre propriété et exploitation, le socialisme préconise l’appropriation collective de la terre. D’autres écoles font campagne pour une réforme agraire qui entraînerait le morcellement des grands domaines et leur redistribution entre petits cultivateurs.

Particulièrement nombreux, les paysans regroupent des catégories dont les intérêts sont souvent contradictoires. Ils n’ont guère l’occasion de se rencontrer et ne peuvent s’assembler. Ils n’en ont pas moins des aspirations fondamentales à la liberté, à l’émancipation et à la propriété effective de la terre qu’ils cultivent. Peu à peu, la diffusion des journaux prolonge l’action de l’école. Le service militaire, qui arrache les conscrits à leurs villages plusieurs années durant, produit des conséquences certaines sur la transformation des campagnes.

Au même titre que le suffrage universel qui offre aux paysans des options nouvelles, en leur donnant progressivement conscience d’eux-mêmes et de leur force. En 1881, Gambetta, fraîchement élu à la présidence du Conseil, s’efforce de « faire chausser aux paysans les sabots de la République », par la création du ministère de l’Agriculture.

Ralliement

Il entend faire ainsi du métayer affranchi un petit propriétaire capable de subvenir aux besoins de sa famille. « Patriarcale, patrimoniale, patriotique, telles sont les caractéristiques de cette agriculture familiale républicaine, l’accumulation et la sauvegarde du patrimoine devenant dans ce projet l’objectif premier au regard de la production », résume Bertrand Hervieu, auteur de nombreux articles sur les transformations des mondes agricole et rural.

C’est dans ce cadre que naît le Groupe Saint-Germain qui désigne les syndicats agricoles de gauche, dont Gambetta avait créé les prémices, en 1880, avec la Société nationale d’encouragement à l’agriculture (SNEA), qui se réunit sur le célèbre boulevard parisien du même nom. Avec l’ambition de créer un contrepoids à la Société des agriculteurs de France (SAF), dont les idées anti-républicaines font florès. Et de soutenir les projets ministériels, en favorisant l’implantation des caisses de crédit mutuel et des coopératives qui fleurissent à cette période. Cette politique aboutit, en particulier, à la naissance du Crédit Agricole.

Le contexte s’y prête. Après les municipales de 1878 qui ont entraîné le pays dans la « révolution des mairies », les campagnes se rallient à la République. Sur les pas de Gambetta, le Groupe Saint-Germain (1) s’efforce alors de rapprocher paysans et milieux populaires urbains. Génération après génération, les voix des ruraux iront des républicains modérés aux radicaux, des radicaux aux socialistes, parfois même des socialistes aux communistes. La roue tourne.

Bruno Tranchant

(1) Le Groupe Saint-Germain vient de renaître de ses cendres, autour de Stéphane Le Foll, député européen (PSE) et membre de la commission Agriculture au sein du Parlement de Strasbourg. Ce groupe de réflexion rassemble une quinzaine d’universitaires, de chercheurs, d’experts et de professionnels figurant au rang des plus grands connaisseurs du monde rural.


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