Le capitalisme a-t-il un avenir ?

mercredi 4 juin 2008.
 

A côté du Forum de Davos qui vise principalement un écho médiatique mondial, il existe d’autres cercles plus discrets où se confrontent les analyses sur l’avenir du système émises par ses principaux acteurs : banquiers, industriels, anciens ministres des finances, lobbyistes divers... et où s’élaborent les réponses aux problèmes qui se posent.

La commission Trilatérale est l’un de ceux-là. Fondée en 1973, elle rassemble les leaders du monde capitaliste développé, ceux de ce que les économistes appellent la Triade : Etats-Unis, Europe, Japon.

Elle a tenu récemment une de ses réunions annuelles et son vice-président pour l’Europe, le banquier français HERVE DE CARMOY, a fait partager ses réflexions d’après rencontre aux lecteurs de LA TRIBUNE (Mardi 20 Mai)

En voici le texte intégral

L’Amérique dans sa tanière

Par Hervé de Carmoy

De retour des Etats-Unis, à l’occasion de la rencontre annuelle de la Commission Trilatérale, Hervé de Carmoy auteur de « L’Euramérique « (PUF 2007 nous livre son point de vue sur une Amérique en plein crise financière

A la porte des Etats-Unis, les problèmes s’accumulent : difficultés économiques et financières défis géopolitiques qui tendent à creuser le déficit intérieur et extérieur, sous-développement des infrastructures et inégalités sociales. L’Amérique entend-elle rebondir ou au contraire circonscrire son territoire d’influence ? La crise des crédits hypothécaires est révélatrice de l’état général de son économie. Elle fut le déclencheur de la crise financière actuelle. Toutefois, le point de départ se situe sans doute en amont des difficultés de l’immobilier. Il pourrait résider dans la baisse des revenus de 80 % des travailleurs américains. Depuis 2006, leur salaire ne cesse de diminuer en valeur absolue. C’est ainsi que leur feuille de paie hebdomadaire a été amputée de 3,55 dollars en avril 2008. Les augmentations de salaires des douze mois précédents ont été absorbées par les hausses du prix de l’essence et des denrées alimentaires.

Le nombre de travailleurs à mi-temps est passé de 4,9 millions à 5,2 millions en un mois. Le chômage a augmenté en un an de 326.000 personnes, sans compter tous ceux qui ont été mis au chômage partiel ou qui ont été encouragés à ne pas rechercher un emploi ; la précarité se répand et les classes moyennes commencent à être laminées, illustrant ainsi un passage à vide de l’économie américaine.

Lourdes imprudences. Cette crise, d’un ordre de grandeur de 80 à 130 milliards de dollars, n’aurait pu être qu’un incident de parcours si les institutions américaines n’avaient commis de lourdes imprudences. Par jeu et par appât du gain, elles ont transformé la gestion de capitaux en casino. Elles ont créé des montages opaques et difficiles à dénouer. Elles ont pris des risques inconsidérés. En conséquence, les pertes seront un multiple élevé des sommes annoncées à l’origine. Elles pourraient atteindre, selon des responsables avertis, un chiffre situé entre 800 et 1.200 milliards de dollars. On comprend dès lors que les autorités de tutelle américaines aient accepté un étalement dans le temps, de trois à cinq ans, de la dépréciation de ces actifs. Il ne s’agit pas d’une première dans l’histoire récente des banques centrales.

À la fin des années 1980, le pragmatisme britannique avait conduit la Banque d’Angleterre à consentir un lissage sur trois à cinq ans des pertes sur les crédits à l’Amérique latine. Cela signifie que la Banque centrale américaine continue à injecter des montants considérables dans le système bancaire. Sa dernière intervention s’élève à 150 milliards de dollars à 2 % et permet aux banques de reconstituer leur marge et leur liquidité. La Fed donne ainsi le temps au temps, faisant confiance à l’esprit d’entreprise des Américains pour retrouver le chemin de la création de richesses. L’Amérique en aura besoin. En effet, la crise financière ne se limite pas aux défaillances dans le secteur des subprimes. Elle pourrait s’étendre à une autre catégorie d’actifs, celle des crédits à la consommation octroyés parle débit des cartes de crédit. Ces concours sont utilisés par les 80 % les moins aisés de la population ; ils ont souvent été octroyés sans un discernement suffisant et représentent plusieurs milliers de milliards de dollars. L’analyse de l’ampleur et des conséquences de la crise financière aux Etats-Unis implique aussi de prendre en ligne de compte l’évolution de la parité du dollar. Il s’agit certes d’une équation à plusieurs inconnues. Mais une constatation s’impose : aux Etats-Unis, la monnaie passe après l’exercice d’un pouvoir géopolitique. En tout état de cause, il est légitime de penser que l’accroissement de son déficit externe et interne et la fragilisation de sa position relative au Moyen- Orient et en Asie seront des facteurs importants dans la persistance ou l’aggravation de la faiblesse du dollar, notamment à l’égard de l’euro et du yen. Les choix géopolitiques seront aussi lourds de conséquences.

En fait, les États-Unis ont deux rivaux qui se font la courte échelle : la Chine et l’Iran. Chacun d’eux veut éloigner les Etats-Unis de la région où ils entendent exercer leur prééminence historique. Ensemble, ils manoeuvrent à plusieurs niveaux : la Chine construit une gigantesque base pour ses sous- marins et missiles nucléaires, dans l’île de Hainan ; elle contrôlera ainsi ses routes maritimes qui lui assureront l’approvisionnement en pétrole et en matières premières. À un terme de deux ou trois ans, la Banque de Chine pourrait avoir accumulé des réserves de changes de 2.300 à 3.000 milliards de dollars, montant suffisant pour peser d’un poids certain sur la gestion du déficit extérieur américain, soit par le biais des taux, soit par celui des renouvellements. L’Iran, à échéance de deux à trois ans, pourrait avoir développé l’arme nucléaire. Le franchissement de cette étape poserait alors d’immenses problèmes géostratégiques, dont celui de la sécurité d’Israël. L’arme atomique pourrait conférer à l’Iran une position centrale au Moyen-Orient. Le pays fait déjà pression sur ses voisins pour qu’ils facturent leurs ventes de pétrole aux États-unis dans une monnaie autre que le dollar Son entrée dans le club qui possède la bombe atomique lui donnerait un ascendant régional significatif, d’autant qu’il dispose de 20 % des réserves de gaz dans le monde et de 7 % des réserves de pétrole.

Dans ce contexte, une réalité s’impose : l’accentuation d’une politique de déficit budgétaire et de la balance commerciale ainsi que le choix de la manière forte en politique étrangère pourraient se traduire le cas échéant par de graves secousses financières et monétaires à l’échelle mondiale. Il sera sans doute difficile pour l’Amérique, au cours de la prochaine décennie, d’éponger ses pertes financières actuelles, d’accroître son déficit intérieur et extérieur et de poursuivre des politiques régionales musclées au Moyen-Orient et en Asie. Certes, l’Amérique reste une immense nation démocratique, courageuse et capable d’innover et d’attirer les meilleurs talents au monde. Mais ne lui faudra- t-il pas repenser ses méthodes de gestion interne, son style, ses priorités et ses conceptions du pilotage du monde si elle entend maintenir son rang et sa puissance ? La prééminence de l’Amérique est à ce prix. Sinon, elle se condamne au repli.

(*) Banquier, vice-président européen de la Commission trilatérale.


Quelques mots sur HERVE DE CARMOY

Banquier français à la tête d’un petit établissement financier, il a été successivement directeur de la Chase Manhattan Europe, directeur général de la Midland Bank plc, président de Thomas Cook, administrateur délégué de la Société générale de Belgique, associé gérant de Rhône Group LLC, un fonds de capital-investissement, et président d’Almatis, le leader mondial de l’alumine. Ses analyses sont toujours bien accueillies dans la presse « d’affaires » : L’expansion, le Figaro, la Tribune ....


Nos commentaires

La grande sollicitude que manifeste HERVE DE CARMOY pour les travailleurs des Etats-Unis est proprement touchante et on s’étonne presque qu’il ne défile pas dans les rues de France aux côtés des manifestants qui tentent de défendre leur pouvoir d’achat ou au moins qu’il ne proteste pas dans la presse nationale contre la politique économique de SARKOZY et FILLON !

En fait la TRILATERALE s’inquiète de la mauvaise santé et de la mauvaise gestion de l’économie US parce qu’elle met en danger le système lui-même. En effet le dit système ne parvient à sortir de la crise financière actuelle née aux Etats-Unis mais que la mondialisation, voulue par ces messieurs et mise en place avec un entêtement sans faille depuis 25 ans, a prestement propagé partout, qu’en fabriquant des dollars soit sous forme de papier monnaie soit sous forme de crédits à bas taux aux banques en difficulté, c’est à dire qu’il sort d’une crise en en fabriquant une autre encore plus grave : celle de l’effondrement du dollar. Car effectivement les Etats-Unis vivent aujourd’hui au dessus de leurs moyens et ne peuvent plus se payer une politique de domination mondiale.

Mais en même temps, HDC - et la TRILATERALE avec lui - reprend à son compte les principaux impératifs immédiats de la politique de domination impérialiste : affaiblir les deux principaux rivaux stratégiques, la Chine et l’Iran.

Mettre ces deux pays sur le même plan est, du point de vue méthodologique, un peu léger car ils ne pèsent quand même pas le même poids (sauf peut-être dans les cauchemars des dirigeants étasuniens) mais ce choix exprime les deux préoccupations centrales du système capitaliste contemporain :

- arrêter la marche de la Chine vers la rivalité globale et l’équilibre avec le système trilatéral affaibli

- éliminer le régime iranien, seul opposant qui occupe exactement le centre de la région énergétique majeure qui va de l’Arabie aux rivages de la Caspienne

Les arguments qu’il utilise pour justifier ces deux politiques sont d’une grande pauvreté mais sont dans le droit fil de la propagande impérialiste telle que nous l’avons vue se développer ces derniers mois.

Pour la Chine il s’agit de l’installation d’une grande base militaire sur l’île de Hainan au Sud-Ouest du pays, installation qui a donné lieu ces dernières semaines à la publication de dossiers détaillés par le Pentagone avec photos satellites à l’appui , ce type de propagande faisant évidemment le silence sur le fait que le budget militaire chinois, même s’il est en croissance au rythme général de l’économie, est dans tous les cas inférieur au dixième du budget militaire US et de l’ordre du budget militaire français (HDC ne critique pas l’installation d’une base militaire française à ABU DHABI) .

HDC ne tombe pas non plus dans le piège de la propagande pro tibétaine qui est un jouet pour journalistes de distraction de masse , il parle, lui , d’affaires « sérieuses » : argent et armement.

Pou l’Iran il s’agit, au mépris de tout ce que peut dire faire et écrire l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, de faire sien le discours de guerre Usraélien sur l’arme nucléaire iranienne qui sera bientôt prête. HDC reprend ainsi à son compte l’argumentation des va-t-en guerre US qui, ne pouvant pas affirmer sérieusement que l’Iran possède l’arme nucléaire ou même simplement y travaille, clament qu’il finira bien par l’avoir et qu’il faut tout casser avant.

Dans le même paragraphe HDC en vient à faire douter du sérieux des banquiers qui, si on le lit attentivement, soit ne savent même pas compter soit mentent comme ils respirent : Les pertes bancaires de la crise en cours tournent entre « 80 et 130 milliards » de dollars US ou à la ligne suivante « entre 800 et 1200 milliards » de dollars US. On croit rêver : les banquiers qui se sont rencontrés au cours de la réunion de la Commission Trilatérale ne sont pas à un zéro prés dans leurs estimations des pertes bancaires.

Deux conclusions :

- ne déposez pas votre salaire chez des zozos pareils ! - attendons-nous encore à de sérieux effondrements.

Enfin HDC qui a publié fin 2007 un livre « L’Euramérique » s’inscrit pleinement dans la démarche SARKOZIENNE de partenariat transatlantique « équilibré » qui voudrait que les Etats-Unis affaiblis partagent le pouvoir avec une Union Européenne enfin devenue leur égale. Il s’agit d’une vision délirante, d’un accès de mégalomanie passagère dont l’Union européenne sera probablement guérie en Janvier 2009 quand aura pris fin la Présidence française.

Les Etats-Unis ne veulent pas partager la domination précisément parce qu’ils se savent affaiblis. Pour cela, ils sont prêts à plonger une partie de leur population dans la misère, ils sont prêts à ouvrir un troisième front guerrier avant la fin du mandat de BUSH pour que son successeur soit bien empoisonné par cet héritage, ils sont prêts à laisser plonger encore leur monnaie dans la mesure où ils appauvrissent au passage ceux qui en détiennent les principales réserves : Chine, Japon et Emirats pétroliers. Que fera la Chine des 2000 ou 3000 milliards de dollars qu’elle détient si elle ne peut plus acheter grand-chose avec sur le marché international ?

Le seul placement praticable resterait alors le rachat à vil prix des entreprises US en difficulté et la prise de contrôle progressive de l’économie étasunienne par les entreprises chinoises ! Une véritable apocalypse politique !

Climat d’incertitude à Washington

Un récent article paru dans la très sérieuse revue étasunienne FOREIGN POPLICY IN FOCUS sous le titre « Comment gouverner le monde » est venu confirmer le vague à l’âme qui s’est emparé des milieux dirigeants des Etats-Unis à l’approche du terme du mandat de BUSH.

L’auteur, MARK ENGLER, écrit :

« Ces quelques puissants sont maintenant en désaccord sur comment organiser le Pouvoir Etasunien dans l’ère post-Bush et un nombre croissant d’entre eux se désolidarisent de la politique menée par les Républicains ces dernières années. Ils ont maintenant lancé le débat sur comment gouverner le monde.

Ne prenez pas ça pour une conspiration mais comme un débat de bon sens sur les politiques qui sont dans le plus grand intérêt de ceux qui mettent en action des cohortes de lobbyistes à Washington et garnissent les coffres de campagne des candidats à la Présidence et aux Congrès.

De nombreux hommes d’affaires ont gardé de très bons souvenirs des années de libre échange de l’administration CLINTON, quand les salaires des PDG augmentaient et quand grandissait l’influence globale des entreprises multinationales. Rejetant l’unilatéralisme néo conservateur ils veulent que l’accent soit remis sur le « pouvoir américain doux » et les instruments du contrôle économique global comme la Banque Mondiale, le FMI et l’OMC les institutions multilatérales qui ont constitué ce qu’il a été convenu d’appeler le « consensus de Washington ». Ces hommes d’affaires mondialistes s’organisent pour prendre la direction de la politique économique d’une future administration démocrate. »

Le désarroi du capitalisme étasunien est donc bien réel mais il est bien tard et ce n’est pas un président démocrate qui pourra faire tourner à l’envers la roue de l’Histoire même avec des partenaires européens influents dans les instances du contrôle économique global (DSK au FMI, PASCAL LAMY à l’OMC) et les mégalomanes SARKOZIENS au pouvoir à Paris.

La mondialisation néo-libérale qui avait pour objectif réel la mondialisation du Capital de la TRIADE et au premier chef du Capital étasunien a ouvert la porte à de nouveaux acteurs qui ont tous très bien compris que le consensus de Washington était en réalité la contrainte de Washington. Ils veulent désormais s’y soustraire et s’organisent dans ce sens. Ils ne peuvent qu’être appuyés par les populations qui dans le monde entier ont souffert et continuent de souffrir du dit consensus que ce soit avec des troupes d’occupation US, Otaniennes ou Européennes, ou sans.

toutes les prophéties ne se réalisent pas...

BANQUIERS DU TROISIEME TYPE LA BANQUE DU XXI ° SIECLE

Thierry Fabre - 23/11/1995 - L’Expansion Hervé de Carmoy

Editions Odile Jacob, 250 pages, 140 francs.

Le commerce de l’argent dans les pays industrialisés a subi, depuis une dizaine d’années, de véritables séismes : hier aux Etats-Unis, où les banques ont été sauvées par les pouvoirs publics, aujourd’hui au Japon, où elles croulent sous le poids des créances immobilières pourries. De ces effondrements plus ou moins bien contrôlés émerge un nouveau modèle bancaire : la banque-dividende. Fini les institutions bureaucratiques gérées comme des administrations : la banque du XXIe siècle aura réalisé sa révolution industrielle et sera devenue une usine à dividendes. C’est la thèse d’Hervé de Carmoy, banquier au profil très international, dans un ouvrage stimulant sur la planète bancaire.

Le renouveau vient des Etats-Unis. Après les dérives de la fin des années 80, qui ont coûté la bagatelle de 300 milliards de dollars, les banques américaines ont connu une véritable révolution. Plus concentrées, avec à leur tête une nouvelle génération de managers, elles sont désormais entièrement orientées vers la satisfaction de leurs actionnaires. Leur obsession : la rentabilité. Cette mutation, les Britanniques l’ont réalisée eux aussi, et affichent des profits impressionnants. Même le Japon, dont les banques, selon l’auteur, ressemblaient à des organismes à but non lucratif, serait en train d’adopter les recettes américaines.

Dans ce big-bang mondial, la France continue de dévaler la pente du déclin. En 1982, on comptait trois banques hexagonales parmi les cinq premières mondiales. Aujourd’hui, elles sont de plus en plus hors jeu. Patron d’une banque française moyenne, la BIMP, Hervé de Carmoy a un diagnostic sans complaisance : l’essentiel des difficultés des banques françaises tient au retard pris dans la mise en place des méthodes industrielles de la banque-dividende. Il préconise le bouleversement d’un fonctionnement interne qui reste très bureaucratique, la redécouverte du client et un nécessaire mouvement de concentration - qui affecte toute la planète bancaire, à l’exception de l’Hexagone. Le petit monde de nos dirigeants de banque mesure-t-il bien l’ampleur de la lame de fond qui déferle sur la profession ?

Thierry Fabre


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