Le socialisme mène à tout... ... à condition de le trahir (L’Argent, Par Serge Halimi, Le Monde diplomatique)

mardi 13 janvier 2009.
 

... Il y a un an, en janvier 2008, l’ancien premier ministre britannique Anthony Blair a été recruté par la banque américaine JP Morgan Chase comme conseiller à temps partiel. Un temps partiel correctement rémunéré : 1 million de livres sterling par an (1,06 milliond’euros). Imagine-t-on que JP Morgan eût concédé une telle sinécure à M. Blair si, lorsqu’il résidait au 10 Downing Street, ce dernier avait pris des mesures honnies par les banques, en vue, par exemple, de prévenir un effondrement financier ? Et est-ce tout à fait un hasard si M. Gerhard Schröder devint en mars2006, moyennant 250 000 euros par an, conseiller d’une entreprise de pipe-lines, filiale de Gazprom, qu’il avait lui-même portée sur les fonts baptismaux du temps où il était chancelier d’Allemagne ? Un de ses camarades sociaux-démocrates jugea avec acidité : « Je ne peux m’empêcher de trouver un peu indigne qu’un homme d’Etat soit à ce point obsédé par l’argent. »

C’est au tour de M. George W. Bush de préparer sa prochaine carrière. On a une petite idée de ce qu’elle sera : « Je donnerai quelques discours, rien que pour remplir mes vieux coffres.Je ne sais pas combien mon père réclame — c’est de 50 000 à 75 000 [dollars par« conférence »] —, et Clinton gagne lui aussi beaucoup d’argent (1). » Au point d’ailleurs que l’ancien président démocrate devra soumettre à un comité d’éthique du département d’Etat la liste de ceux qui rétribuent ses discours. Ainsi, nul ne pourra soupçonner Mme Hillary Clinton de conduire la politique étrangère des Etats-Unis de manière à enrichir subrepticement les clients de son mari...

En juillet dernier, Le Point, un magazine dont l’hostilité à M. Nicolas Sarkozy ne constitue pas la marque de fabrique, a rendu publics un certain nombre de ses propos hauts en couleur.Le président français aurait détaillé ses projets comme suit : « Alors moi, en 2012, j’aurai 57ans, je me représente pas. Et quand je vois les milliards que gagne Clinton, moi, j’m’en mets plein les poches ! Je fais ça pendant cinq ans et ensuite je pars faire du fric comme Clinton.Cent cinquante mille euros la conférence (2) ! » Après la case « présidence », la case "conférences ».

Vendre des conseils, monnayer des discours ? On peut aussi devenir patron d’une très grande entreprise. Avoir été ministre des finances n’est pas le pire moyen d’y parvenir. Et de téter ensuite le sein de la « mamma étatique » quand celui-ci abreuve d’argent public les banques privées en faillite. Conseiller économique influent de M. Barack Obama, M. Robert Rubin le sait bien, lui qui est passé de la présidence de Goldman Sachs au ministère des finances, puis du ministère des finances à la direction de Citigroup.

Ministre français de l’économie, des finances et de l’industrie de 2005 à 2007, M. Thierry Breton se démena alors pour que la fiscalité sur les hauts revenus devienne plus « attractive ». Il en appréciera directement les avantages puisque, dorénavant président de la société de services informatiques Atos, après un an passé au service de la banque Rothschild — où il retrouva M. Schröder... —, il va recevoir selon son propre aveu « un salaire annuel fixe de 1,2 million d’euros, une part variable pouvant aller à 120 % du fixe à objectifs atteints, que j’ai souhaité en fait plafonner à 100 %. A cela s’ajoute l’attribution de deux cent trente-trois mille stock-options fin 2009, fin 2010 et fin 2011 ». M. Breton précise : « J’ai demandé à ne pas bénéficier de parachute doré en cas de cessation de mes fonctions (3). » A tous, la crise impose ses sacrifices.

Quand le pouvoir constitue tantôt l’étape nécessaire d’une carrière lucrative dans les affaires, tantôt le refuge d’hommes d’argent en quête d’un second souffle, peut-on encore espérer que les premiers responsables de la crise pendront la part qu’il leur revient dans le règlement de ses dégâts ?

(1) Jim Rutenberg, « In book, Bush peeks ahead to his legacy », The New York Times, 2 septembre 2007. (2) « Sarko off », Le Point, Paris, 3 juillet 2008. Selon un journaliste du Monde, M. Sarkozy avait annoncé trois ans plus tôt : « Je peux faire avocat, je peux gagner de l’argent. (...) D’abord je fais président, puis je fais avocat. » (Philippe Ridet, Le Président et moi, Albin Michel, Paris, 2008, p. 149.) (3) Les Echos, Paris,16 décembre 2008.


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