Le mouvement antimondisalisation libérale et la Palestine ( Tentative de définition des bases d’une solidarité, par Alain Gresh, 2003)

mardi 20 janvier 2009.
 

Pourquoi un tel texte ?

Depuis plusieurs mois, le mouvement anti mondialisation libérale en France, et plus largement en Europe et dans d’autres parties du monde (notamment aux Etats-Unis et au Brésil), s’est trouvé engagé dans la solidarité avec les Palestiniens. Celle-ci s’est exprimée, d’abord presque spontanément, à travers le voyage en Cisjordanie et à Gaza des " internationaux", pour défendre les populations civiles palestiniennes et réclamer leur protection par une force internationale ; à travers aussi les actions diverses en faveur des paysans ou des universitaires palestiniens. Il était normal qu’un mouvement qui se réclame du droit des gens à se réapproprier leur avenir se retrouve aux côtés des Palestiniens vivant sous l’occupation (lire Naomi Klein, The Guardian, Londres, 25 avril 2002).

D’autre part, la campagne menée par le gouvernement d’Ariel Sharon contre les Palestiniens s’inscrit totalement dans la " guerre sans limites " menée par le président Bush contre le "terrorisme". Il était aussi naturel que le mouvement anti mondialisation libérale, qui a condamné avec force cette politique américaine, notamment dans l’appel des mouvements sociaux de Porto-Alegre 2002,se retrouve au côté des Palestiniens.

Cette solidarité ne peut toutefois faire l’économie d’un débat politique sur ses fondements et ses objectifs politiques. Le conflit israélo-palestinien suscite trop de polémiques, de malentendus pour que l’on puisse faire l’impasse sur une telle discussion, qui concerne plus largement tous les démocrates, et sur la réponse à apporter à ces deux questions :

- sur quelles bases sommes-nous solidaires du peuple palestinien et de sa résistance ?

- Quels sont les principes d’une solution juste et durable ?

J’essaierai, ce faisant, d’expliquer pourquoi certaines prises de position ne peuvent que diviser le mouvement.

Les réponses aux deux questions sont moins simples qu’il n’y paraît. Partons d’une anecdote récente : un conseiller d’Ariel Sharon était interrogé sur CNN. A un moment, le journaliste évoque " les territoires occupés " ; le responsable israélien l’interrompt et lui dit, en substance, que la Judée et la Samarie ne sont pas des territoires occupés : ce sont des territoires qui ont été donnés aux juifs par Dieu, et cette promesse est consignée dans la Bible. Il est évident qu’une telle argumentation définit une position cohérente sur la Palestine : si on croit que la Bible contient une promesse faite par Dieu au " peuple élu ", tous les arguments sur les " droits " des Palestiniens ne peuvent tenir. Parallèlement, s’est construite une argumentation islamique présentant la Palestine comme une terre musulmane depuis le VIIème siècle de notre ère, et selon laquelle on ne peut faire aucun compromis sur une terre musulmane.

A cette thèse religieuse, se superpose souvent une argumentation nationaliste. Si " le peuple juif " existe depuis des milliers d’années, s’il a toujours aspiré à revenir à la " terre promise ", ses droits sur la Palestine sont alors incontestables. D’autre part, nous entendons certains dirigeants de l’OLP affirmer, très sérieusement, que les Palestiniens sont les descendants des Philistins, que le Christ est le premier Palestinien, etc. Ce type de raisonnement pose la " supériorité " du droit de certains sur d’autres, et repose sur une prétendue antériorité historique sur la terre. Si on accepte cette logique pour la Palestine-Israël, comment nous y opposerons-nous dans d’autres situations ?

Prenons le cas de la Yougoslavie. Les Serbes revendiquent, au nom d’arguments tout à fait cohérents, le Kosovo, berceau historique de leur peuple il y a quelques siècles ; les Croates ou les Albanais ont mille et une preuves " historiques " pour revendiquer tel ou tel territoire. Qui a raison ? Ce n’est sûrement pas à coup de recherches archéologiques que l’on peut départager les réclamations de chacun. Ce qui compte, c’est moins la référence à une histoire plus ou moins mythique, que la réalité actuelle. Certes, le Kosovo fut le berceau de la Serbie - et il faut en tenir compte -, mais il est peuplé à 90% d’Albanais. Si nous acceptons qu’une présence il y a cinq ou dix siècles, justifie une revendication nationale, alors il faut rendre Bordeaux et toute sa région aux Anglais, et la Corse aux Génois, donc à l’Italie. On ouvrirait, rien que pour l’Europe, une boîte de Pandore. Heureusement, personne, ou presque, ne le demande plus.

D’autre part, ce type de débat et d’argumentation aboutit, en fait, à privilégier une revendication plutôt qu’une autre au nom d’une vision totalement subjective. Nous entrons dans un relativisme absolu, où prédomine la conviction que " mes " droits sont intrinsèquement supérieurs à " tes " droits. Chacun se déterminerait dans ces conflits au nom de la sympathie envers l’un ou l’autre peuple censé avoir de plus grandes qualités morales que son voisin.

Comment, alors, s’y reconnaître dans des revendications contradictoires, notamment celles qui opposent, en Palestine, depuis plus d’un siècle, Arabes et juifs ? Sûrement pas en entrant dans un débat pour savoir s’il y a trois mille ans existait ou non un Etat juif, qui vivait en Palestine au début de notre ère, ou si les Philistins sont les ancêtres des Palestiniens. La seule boussole est celle du droit international, celui-là même dont le mouvement antimondialisation libérale se réclame dans les autres guerres ou conflits qui ravagent la planète. Il s’énonce dans des principes reconnus par les différents pactes internationaux (Charte des Nations unies, Déclaration universelle des droits de l’homme, quatrième convention de Genève, etc.) : droit des peuples à l’autodétermination, à la paix et à la sécurité, condamnation de l’acquisition de territoires par la force, droit humanitaire de la guerre, droits des populations vivant sous occupation, liberté de circulation, droits des réfugiés, etc. Ces principes se traduisent concrètement dans des résolutions de l’Assemblée générale et surtout du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous savons que celles-ci ne sont pas produites dans un monde parfait, qu’elles ne sont pas exemptes de " taches ", qu’elles sont toujours le résultat de rapports de force, notamment entre grandes puissances. Mais nous n’avons pas d’autre guide. Car, comme l’explique un professeur de droit à ses étudiants dans la magnifique saga du romancier Manès Sperber, " Et Le Buisson devint cendre : " J’ai appris à votre génération à découvrir dans le droit l’origine malpropre de la puissance qui l’a institué, mais je vous ai aussi montré que la puissance s’en va au diable quand elle détruit le droit qui l’a fondé. "

Que disent, en substance, les résolutions des Nations unies sur la Palestine et sur Israël ? Elles reconnaissent que, désormais, sur la terre historique de la Palestine, sont installés deux peuples, l’un palestinien, l’autre juif israélien, et que ces deux peuples ont droit chacun à leur Etat indépendant. C’est le sens de la résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947, résolution dite du partage de la Palestine, qui proposait de diviser ce territoire, alors sous mandat britannique, en deux Etats. L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) s’y est ralliée en novembre 1988, en proclamant la création de l’Etat de Palestine ; et, en signant les accords d’Oslo en 1993, le gouvernement israélien a, au moins implicitement, accepté ce principe. Il a été récemment rappelé par la résolution 1397 du Conseil de sécurité, le 13 mars 2002. Celle-ci affirme l’attachement de l’ONU " à la vision d’une région dans laquelle deux Etats, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ". Cette position reflète un très large consensus de la communauté internationale.

Nuançons néanmoins ce qui peut apparaître comme une " symétrie ". D’abord, le peuple israélien dispose déjà d’un Etat depuis plus de cinquante ans - et cela sur environ 78 % de la Palestine mandataire - alors que les Palestiniens en sont toujours privés et vivent dans l’exil forcé ou sous occupation. Cette occupation se prolonge maintenant de plus de 35 ans, malgré les innombrables résolutions votées par les Nations unies et restées lettre morte. Ce déni du droit international contribue d’ailleurs à discréditer, en particulier dans le monde arabe et musulman, tout le discours occidental sur le droit international. D’autre part, la situation actuelle est née d’une injustice originelle et récente : les Palestiniens ont été chassés de chez eux, notamment en 1948-1950, par les milices juives puis par l’armée israélienne. Cette expulsion, dénoncée depuis les années 1950 par les Palestiniens, longtemps niée ou refoulée en Israël comme en Occident, est désormais un fait établi, grâce notamment aux travaux des " nouveaux historiens " israéliens. Nous vivons à une époque et dans un ensemble, l’Europe, où l’on invoque à satiété le " devoir de mémoire ". Ne faisons pas preuve de sélectivité. L’injustice faite aux Palestiniens mérite, comme d’autres, multiples, en particulier durant la période coloniale, réparation et d’abord reconnaissance. Cette dimension morale ne peut être occultée car elle conditionne une réconciliation entre Israéliens et Palestiniens.

Il est important de dénoncer cette " fausse symétrie ", qui renvoie dos à dos Israéliens et Palestiniens, ou bien " les extrémistes des deux bords ". Cette vision est parfois nourrie de bons sentiments et d’un désir sincère d’arriver à une paix fondée sur l’existence de deux Etats vivant côte à côte. Mais elle occulte la dissymétrie entre la situation des deux peuples, ainsi que les souffrances imposées par une occupation qui perdure depuis trente-cinq ans. Plus des deux tiers des Palestiniens vivant en Cisjordanie et Gaza n’ont connu que la présence d’une armée étrangère ; tous ont été humiliés, des centaines de milliers d’entre eux ont été emprisonnés, des milliers ont été torturés. D’autres sont morts, blessés ou handicapés à vie. La reconnaissance de la différence fondamentale entre occupant et occupé est un principe de base de toute solidarité. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas prendre en compte les inquiétudes - et les souffrances - des Israéliens qui, bien que représentant la partie forte de l’affrontement, vivent aussi dans une peur permanente.

D’autant que, sur ce conflit, pèse lourdement la mémoire du génocide des juifs d’Europe. Les prises de position sont marquées au fer rouge par ce qui constitue un des crimes les plus abominables de l’histoire de l’humanité. L’anéantissement des juifs européens par le nazisme et ses alliés, l’incapacité des grandes puissances de l’époque à stopper la barbarie ont créé une culpabilité dans les opinions occidentales et une inclination en faveur de ceux qui se revendiquent les héritiers de l’histoire et de la mémoire des juifs. Ce martyre a favorisé le vote de l’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947 en faveur du partage de la Palestine, et donc de la naissance de l’Etat d’Israël. Mais ce sont les Palestiniens qui ont payé le prix d’un crime qu’ils n’avaient pas commis et dans lequel ils ne portaient aucune responsabilité.

Quelle solution pour le problème palestinien ?

Nous l’avons vu, il existe un consensus international sur la solution du conflit israélo-palestinien et israélo-arabe : la création d’un Etat palestinien sur les territoires occupés par Israël en juin 1967 (Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est), des frontières sûres et reconnues pour Israël, et enfin la paix entre Israël et ses voisins arabes. Mais dès que l’on entre dans les détails, les controverses commencent. Le mouvement antimondialisation libérale n’est évidemment pas partie prenante de ces négociations, et il ne peut entrer dans le détail des positions des uns et des autres . Il doit cependant se déterminer dans les débats en cours, à partir de deux principes :

- le respect du droit international, qui définit notamment la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est comme des territoires occupés ;

- une vision du monde et des rapports de force tels qu’ils sont, pas tels que nous les rêvons (je reviendrai sur ce point à propos des réfugiés)

Nous devons partir de l’acquis des négociations entre Palestiniens et Israéliens, qui se sont déroulées durant les mois qui ont suivi l’échec du sommet de Camp David (juillet 2000), ainsi que du plan de paix adopté par le sommet arabe de Beyrouth, en mars 2002. En ce qui concerne la paix israélo-palestinienne, ces propositions se sont concrétisées dans deux documents, les critères formulés par le président américain Clinton en décembre 2000 et le relevé des conclusions des négociations israélo-palestiniennes de Taba en janvier 2001, relevé effectué par le représentant de l’Union européenne pour le Proche-Orient, Miguel Angel Moratinos. Ces textes montrent qu’un accord est possible, un accord réaliste et acceptable par les opinions publiques israélienne et palestinienne.

On peut ici en tracer les grandes lignes sur les trois dossiers les plus difficiles, celui des frontières, celui de Jérusalem et celui des réfugiés. D’autres ont été aussi abordés, mais offrent moins de difficultés (sécurité, sur lequel les deux parties avaient énormément avancé et l’eau).

Frontières

Le document Clinton prévoyait de rendre aux Palestiniens entre 94% et 96% de la Cisjordanie (dont 1% à 3% seraient des territoires israéliens cédés en échange de territoires palestiniens) ; lors des négociations de Taba, la dernière proposition israélienne était de 94% + 3% en équivalent de territoires israéliens. Les Palestiniens, pour leur part, continuent de revendiquer l’équivalent de 100% de la Cisjordanie, acceptant cependant des échanges de territoires, pour permettre à Israël de " récupérer " une partie importante des colons. La position palestinienne doit être soutenue : ce qu’ils revendiquent ( 22% de la Palestine historique) est un minimum. En deçà c’est la viabilité politique et économique du futur Etat palestinien qui serait en cause.

Jérusalem

Les deux parties ont accepté les principes du président Clinton, les quartiers juifs de Jérusalem-Est seraient annexés par Israël, les quartiers arabes formeraient la capitale de l’Etat palestinien. Sur ce dossier aussi, ce sont les Palestiniens qui avaient fait les concessions nécessaires, puisque la légalité internationale considère l’ensemble de Jérusalem-Est comme territoire occupé. Pour les Lieux saints, question particulièrement sensible, des progrès avaient été réalisés, les Palestiniens acceptant que le quartier juif de la >Vieille ville ainsi que le mur des Lamentations soient sous souveraineté israélienne, mais exigeant la souveraineté pour eux sur l’esplanade des Mosquées. Pour les Lieux saints, d’autres solutions ont été explorées, dont une tutelle internationale.

Les réfugiés

C’est le dossier le plus complexe, le plus sensible. Notons qu’il s’agit d’abord de savoir ce que deviendront près de 4 millions d’êtres humains - et non d’un pur problème politique (encore que leur avenir conditionne ce qui se passera au Liban, en Syrie et en Jordanie). Lors des négociations de Taba, de vraies avancées ont été accomplies. Le document israélien, rédigé par Yossi Beilin, le ministre de la justice, reconnaît que " le problème des réfugiés palestiniens est central dans les relations israélo-palestiniennes. Sa solution globale et juste est essentielle pour créer une paix durable et moralement irréprochable . L’Etat d’Israël exprime solennellement sa tristesse pour la tragédie des réfugiés palestiniens, leur souffrance et leurs pertes, et sera un partenaire actif pour clore ce terrible chapitre ouvert il y a cinquante-trois ans . " Pour la première fois, Israël acceptait de reconnaître une part de responsabilité dans la naissance du problème des réfugiés : " Malgré son acceptation de la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies de novembre 1947 [qui recommande le partage de la Palestine en deux Etats, l’un juif, l’autre arabe], l’Etat d’Israël naissant a été entraîné dans la guerre et l’effusion de sang de 1948-1949, qui ont fait des victimes et provoqué des souffrances des deux côtés, y compris le déplacement et l’expropriation de la population civile palestinienne qui est devenue réfugiée "

" Un règlement juste du problème des réfugiés palestiniens, en accord avec la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies, doit conduire à la mise en oeuvre de la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies . " Rappelons que cette résolution, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 11 décembre 1948 stipule : " Il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent le retour dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé "

La délégation israélienne à Taba acceptait donc deux principes essentiels posés par les Palestiniens et refusés par Ehoud Barak lors du sommet de Camp David (juillet 2000) : reconnaissance de l’injustice faite aux Palestiniens en 1948-1950 ; la résolution 194 comme base de solution.

A partir de ces principes, des solutions concrètes ont été élaborées. Cinq possibilités seraient offertes aux réfugiés : le retour en Israël ; le retour dans des territoires israéliens cédés par Israël à la Palestine ; le retour dans l’Etat palestinien ; l’installation sur leur lieu de résidence (Jordanie, Syrie, etc.) ; le départ pour un autre pays (plusieurs Etats, dont le Canada, ont déjà fait savoir qu’ils étaient prêts à accepter d’importants contingents de Palestiniens). Tout en insistant sur le libre choix des réfugiés, les responsables palestiniens ont réitéré qu’ils ne voulaient pas mettre en cause le caractère juif de l’Etat d’Israël - caractère qu’ils ont reconnu lors de la déclaration d’indépendance de la Palestine adoptée au Conseil national de 1988. Ainsi, à Taba, la partie palestinienne a admis que la décision finale pour le retour de tout réfugié en Israël est dans les mains israéliennes. Israël a consenti au retour de 40 000 réfugiés sur cinq ans, mais les Palestiniens ont rétorqué qu’une offre inférieure à 100 000 ne permettait pas d’avancer.

De nombreux Palestiniens rejettent cette proposition et réclament un droit inconditionnel au retour des réfugiés en Israël. On peut discuter longtemps de la légalité ou non d’une telle position, de l’interprétation de la résolution 194. Mais il est évident que ni l’opinion israélienne, ni la communauté internationale telle qu’elle existe ne sont prêtes à soutenir un tel choix. Certains misent sur des changements qui auront lieu d’ici cinquante ans, voire plus. Mais on peut aussi penser que d’ici là, il ne restera plus rien de la Palestine. La solution esquissée globalement à Taba représente un compromis entre ce que dit le droit international, mais aussi la réalité des rapports de force - notamment la force de l’alliance israélo-américaine. Raisonner en dehors de cette réalité, comme le font certains éléments nationalistes arabes ou certains groupes islamistes, qui pensent que seule la destruction de l’Etat d’Israël - même si cela ne signifie pas de renvoyer les juifs " chez eux " - c’est se placer dans une vision messianique de l’histoire. D’autre part, il est important de souligner que l’injustice faite aux Palestiniens ne peut être réparée par une autre injustice faite aux Israéliens.

Un certain nombre d’intellectuels prônent la création d’un Etat unique, d’un Etat de ses citoyens ou d’un Etat binational. Cette vision veut dépasser les clivages étroitement nationalistes et identitaires. Elle soulève des débats passionnants et nécessaires auxquels chacun, dans le mouvement antimondialisation libérale, peut et doit participer. Mais elle ne représente sûrement pas un programme d’action politique. De surcroît, alors que le fossé entre les deux peuples s’est élargi ces derniers mois, la perspective de voir les juifs et les Arabes coexister au sein du même Etat paraît, dans le court et moyen terme, totalement illusoire.

Antisémitisme et solidarité avec les Palestiniens

Depuis le déclenchement de la seconde Intifada, en septembre 2000, la solidarité avec les Palestiniens s’est étendue à toutes les régions du monde, et notamment en Europe. L’ampleur de ce mouvement a suscité une série d’attaques visant à mettre un signe d’égalité entre critique du gouvernement israélien et antisémitisme, comme entre antisionisme et antisémitisme. Ce chantage est évidemment inadmissible ; il est insultant pour ceux qui se mobilisent contre la politique d’Ariel Sharon, il est insultant pour tous les pacifistes israéliens qui, dans des conditions très difficiles, mènent un combat pour la reconnaissance des droits des Palestiniens. Cet amalgame vise à interdire tout débat, à exercer un inacceptable chantage sur les journalistes et sur les médias.

Ceci étant rappelé avec force, il faut aussi dénoncer le fait que certains se drapent derrière la solidarité avec le peuple palestinien pour développer des mots d’ordre et des analyses antisémites. Nous devons les dénoncer sans concession. A la fois pour des raisons de principe - la condamnation de toute forme de racisme, qui constitue un des principes mêmes du mouvement antimondialisation - et aussi parce que les antisémites sont les meilleurs alliés de la politique de Sharon qui se sert d’eux pour " souder ", autour du gouvernement israélien, les juifs du monde et une partie de l’opinion publique occidentale.

Deux courants sont porteurs de cet antisémitisme :

- l’extrême droite européenne. Celle-ci est divisée entre ceux qui sont plus antisémites qu’anti-arabes et ceux qui sont plus anti-arabes qu’antisémites. Mais il existe des tendances d’extrême droite qui essaient de faire avancer leurs thèses - notamment la négation du génocide qui a exterminé les juifs européens durant la seconde guerre mondiale - à travers une prétendue solidarité avec les Palestiniens ;

- certains courants musulmans ou arabes. Ce qui, au départ, était un " racisme de guerre " - le même qui marquait, par exemple, Français et Allemands dans la première moitié du XXème siècle, où l’on attribuait à l’autre tous les défauts et tous les crimes - s’est transformé. Ces mouvements ont, d’un côté, développé des analyses judéophobes - fondées parfois sur une lecture orientée du Coran - et, d’un autre, entériné les analyses de l’extrême droite européenne sur le rôle " démesuré " des juifs, sur le caractère fabriqué ou " exagéré " du génocide, etc.

Depuis le déclenchement de la seconde Intifada, les attaques se sont multipliées contre les lieux de culte juifs, contre des juifs portant des signes religieux (mais aussi, cela a été moins mis en avant, contre les mosquées et contre des musulmans - ou des musulmanes - portant des signes distinctifs). Ces agressions ont suscité des réactions de peur dans les différentes communautés juives. Elles doivent évidemment être vigoureusement condamnées. Ainsi, plusieurs dizaines d’intellectuels arabes ou d’origine arabe en France ont dénoncé ces agressions, qualifiant les attaques contre les synagogues et les commerces appartenant à des juifs, à la suite de Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France, de " crimes contre les Palestiniens ". " Nos partenaires et nos partisans les plus précieux, poursuivaient les signataires, sont les Israéliens et les juifs qui &brkbar;uvrent, aux côtés >des Palestiniens, contre l’occupation, la répression, la colonisation et pour la coexistence de deux Etats souverains, palestinien et israélien. Un grand nombre d’entre eux ont une histoire familiale tragique, marquée par l’Holocauste. A nous de leur rendre hommage et de les rejoindre sur cette ligne de crête qui consiste à savoir quitter la tribu quand il s’agit de défendre des droits et des libertés universels. " (Le Monde, 10 avril 2002).

Ces attaques ne reflètent néanmoins pas un climat antisémite similaire à celui qui sévissait en Europe dans les années 1930 : aucun grand parti politique ne s’en réclame ; les juifs peuvent accéder à tous les postes de responsabilité sociale, économique ou politique ; ils n’ont jamais été aussi intégrés dans la société française - et dans les sociétés européennes - dans laquelle les préjugés antijuifs paraissent très circonscrits. En revanche, ces agressions s’inscrivent dans un mouvement plus large, en Europe, de xénophobie et de racisme, qui vise en priorité les immigrés, les Arabes et les musulmans. Les ripostes doivent donc être " globales " et ne pas concerner une seule communauté. La lutte contre le racisme et l’antisémitisme nous concerne tous, elle n’est l’apanage d’aucune communauté. Or, en avril 2002, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a refusé les propositions de la Ligue des droits de l’homme d’organiser une manifestation unitaire contre toutes les violences racistes, préférant mobiliser les juifs de France, et eux seuls, contre l’antisémitisme etŠ pour la solidarité avec le peuple d’Israël.

Les courants antisémites peuvent avancer ouvertement ou masqués. Ils peuvent tenter d’utiliser certains mots d’ordre, de faire de l’Etat d’Israël un Etat " intrinsèquement " pervers, voire diabolique. Donnons quelques exemples. Le mot d’ordre Etat d’Israël = Etat nazi est un mot d’ordre stupide et dangereux. Ce qui caractérise l’Etat nazi, par rapport à d’autres Etats dictatoriaux, c’est la mise en &brkbar;uvre de la " solution finale " de la question juive, c’est-à-dire la liquidation physique, programmée et industrielle des juifs d’Europe ; rien de tel ne peut être attribué à Israël concernant les Palestiniens. Il y a assez à dire sur la politique d’occupation et de colonisation menée par le gouvernement israélien pour ne pas s’aventurer dans des analogies absurdes qui discréditent ceux qui s’y livrent. Quitte à comparer, c’est plutôt à la politique coloniale de la France en Algérie que la stratégie israélienne en Palestine fait, par bien des aspects, penser.

La comparaison entre Israël et le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud, soulève d’autres débats. D’abord parce que la démocratie israélienne est bien plus réelle pour les juifs israéliens qu’elle ne l’était pour les Blancs d’Afrique du Sud. Ensuite et surtout, parce qu’Israël, contrairement à l’Afrique du Sud, peut vivre sans ses " colonisés ". Il n’en demeure pas moins que le régime à double vitesse instauré dans les territoires occupés - entre les colons et les Palestiniens - ressemble, comme l’a souligné B’tselem, l’organisation israélienne de défense des droits de la personne, à un régime d’apartheid et que les Palestiniens citoyens d’Israël sont traités comme des citoyens de seconde zone.

Sionisme et peuple juif

La question du sionisme est débattue avec passion, souvent de manière simpliste. Elle est complexe et ne peut se réduire à des raccourcis du type sionisme = racisme. Le sionisme est un mouvement politique né à la fin du XIXème siècle, en Europe. Il s’inscrit dans le " réveil des nationalités " qui s’affirme alors sur le continent. Il veut donner un Etat au peuple juif, en premier lieu aux juifs d’Europe de l’Est et de Russie, opprimés par des pouvoirs autoritaires. Comme tous les nationalismes, le sionisme regroupe des courants très divers, de l’extrême droite à l’extrême gauche, et fait preuve d’un certain mépris à l’égard de l’Autre. Comme les autres nationalismes, il s’est créé une histoire mythique pour justifier ses choix et ses revendications. Deux questions distinctes se sont posées depuis la naissance du mouvement jusqu’en 1948 :

- les juifs forment-ils un peuple ? aspirent-ils à " retourner " en Palestine ?

- existe-t-il une légitimité de la revendication juive sur la Palestine ? Quel rapport entre cette légitimité et la présence arabe sur cette terre ?

On peut noter que de nombreuses organisations juives ont refusé l’émigration en Palestine (notamment le Bund socialiste) et que le sionisme est resté très minoritaire parmi les juifs jusqu’à la création de l’Etat d’Israël. Chaque fois qu’ils ont pu décider librement, la majorité des juifs ont préféré émigrer aux Etats-Unis ou en Europe de l’Ouest plutôt qu’en Israël - c’est notamment le cas des juifs issus de l’ancienne Union soviétique jusqu’à ce que les portes des Etats-Unis se referment. Mais ce débat, certes intéressant, est largement dépassé. Même si l’on pense qu’il n’existe pas de " peuple juif ", même si l’on croit que l’installation des juifs en Palestine s’inscrit dans le mouvement de colonisation, désormais Israël existe et il forme une société vivante et dynamique. Il est un Etat reconnu par la communauté internationale, par les Nations unies. On peut penser que l’entreprise sioniste fut une entreprise en large partie coloniale, et donc injuste - et même non légitime - et reconnaître les " faits accomplis ". D’autres exemples dans l’histoire, des Etats-Unis, au Canada ou en Australie en témoignent. L’installation des colons dans ces territoires a souvent abouti à des expulsions, voire des génocides, mais personne ne met en cause le droit à l’existence de ces Etats (en revanche, on peut, comme cela a été obtenu en Australie et au Canada, revendiquer une reconnaissance des torts faits aux autochtones).

D’autre part, il faut reconnaître que l’immense majorité du peuple israélien se réclame du sionisme, quelle que soit la définition donnée de ce terme. La ligne de démarcation dans ce pays passe entre ceux qui acceptent un Etat palestinien indépendant et ceux qui refusent une telle éventualité. Dans les deux camps existent des sionistes. En résumé, je ne pense pas que le mouvement antimondialisation libérale doive prendre position sur ce débat sionisme-antisionisme. C’est un débat idéologique mais aussi un facteur de division, qui nuit à l’objectif essentiel : rassembler une majorité de l’opinion en faveur de la création d’un Etat palestinien indépendant, au côté de l’Etat d’Israël.

Résistance, terrorisme et lutte armée

Les attentats qui se sont multipliés depuis le déclenchement de la seconde Intifada, les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone le 11 septembre 2001, ont alimenté un débat extrêmement confus et biaisé sur le terrorisme et la violence. Il est nécessaire de le clarifier.

D’abord, et aussi étrange que cela puisse paraître, rappelons que jamais la communauté internationale ni le droit international n’ont pu définir le terme de " terrorisme ". Nous savons que c’est un concept fourre-tout, utilisé pour discréditer l’adversaire. Ainsi, le mouvement sioniste en 1945-1948, le Front de libération nationale algérien en 1954-1962 et le Congrès national africain (ANC) ont été dénoncés par leurs adversaires comme des organisations terroristes (c’est à ce titre d’ailleurs que Nelson Mandela a été emprisonné par le régime de l’apartheid).

En Palestine-Israël, la majorité des Palestiniens considèrent légitime toutes les formes d’action armée contre l’occupation - y compris les attaques contre des civils - au prétexte qu’ils luttent contre une occupation étrangère. Ils désignent, en revanche, l’action de l’armée israélienne comme terroriste. Tandis que le gouvernement israélien dénonce toutes les actions des Palestiniens, y compris celles qui visent leurs soldats, comme du terrorisme.

Le droit international reconnaît la légitimité et la légalité de la résistance, y compris armée, à l’occupation étrangère - quand il n’existe plus d’autre possibilité d’exprimer ses revendications. De ce point de vue, il ne fait aucun doute que les Palestiniens ont le droit d’utiliser la violence dans leur lutte. Ceci étant, le " droit " ne signifie pas forcément le " devoir ". Tout mouvement de libération doit réfléchir sur le coût des moyens qu’il choisit dans sa lutte, sur leur efficacité.

Nous devons aussi tirer les leçons de l’histoire. De l’Algérie au Vietnam, en passant par l’Angola, le recours au fusil était légitime contre l’oppression étrangère. Mais, trente ou quarante ans plus tard, quand on dresse le bilan de ces expériences, on constate que les sociétés ont payé très cher cette lutte armée - et d’abord par les politiques de terre brûlée menée par les puissances coloniales - , même si, je le répète, elles n’avaient sans doute pas d’autre choix à l’époque. Car la guerre de libération a partout entraîné la " militarisation du politique ", la subordination du politique au militaire. Mao disait " le parti doit commander aux fusils ", mais, dans la réalité, c’est souvent le principe inverse qui l’a emporté. Quand le Front de libération national (FLN) algérien déclenche en 1954 l’insurrection contre le colonialisme français, il élimine tous les " obstacles " à son hégémonie parmi les Algériens et liquide physiquement toute dissidence. Le débat politique est réduit à sa plus simple expression, au nom du combat armé : " Est-ce qu’un soldat discute les ordres ? Est-ce qu’un officier s’interroge sur ses supérieurs au coeur de la bataille ? " Ces comportements ont continué bien au-delà de la victoire et ils expliquent largement les difficultés qu’ont connues ces pays après les indépendances. Le sous-commandant Marcos a développé, de ce point de vue, une réflexion stimulante, sur les risques de la militarisation des mouvements de résistance, en partant de la constatation que la plupart des mouvements qui ont conquis le pouvoir par la violence exercent ensuite le pouvoir par la violence et en continuant de mépriser les droits de la personne. Quoiqu’il en soit, la légitimité de la résistance et, dans certains cas, de la violence, ne peut permettre de transgresser certaines lois universelles.

Est-ce que l’action armée contre les soldats israéliens est possible ? Et est-ce la meilleure forme de résistance à l’occupation, c’est aux Palestiniens de le dire. La résistance armée n’est évidemment pas condamnable par principe, dans la mesure où elle respecte les lois de la guerre et les Conventions de Genève. Quoi que l’on pense du Hezbollah, celui-ci a mené une résistance armée légitime au Liban sud contre les soldats israéliens qui occupaient une partie du territoire libanais. Elle n’était pas moralement critiquable : au nom de quoi pouvait-on condamner des attaques contre des soldats israéliens sur le sol libanais ? De plus, elle a été efficace, comme le prouve la décision du gouvernement israélien de se retirer du Liban.

Ceci étant posé, et même si le choix est fait de la lutte armée - et que celle-ci est légitime dans son principe -, cela ne signifie pas qu’elle peut s’affranchir du " droit de la guerre ". Le droit humanitaire est applicable par toutes les parties en conflit, même celles qui luttent pour une cause juste. Amnesty International l’a rappelé en juillet 2002 : " L’argument le plus souvent avancé par les groupes armés palestiniens pour justifier les homicides exposés dans le présent rapport est que le droit international n’impose aucune restriction quant aux méthodes que peut utiliser un mouvement engagé dans la résistance contre une puissance occupante. Contrairement à ces affirmations, aucune norme juridique internationalement reconnue n’autorise les attaques contre les civils, que ce soit lors d’une lutte contre l’occupation militaire ou dans tout autre contexte " Amnesty International qualifie même ces attaques de " crimes contre l’humanité " (rappelons que le même rapport affirme que l’action de l’armée israélienne dans les territoires occupés se caractérise par des violations du droit qui " sont des infractions graves à la quatrième Convention de Genève et, par conséquent, des crimes de guerre. Beaucoup d’entre elles, commises de manière systématique et en grand nombre dans le cadre d’une politique gouvernementale, répondent à la définition des crimes contre l’humanité donnée par le droit international ".

Au nom des idéaux que nous défendons, nous devons accepter l’idée avancée par Amnesty qu’un " principe fondamental du droit international humanitaire est que les parties au conflit doivent, en toutes circonstances, faire la distinction entre les civils et les combattants, ainsi qu’entre les biens civils et les objectifs militaires ".

Est-ce au mouvement antimondialisation libérale de " critiquer " l’action palestinienne, de " donner des leçons " à un peuple qui vit dans des conditions terribles ? Sur cette question sensible, il n’y a pas de réponse simple. Nous pouvons rappeler ce qui s’est passé au début des années 1970, quand la résistance palestinienne, encerclée et pourchassée, a multiplié les détournements d’avion et les attentats contre des cibles israéliennes à l’étranger. Durant cette période, la gauche européenne favorable à la résistance a contribué à faire comprendre, notamment au Fatah, que ces " opérations extérieures " étaient nuisibles à la cause défendue.

Les attentats contre des civils israéliens ne posent pas seulement un problème moral, mais aussi politique. Depuis son élection en février 2001, Ariel Sharon les a intégrés dans sa stratégie intérieure et extérieure. Celle-ci est fondée sur plusieurs éléments : refus des >accords d’Oslo, " la plus grande catastrophe qui soit jamais arrivée à Israël " ; élimination graduelle de l’Autorité palestinienne ; " solution intérimaire à long terme ", ce qui signifie la poursuite de l’occupation sous d’autres formes. Les attentats lui ont permis de justifier son refus d’ouvrir des négociations sérieuses avec les Palestiniens auprès de son opinion publique et même d’une partie de l’opinion internationale.

Or, dans le contexte israélo-palestinien, aucune solution politique n’est possible si le " front intérieur " israélien n’est pas brisé. Ceci est difficile, mais possible comme en témoignent les sondages : la majorité des Israéliens acceptent l’idée d’un Etat palestinien au côté de l’Etat d’Israël. Toutefois, nous devons comprendre le scepticisme des Palestiniens, de toutes tendances : après tout, ce que nous leur demandons, c’est ce qu’ils ont mis en oeuvre durant la première Intifada, avec le refus d’utiliser la violence armée. Dix ans après la fin de cette Intifada, la situation des Palestiniens n’a jamais été aussi terrible.

D’autre part, la simple condamnation " morale " des crimes commis par les deux parties ne suffit pas à définir une position sur le conflit israélo-palestinien. On ne peut simplement renvoyer dos-à-dos les deux protagonistes, sous prétexte que les deux violent le droit humanitaire. Pour deux raisons. D’abord parce que les violations commises par un Etat - un Etat qui se réclame des principes démocratiques - sont toujours plus graves que celles commises par des groupes non étatiques, d’autant que certains de ces groupes agissent à l’encontre de l’Autorité palestinienne. Ensuite pour des raisons politiques : la bataille que mènent les Palestiniens est " une guerre juste ", une résistance légitime à une occupation illégitime, alors que le gouvernement israélien développe une stratégie de maintien d’une occupation illégale. Pour prendre un exemple, durant la seconde guerre mondiale, les Alliés ont sûrement commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité - notamment à Dresde ou à Hiroshima. Pourtant la lutte contre le nazisme était une guerre juste. Et personne ne peut renvoyer les Alliés et l’Axe dos à dos. De même, durant la guerre de libération algérienne, le FLN a commis - comme l’armée française - des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité. Pourtant, sa revendication d’indépendance était tout à fait légitime. Et là aussi la symétrie n’est pas acceptable.

Un dernier mot sur cette dimension. Les souffrances des deux côtés ont creusé un fossé profond, qu’il faudra du temps pour combler. Sans doute, comme l’a proposé l’intellectuel américano-palestinien Edward Said, faudra-t-il aller vers la création d’une commission Vérité et Réconciliation, pour dresser le bilan, aussi précis que possible, des cinquante dernières années. Le mouvement antimondialisation libérale pourrait y contribuer.

La priorité absolue, pour lui, doit être de réclamer une protection internationale de la population palestinienne, protection que n’assurent pour l’instant que des missions civiles internationales. Il doit réclamer de l’Europe qu’elle s’engage dans cette voie et qu’elle utilise l’accord de coopération Union européenne-Israël comme un moyen de pression.

Néamoins, nous devons répéter que seule une solution politique peut permettre d’échapper à un mortel engrenage. C’est ce qu’ont rappelé avec courage, dès le mois de juillet 2001, des personnalités représentatives des deux camps - dont plusieurs ministres (MM. Yasser Abed Rabbo, Nabil Amr, Hisham Abdoul Razzek) et intellectuels (Mme Hanan Ashrawi, MM. Sari Nuseibeh, Salim Tamari) palestiniens, ainsi que M. Yossi Beilin, ancien ministre de la justice du gouvernement Barak, et de nombreux écrivains (dont Amos Oz, A. B. Yehoshua, David Grossman).

" Nous, Israéliens et Palestiniens, dans les plus difficiles des circonstances pour nos deux peuples, venons ensemble pour réclamer la fin du bain de sang, la fin de l’occupation, un retour urgent aux négociations et à la mise en oeuvre de la paix. (...) En dépit de tout, nous croyons toujours en l’humanité du camp adverse et dans le fait que nous avons un partenaire avec qui nous allons faire la paix. Une solution négociée au conflit entre nos peuples est possible. (...). Pour aller de l’avant, il faut accepter la légitimité internationale et l’application des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU menant à une solution fondée sur les frontières de 1967 et sur deux Etats, Israël et la Palestine, côte à côte, ayant Jérusalem pour capitale respective. Des solutions justes et durables peuvent être trouvées à tous les problèmes en suspens, sans porter atteinte à la souveraineté des Etats palestinien et israélien, souveraineté définie par leurs citoyens respectifs et comprenant les aspirations à un Etat des deux peuples, palestinien et juif. "


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