Comprendre le rôle d’une Bourse dans le fonctionnement des Marchés Financiers et, plus généralement, dans l’ensemble de l’économie.

mercredi 15 avril 2009.
 

Les entreprises cotées à la Bourse sont des Société Anonymes (SA). Les SA sont des entreprises particulières. Leurs propriétaires reçoivent en effet, en contrepartie de ce qu’ils ont « mis » dans l’entreprise (le plus souvent ils ont apporté une somme d’argent qu’ils avaient épargnée) des « Titres » que l’on appelle des actions.

La création d’actions (on parle de « l’émission » d’actions) a lieu soit lors de la création de la société, soit quand, alors que la société existe depuis plusieurs années, on procède à une « augmentation de capital » en émettant de nouvelles actions, qui seront mise en vente.

Ce qui va suivre concerne les plus grandes (en taille) des Sociétés Anonymes, celles qui ont le droit, quand elles émettent des actions nouvelles de « faire appel à l’épargne publique », c’est-à-dire de les proposer à la vente « au public » (des ménages, des banques, d’autres entreprises, des compagnies d’assurances, etc.). Ces actions nouvelles seront ainsi « mises » sur le Marché.

Ce Marché financier où sont offertes et demandées des actions neuves, c’est ce qu’on appelle le Marché Primaire. Son rôle est clair : financer les investissements des entreprises. En effet, l’argent que vont prenez sur votre compte bancaire pour acheter des actions neuves sur le Marché Primaire va directement sur le compte bancaire de l’Entreprise elle-même, qui va s’en servir pour investir, pour acheter de nouveaux équipements. C’était le but. Cela dit, le Marché Primaire, ça n’est pas la Bourse !

La Bourse c’est le Marché Secondaire. Et lui seulement ! Sur le Marché Secondaire, on achète et on vend des actions qui ont déjà été émises sur le Marché Primaire, des actions d’occasion en quelque sorte. D’où ce fait, très important : la Bourse ne finance pas les entreprises, et donc la Bourse ne finance pas l’économie considérée dans son ensemble.

La question est donc de savoir à quoi sert la Bourse, quel est son rôle dans l’économie, si ce n’est pas de procurer aux entreprises les moyens de financer leurs investissements.

On constate sans peine que la Bourse est presque toujours, dans les medias entre autres, l’objet de débats où les positions sont rarement nuancées. On a même plutôt affaire, en règle générale, à des positions extrêmes. Pour certains, la Bourse c’est Bien, toujours forcément Bien, quand pour d’autres, la Bourse c’est Mal, toujours forcément Mal.

Le journal Le Monde avait publié un article tout à fait révélateur de cet état des choses.

Deux Professeurs d’Economie y donnaient leur avis sur la Bourse. Il y avait d’un côté Pascal Salin, Professeur d’Economie à l’université Paris-Dauphine, qui expliquait que la Bourse est « l’incarnation de la Morale dans l’économie » car « la Bourse récompense le talent, le mérite et l’effort ! ». De l’autre côté, Alain Lipietz, également Professeur d’Economie à l’université, décrivait la Bourse comme le « Temple de la spéculation », car, disait-il, la Bourse favorise, suscite, par définition, des comportements dits de type « Exit » : vous êtes membre d’une équipe, d’un groupe, d’une association quelconque, et quand « vous en avez marre », vous partez (« Exit »), comme ça, sans dire un mot. Il est clair que ces comportements opportunistes se situent aux antipodes d’une forme de Loyauté, voire de Fidélité vis-àvis dun groupe ou vis-à-vis d’une entreprise. De fait, l’actionnaire qui possède une action peut à tout moment la revendre en Bourse, sans rien dire à personne. C’est son droit.

On le voit, bien qu’économistes, Salin et Lipietz faisaient de la Bourse une affaire de Morale : pour Salin, la Bourse c’est Bien ; pour Lipietz, la Bourse c’est Mal. Autant dire qu’ils pouvaient discuter à l’infini, tous les deux, pour finir pas ne pas être d’accord. Ils ne l’étaient pas dès le départ.

Cette façon d’appréhender la Bourse - son rôle, sa place dans l’économie, son mode de fonctionnement - sous l’angle des valeurs morales, est largement répandue dans les medias et les opinions publiques. Et ce n’est pas aujourd’hui, avec une actualité faite de scandales financiers en tous genres, où chaque jour il est question d’enrichissements indécents bénéficiant à très peu de personnes, rémunérations obtenues par la grâce de manipulations financières de toutes sortes, aujourd’hui où il est question de « remettre de l’éthique dans le monde financier », voire carrément de procéder à une « Remoralisation du capitalisme », ce n’est pas aujourd’hui donc que l’on dira le contraire.

Faut-il glorifier la Bourse ? Faut-il, à l’inverse, supprimer la Bourse ? La moindre des choses, si l’on veut réfléchir à ces questions, est d’avoir compris le rôle de la Bourse dans l’économie.

On l’a dit, le rôle de la Bourse, d’abord, n’est pas de financer les entreprises, puisque la Bourse c’est le marché des actions d’occasion.

(Il existe aussi sur les Marchés financiers Primaires et Secondaires des titres appelés Obligations. On n’en parlera pas dans ce billet. Ce n’est pas grave, cela ne change rien à ce qui va être dit sur le rôle fondamental d’une Bourse. En outre, ce qui sera dit sur Le rôle principal de la Bourse concernant les Actions s’applique tout aussi bien aux Obligations.)

Alors, à quoi sert la Bourse ? A plusieurs choses.

D’abord à déterminer la valeur des actions, leurs prix, ce qu’on appelle communément leur « cours ». C’est un rôle important.

Pour une entreprise cotée à la Bourse, la hausse du cours de ses actions, outre qu’elle flatte l’ego de ses actionnaires, voire de ses dirigeants, donne une image de « bonne santé économique ». Cela lui permet ainsi, par exemple, d’obtenir plus facilement des crédits bancaires.

La Bourse permet aussi à une société de racheter tout ou partie des actions d’une autre entreprise, c’est-à-dire d’acheter tout ou partie d’une autre entreprise.

C’est un bon moyen finalement, pour échapper à la concurrence, que de racheter ses concurrents.

C’est un bon moyen aussi, pour « maîtriser » ses fournisseurs ou ses distributeurs, de les racheter purement et simplement.

La Bourse est d’ailleurs, plus que jamais depuis une vingtaine d’année, le théâtre quasi quotidien de ces conquêtes industrielles et financières qui font la Une des journaux, quant ils évoquent les OPA (Offre Publique d’Achat) et autres OPE (Offre Publique d’Echange) de toutes sortes, mettant aux prises des banques, des constructeurs de voitures, ou des sociétés spécialisées dans la réalisation de programmes informatiques en tous genres.

Notez en passant qu’un cours de l’action élevé procure à une entreprise cotée en Bourse une arme redoutable, lui permettant d’aborder avec une relative « zen-attitude » ces combats dantesques.

Plus le cours de son action est élevé en effet, plus il sera difficile, pour le concurrent qui aurait envie de la racheter, de réaliser son projet, car trop cher, tous comptes faits.

De même, un cours élevé permet plus facilement de racheter un concurrent. Il suffit pour cela que l’entreprise qui achète les actions d’un concurrent les paye avec ses propres actions. (On a alors affaire à une OPE : les actionnaires de l’entreprise achetée obtiennent, en échange de leurs actions, des actions de l’entreprise acheteuse, contrairement à une « simple » OPA où les actionnaires de l’entreprise achetée vendent leurs actions contre du « cash », de la monnaie). Dans le cas d’un rachat par OPE, l’acheteur (l’entreprise qui « lance » l’OPE) dispose donc, si le cours de sa propre action est élevé, d’une sorte de « monnaie d’échange » à fort « pouvoir d’achat », qui lui rend l’opération plus facile.

Sur le rôle économique de la Bourse, on pourrait allonger la liste. On n’aurait pourtant pas encore dit l’essentiel, que voici.

Le rôle fondamental d’une Bourse, ce pourquoi les Bourses ont été créées, c’est d’abord et avant tout de permettre à toute personne qui possède une action quelconque (ou une obligation, mais ce n’est pas le sujet ici) de pouvoir, à tout moment, la revendre, c’est-à-dire de l’échanger contre de la monnaie, contre de la liquité, puisque la monnaie c’est, dans une économie, La liquidité par excellence. Liquidité par excellence, la monnaie ? Oui car avec un billet de 100 euros, ou une somme de 100 euros sur votre compte courant, vous pouvez immédiatement acheter, payer, un bien ou un service quelconque.

La Bourse est donc là pour permettre à celui qui possède des actions (que ce soit un ménage, une banque ou en entreprise), et qui pour une raison quelconque à besoin de monnaie très vite, pour faire face à une dépense, d’obtenir cette monnaie en vendant une partie de ses actions.

Le rôle majeur de la Bourse est donc un rôle de liquidité.

Cela est très simple, mais c’est essentiel. Notamment parce que cela permet de comprendre que dans une économie de marché, disons une économie capitaliste telle qu’on la connaît depuis environ 1800, la Bourse apparaît donc, ne serait-ce d’abord que techniquement, comme indispensable au fonctionnement même de l’économie.

En effet, le capitalisme repose sur la propriété privée des entreprises, les propriétaires d’une entreprise pouvant être des particuliers ou d’autres entreprises. Ce qui implique de reconnaître aux propriétaires d’une entreprise une liberté presque totale (il y a quand même quelques lois à respecter sur la propriété, la concurrence, le droit du travail, la fiscalité, etc.) dans la conduite des affaires de l’entreprise. Entre autres : la liberté de créer, à plusieurs, des Sociétés Anonymes, d’émettre des actions neuves donc, liberté aussi, au cours du temps, d’émettre de nouvelles actions neuves toujours, dont on a vu qu’elles étaient émises, proposée, offertes et achetées sur le Marché financier Primaire.

Mais qui achèterait une action neuve, s’il savait qu’il devrait alors la conserver jusqu’à ce que l’entreprise cesse son activité, disparaisse, pour retrouver, à ce moment, et à ce moment là seulement, sa mise, son capital initial ? On pourrait ainsi attendre dix, vingt, cinquante voire cent ans. Le problème, c’est qu’on ne sait pas, au départ, s’il faudra attendre dix, vingt, cinquante voire cent ans.

Mais le vrai problème, c’est qu’on ne sait pas ce qui va nous arriver, à nous-mêmes.

Personne ne sait ce que l’avenir lui réserve : le chômage, une rentrée d’argent attendue et qui ne vient pas, une dépense imprévue pour le logement ou la voiture, pour la santé ou l’éducation des enfants, voire un soudain désir de partir en croisière (Je ne crois pas qu’il ait des croisières sur la Creuse, c’est dommage car c’est très beau la Creuse). Nos sociétés n’en étant pas encore au stade ultime d’un capitalisme financier où l’on pourrait tout s’acheter en payant avec des actions, sa baguette de pain, son riz cantonais, des machines, une heure de cours de français ou de mathématiques, son médecin, etc., quand on a des actions, il faut bien, pour pouvoir payer quoi que ce soit, les transformer en monnaie, les vendre, et cela suppose l’existence d’une Bourse.

C’est pourquoi il est clair que si la Bourse n’existait pas, s’il n’y avait pas cette possibilité de vendre, à tout moment, des actions que l’on possède, personne n’en achèterait.

D’où, si pas de Bourse (pas de Marché Secondaire), pas de Marché Primaire non plus, et donc, l’impossibilité pour des entreprises qui souhaiteraient se développer, en investissant dans de nouveaux équipements, de « lever » les fonds nécessaires via l’émission d’actions (ou d’obligations) sur le Marché Financier.

La Bourse est donc indispensable dans une économie capitaliste comme la nôtre, puisqu’elle assure la liquidité du Marché Financier.

Cela dit, au-delà de ce qui apparaît désormais comme une évidence, ce rôle de liquidité de la Bourse débouche sur la compréhension de choses assez simples, toujours, mais fondamentales.

D’abord l’ambivalence des marchés financiers et de la Bourse en particulier.

Ambivalence veut dire ici la chose suivante : la Bourse apparaît à la fois comme utile à l’économie, indispensable même, mais, en même temps, la Bourse, dès qu’elle existe, pose problème en raison des phénomènes potentiellement dangereux qu’elle autorise, la spéculation par exemple, ou parce qu’il arrive que la Bourse « déraille » et que l’économie doivent faire face à une crise boursière, l’effondrement des cours des actions, en bref un krach boursier.

Mais avoir compris que le rôle premier de la Bourse est ce rôle de liquidité, c’est surtout comprendre que la nature même de la Bourse la rend paradoxale, et, en conséquence, potentiellement fébrile et fragile à la fois.

Car dire : « Grâce à la Bourse, je peux revendre mes actions quand je veux et obtenir de la liquidité », cela a du sens pour un individu qui, à un moment donné, se dit cela, tout seul, « dans son coin ».

Mais cette phrase devient complètement absurde dès lors qu’on l’imagine prononcée, au même moment, « dans leur coin », par toutes les personnes qui, à un moment donné, possèdent des actions. Car s’ils prenaient l’envie à tous les possesseurs d’actions de vendre ensemble, au même moment, toutes les actions dont ils sont les heureux propriétaires, au mieux les cours des actions s’effondrent, au pire personne ne pourra vendre ne serait-ce qu’une action pour cette simple raison qu’on ne trouvera personne pour en acheter.

L’ambivalence de la Bourse c’est surtout cela : cette situation où tous les actionnaires en quête de liquidité pensent pouvoir vendre à tout moment alors que si tous font le même raisonnement au même moment personne ne vendra rien.

C’est ce qu’on appelle le « Paradoxe de la Liquidité », belle formule qui pointe assez bien sur ce qu’est, au fond, le problème pour ainsi dire congénital de la Bourse, laquelle est, pourtant, on l’a dit, indispensable, dès lors qu’on admet au départ l’un des principes de base du capitalisme : la propriété privée des entreprises.

D’où des crises financières a répétition, qui ne sont que l’expression de ce « Paradoxe de la Liquidité », qui est au cœur de la Bourse. La crise boursière, le krach boursier, c’est d’abord l’expression d’une « crise de liquidité » : tout le monde, en même temps, veut de la liquidité. Tout le monde, en même temps, cherche à vendre ses actions en Bourse. Or cela est impossible, par définition. Le krach financier, c’est en quelque sorte le « Diable qui sort de sa boîte », le Diable étant ici, en l’occurrence, le « Paradoxe de la Liquidité », et la boîte, la Bourse.

Retenir donc que, que l’on soit à New-York, Londres, Paris, Francfort ou Tokyo, bref partout où il y a des Bourses, le rôle de ces Bourses c’est, fondamentalement, un rôle de liquidité.

Deux mots pour finir.

Rien n’empêche bien sûr d’évoquer, ensuite, concernant la Bourse, les Marchés Financiers, ou l’économie en général, des questions d’éthique, des questions de Morale. Il faut simplement faire l’effort de bien distinguer les aspects techniques d’un problème et les jugements de valeurs auxquels il donne lieu et, surtout, de voir les moments où ils se rencontrent, où ils s’entrechoquent.

Le « Paradoxe de la Liquidité » est un bon exemple de cette règle générale selon laquelle, face à une question économique quelconque, il faut se méfier de cette tendance spontanée qui consiste à n’envisager les choses que d’un point de vue individuel, lequel n’est souvent que son propre point de vue.

On oublie alors que l’on ne fait jamais rien tout seul : si j’achète un bien c’est qu’il y a un vendeur, si j’emprunte c’est qu’il y a un prêteur, et qu’on ne peut dissocier les uns des autres.

On oublie aussi, et surtout, qu’il est des fois ou une volonté, une décision, qui paraissent normales, logiques, évidentes pour un individu pris isolément, deviennent totalement absurdes dès lors que l’on se place au niveau de l’ensemble des individus, au niveau du pays, quand tous les individus, ensemble, au même moment ou presque, ont la même idée, expriment la même volonté, et souhaitent prendre la même décision. Ce qui paraît« vrai » pour un individu ne l’est pas toujours pour l’ensemble des individus considéré en tant que tel, c’est même souvent le contraire.

Enfin, tout cela ne doit pas faire oublier que normalement, derrière les actions, la Bourse et les Marchés Financiers, il y a des entreprises, c’est-à-dire du travail (des hommes), du capital (des moyens de production : usines, machines, ordinateurs, outils, etc.), et une certaine organisation des entreprises, une certaine manière de faire fonctionner ensemble, précisément, les hommes et les moyens de production mis à leur disposition.


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