Tiananmen : le brûlot posthume de Zhao Ziyang

lundi 18 mai 2009.
 

Ce sont trente heures de monologues enregistrées en secret sur de vieilles cassettes audio pour enfants alors qu’il était en résidence surveillée, au début des années 2000. Les Mémoires posthumes de Zhao Ziyang, ancien secrétaire général du Parti communiste chinois, écarté du pouvoir lors des événements de Tiananmen - survenus en mai 1989, et que le gouvernement veut faire oublier - et mort en 2005, constituent un véritable brûlot politique.

L’ouvrage, Prisoner of the State : the Secret Journal of Zhao Ziyang ("Prisonnier de l’Etat : le journal secret de Zhao Ziyang"), a été mis en vente à Hongkong, en anglais, il y a quelques jours, en avant-première de sa sortie, mardi 19 mai, dans le reste du monde (Simon & Schuster éd.). Personne ne s’attendait à cette charge, à moins d’une semaine des vingt ans du massacre de Tiananmen, le 4 juin.

" C’est très important, c’est la première fois qu’on a la version directe d’un acteur fondamental de ces événements. On n’avait jamais vu un dirigeant communiste chinois raconter de manière aussi directe ce qui s’est passé au sein du pouvoir, et parler aussi librement de ses collègues", réagit au téléphone, depuis Hongkong, Jean-Philippe Béja, chercheur au Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC) et spécialiste du mouvement démocratique chinois. L’ancien bras droit de Zhao Ziyang, Bao Tong, encore très surveillé à Pékin, a aidé à rassembler les éléments disséminés par Zhao Ziyang. Son fils Bao Pu est l’un des traducteurs de l’ouvrage à Hongkong.

Des internautes chinois ont, selon la presse hongkongaise, téléchargé des extraits sonores des paroles de l’ancien dirigeant, très peu connu des jeunes générations. Le livre écorne sérieusement le mythe de Deng Xiaoping (dirigeant de 1976 à 1997) comme architecte des réformes. Il fustige la lâcheté et l’incompétence de Li Peng et de Jiang Zemin, les partisans de la ligne dure et successeurs de Zhao Ziyang, et se termine sur un appel à l’instauration d’une démocratie parlementaire en Chine. Cela n’a pas encore suscité de réaction officielle en République populaire, où toute mention de l’ex-secrétaire général est taboue. Mais l’ouvrage renforce la lutte des acteurs, persécutés mais non moins actifs, du mouvement démocratique qui réclament une réforme du système politique.

Partisan d’un dialogue avec les étudiants dont les revendications étaient pour lui légitimes, Zhao Ziyang raconte les manoeuvres de Li Peng pour faire publier, en son absence, dans le Quotidien du peuple, le fameux éditorial du 26 avril, étiquetant comme " troubles antiparti et antisocialistes" les rassemblements pacifiques sur la place Tiananmen. Un éditorial qui radicalisera les manifestants.

Le 17 mai, invité à se rendre chez Deng Xiaoping, Zhao Ziyang, alors numéro un du parti, découvre que celui-ci a rassemblé les membres du comité permanent du bureau politique. Le patriarche décidera de l’application de la loi martiale, qui ne fait même pas l’objet d’un vote, en violation des procédures internes du parti. "Ma mission historique était, semble-t-il, terminée... Je me suis dit alors que, quoi qu’il arriverait, je ne serais pas le secrétaire général qui donnerait l’ordre à l’armée de mener l’assaut contre les étudiants", écrit M. Zhao.

Les détails des luttes entre les factions réformistes et conservatrices autour de Deng Xiaoping lors des événements de 1989 avaient en grande partie été dévoilés par les documents officiels secrets exfiltrés à l’étranger et rassemblés dans l’ouvrage Tiananmen Papers (Les Archives de Tiananmen) par un mystérieux compilateur se faisant appelé Zhang Liang, en 2001. Les Mémoires de Zhao Ziyang les confirment.

"A part le fait qu’il n’y a pas eu de vote le 17 mai - ce qui de toute façon était déjà en soi une violation des procédures -, on retrouve le déroulement des événements au sein du parti. Ce qui va plus loin, c’est de voir confirmé combien Deng Xiaoping avait très peur de tout ce qui est réforme politique, et qu’il avait une sainte horreur de la libération bourgeoise. Alors qu’avait été longtemps véhiculée la thèse selon laquelle Deng avait été trompé par Li Peng et les conservateurs, et qu’il avait agi à cause de ça...", explique M. Béja, qui a préfacé et traduit en français Les Archives de Tiananmen.

Dans le récit qu’il fait de la période de l’ouverture économique, Zhao Ziyang, qui lança les premières réformes sur le terrain au Sichuan avant d’être nommé premier ministre par Deng Xiaoping en 1980, déboulonne le mythe du "petit timonier" comme architecte des réformes économiques. Même s’il reconnaît que celles-ci n’auraient pas pu se faire sans lui, Deng Xiaoping y apparaît comme un "parrain", arbitre des différentes tendances au sein du parti, alors que c’est Zhao Ziyang qui impulse la décollectivisation et met en place les réformes-clés de conversion à l’économie de marché.

Il fustige les manigances d’officiels aujourd’hui couronnés pour leur prétendue contribution au développement économique, alors qu’ils ont tout fait pour le contrer. Expédié aux oubliettes de l’histoire officielle, l’ancien numéro un du parti fait résonner, dans le silence assourdissant qui entoure aujourd’hui la question des réformes politiques en Chine, ses réflexions sur la démocratie et l’impérieuse nécessité pour Pékin de mettre en place une "démocratie parlementaire" s’il souhaite "maintenir une économie de marché saine". Sans quoi, la Chine se retrouvera confrontée, comme les autres pays en développement, à "la commercialisation du pouvoir, à une corruption rampante, et à une polarisation de la société entre les riches et les pauvres".

Brice Pedroletti


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