Avertissement : Les lecteurs de Lutte de Classe savent qu’il existe au sein de notre organisation une tendance minoritaire qui soumet des textes différents de ceux de la majorité aux votes de nos camarades, lors de nos conférences nationales. Ces textes sont systématiquement publiés dans nos colonnes. Ces camarades ont demandé à se constituer en tendance structurée, c’est-à-dire en fraction. Ils s’expriment désormais régulièrement dans ces colonnes.
Cette tribune est rédigée indépendamment des autres articles de Lutte de Classe, et peut donc aborder, ou ne pas aborder, un sujet traité par ailleurs dans cette revue.
Il est arrivé au mouvement ouvrier d’inspiration marxiste, à la fin du 19e siècle, de conquérir des mairies de villes ouvrières. Il les considérait comme des bastions pour organiser les luttes, promouvoir les Bourses de travail. Il ne craignait pas de prendre le risque de voir ses maires révoqués par les préfectures. Mais la gestion municipale, à proprement parler, a été pour les partis ouvriers réformistes, qu’ils se disent socialistes ou communistes, l’un des facteurs d’intégration à l’appareil politique bourgeois.
A la conquête des municipalités avant 1914
Le 6 juin 1882, le premier maire socialiste de l’histoire, Christophe Thivrier, ouvrier depuis l’âge de 10 ans, se présente en blouse de travail à la mairie de Commentry (Allier). À cette époque, l’opposition de classe apparaît clairement dans la composition des listes électorales : à droite, des patrons petits et grands, et des notables. À gauche, des ouvriers et plus rarement des employés. L’affrontement oppose assez souvent le patron de l’usine de la ville au leader syndical. Comme à Carmaux, en 1892, où le syndicaliste mineur Jean-Baptiste Calvignac porte les couleurs du socialisme face à son patron le baron Reille. Son licenciement déclencha une longue grève réprimée par l’armée. La même année, les socialistes Henri Carrette et Siméon Flaissières sont également élus maires, respectivement de Roubaix et Marseille… En 1912, à la veille de la guerre, on compte 297 municipalités socialistes.
Quand Jules Guesde ne croyait pas au « socialisme municipal »
Le mouvement ouvrier est alors divisé entre deux courants principaux : le Parti ouvrier de Jules Guesde et les « possibilistes » – on dirait aujourd’hui les réformistes – menés par Paul Brousse. Les positions des guesdistes sont radicales, du moins au cours des premières années. Le pouvoir communal ne peut être qu’une base pour partir à l’assaut du pouvoir central. L’influence de la Commune de Paris est encore très forte. Leur programme préconise le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes, l’armement dans la commune de tous les citoyens, le désarmement et le licenciement des forces de police. Sur le plan économique, la commune doit se proclamer héritière de toutes les successions, maîtresse des services publics et s’engager à créer des entreprises pour donner du travail aux chômeurs.
Jules Guesde déclare qu’il ne peut pas exister de « socialisme municipal ». Même si son programme, pour les élections municipales de 1892, présente des revendications plus modestes et immédiatement réalisables : cantines scolaires, sanatoriums, dispensaires, maternités, bains publics gratuits, bureaux d’aide sociale et juridique, Bourse du travail. Pour leur soutien aux travailleurs, de nombreux maires socialistes sont révoqués ou poursuivis en justice.
Mais sur le terrain, les relations des maires socialistes avec diverses institutions bourgeoises, dont la préfecture, transforment leur vision de l’État. Même les guesdistes sont rapidement acquis aux pratiques réformistes du pouvoir municipal. Tous se consacrent à essayer d’améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière dans le cadre du système capitaliste.
À la veille de la Première Guerre mondiale, nombre de maires socialistes sont déjà devenus des notables… entraînés à la déclaration de guerre, comme la direction de leur parti par le courant patriotique.
L’Internationale communiste et les municipalités
En 1920, l’Internationale communiste avait défini la tactique des révolutionnaires face aux instances démocratiques. « Les parlements bourgeois, constituant un des principaux appareils de la machine gouvernementale de la bourgeoisie, ne peuvent pas plus être conquis par le prolétariat que l’État bourgeois en général ». L’IC précisait qu’il « en est de même des institutions municipales ou communales de la bourgeoisie, qu’il est théoriquement faux d’opposer aux organes gouvernementaux. À la vérité, elles font aussi partie du mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie : elles doivent être détruites par le prolétariat révolutionnaire et remplacées par les Soviets de députés ouvriers ».
En France, pour les élections municipales 1925, le jeune Parti communiste se présente, face au « Bloc national » des partis de droite et au « Bloc des gauches », sous l’étiquette d’un « Bloc ouvrier paysan » dont l’objectif est précisé ainsi : « Qu’il soit maître de la Mairie, en minorité ou absent du Conseil municipal, le Bloc Ouvrier Paysan fera son travail municipal. En dehors de la mairie, en marge des organismes municipaux constitutionnels, le Bloc des Municipalités Ouvrières et Paysannes fonctionnera et sera animé d’une vie propre.
« Elus ou non, c’est avec les masses prolétariennes et rurales que les communistes feront leur travail municipal. C’est avec les représentants des organisations prolétariennes, avec les groupements de locataires, de mal lotis, d’anciens combattants, avec les comités de marchés, d’usagers, de consommateurs, avec la masse des femmes, des soldats, des apprentis (privés de toute représentation politique), avec successivement toutes les catégories de travailleurs, dont les intérêts immédiats seront directement en jeu, qu’ils envisageront les modalités selon lesquelles l’action du B.O.P. (Bloc Ouvrier Paysan) sera bien l’expression directe de la volonté des masses exploitées ».
Contre la crise des loyers et du logement, il préconise « la construction en quantité suffisante de logements sains » et « la déclaration obligatoire des logements vacants et leur location directe par les offices municipaux du logement ».
Il insiste sur le fait que « La lutte pour les municipalités, surtout dans les circonstances présentes, ne peut se dérouler sur le terrain étroit des seules revendications locales ». Il avance des mesures plus générales telle celle « contre les conséquences de la crise économique – Le maintien strict de la journée de huit heures ; l’interdiction pour le patronat de licencier un seul ouvrier tant que la journée de huit heures ne sera pas intégralement appliquée, dans telle ou telle entreprise ».
Alors que le droit de vote ne sera accordé aux femmes que 20 ans plus tard, le Parti communiste réclame pour elles le droit de vote et de mettre des candidates sur ses listes. Les préfets ont beau rappeler aux mairies qu’en dépit « des informations parues dans certains journaux […] les bulletins portant des noms de femmes sont nuls », dix femmes seront néanmoins élues… révoquées quelques mois plus tard par la préfecture. Et le Parti Communiste « entend relier de la façon la plus serrée les revendications municipales aux grandes questions économiques et politiques d’ordre national et international qui les conditionnent presque entièrement ». Mussolini étant au pouvoir depuis 1922 en Italie, il fait donc par exemple figurer la lutte contre le fascisme dans son programme.
Les maires communistes de ces premières années du PC, anciens élus socialistes qui ont suivi la majorité du congrès de Tours (décembre 1920) ou nouveaux élus des élections de 1925, sont amenés à affronter l’État, par exemple en soutenant les mutins de la Mer noire qui ont refusé de combattre contre l’URSS, puis contre la guerre du RIF en 1924, quand le PC de l’époque prend de courageuses positions anti-colonialistes. Des maires et conseillers municipaux sont arrêtés. Ils mènent aussi des luttes vigoureuses sur le terrain du logement, n’hésitant pas à menacer de représailles physiques les « vautours » – surnom des propriétaires hérité de l’époque de la Commune – et s’opposent physiquement aux tentatives d’expulsion. Enfin le maire communiste est souvent en première ligne pour soutenir les grévistes des entreprises locales à qui sont attribués des salles de réunions, des cantines, des allocations, la gratuité de différents services.
Les maires communistes rétifs aux consignes
Beaucoup de maires, qui n’ont adhéré au PC que pour ne pas se couper de leurs électeurs ouvriers, rechignent à appliquer les nouvelles directives. Certains retournent à la SFIO, les plus nombreux font le dos rond. Mais dans le PC lui-même, la politique dite de « bolchevisation » décidée par Moscou, qui vise officiellement à épurer le parti, et en particulier les municipalités, de leurs éléments opportunistes, et à recentrer le travail militant autour des cellules d’entreprises et non plus des structures locales, tourne surtout à la sélection des cadres fidèles à la direction stalinienne. Les maires communistes commencent à suivre leurs prédécesseurs guesdistes sur le chemin du réformisme, surtout après les élections de 1936 et l’alliance du Front populaire.
Quand le PC est interdit en 1939 à la suite du pacte germano-soviétique, certains de ses maires renient le parti pour conserver leur fauteuil, tel le maire de Bobigny Clamamus qui garda son poste… sous Pétain. Sans parler du cas plus connu de Doriot, rival de Thorez et maire de Saint-Denis, exclu en 1934 pour avoir préconisé l’alliance avec la SFIO, puis fondateur en 1936 du Parti Populaire Français fascisant.
1945-47, à l’heure de la « reconstruction patriotique »
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le PC retrouve ses municipalités de 1936 et en gagne de nouvelles. Il dirige ainsi 1 462 communes, dont 46 en banlieue parisienne et 4 villes de plus de 100 000 habitants : Toulon, Nantes, Limoges, Reims, auxquelles s’ajoute Marseille en 1946. On trouve dans les mairies communistes une nouvelle génération de cadres du PC, issus de la Résistance. La plupart sont d’origine ouvrière. Mais le PC participe au gouvernement et soutient l’effort de « reconstruction patriotique » et ses équipes municipales peuvent à la fois afficher leur soutien à l’URSS, et appeler les travailleurs à retrousser les manches.
Le relatif isolement du temps de la guerre froide
La guerre froide et l’éviction du PC du gouvernement, en 1947, rendent plus délicate la collaboration de ses maires avec l’État. Une nouvelle élection municipale a lieu cette année-là, où le Parti socialiste privilégie les alliances avec la droite pour combattre les communistes. Même dans la petite couronne parisienne, ladite « banlieue rouge », le PC ne conserve que 27 mairies sur les 45 qu’il avait gagnées deux ans plus tôt. Les conflits sont parfois violents, les provocations multiples, comme lorsque les milices du RPF (le parti créé par De Gaulle) effectuent une descente à Ivry en 1948, obligeant les passants à crier « Vive de Gaulle, à bas Thorez » et se battent avec les ouvriers. Plusieurs maires PC sont destitués. Néanmoins, dans les bastions qu’il conserve, le PC, qui caresse toujours l’espoir de revenir au gouvernement, tient à continuer à faire preuve de ses qualités de gestionnaire.
1965-77 : l’Union de la gauche et… l’âge d’or du communisme municipal C’est grâce au retournement du PS qui cherche les alliances auxquelles la constitution gaulliste de 1958 pousse la « gauche » si elle veut revenir au pouvoir, qu’à partir de 1965, le PC qui obtient toujours environ 20 % des voix au niveau national, voit grandir son empire municipal : 25 mairies de plus de 30 000 habitants en 1959, 33 en 1965, 45 en 1971 et 72 en 1977. C’est l’apogée du « communisme municipal ».
De 1950 au début des années 1980, sur la base d’un relatif développement économique, les appareils réformistes ont eu du grain à moudre. Les maires PC peuvent se flatter de réalisations et équipements sociaux : piscines, gymnases, salle de réunions, bibliothèques, centres de vacances. Sans parler des constructions de HLM dont la distribution de logements fait la force des mairies des villes ouvrières. C’est sans doute au cours de cette période que l’emprise du PC sur la population est la plus forte. On retrouve le parti à l’usine et dans son quartier. Clubs sportifs, associations culturelles, de jeunes, de retraités, de locataires, centres aérés ou colonies de vacances complètent les services offerts par la mairie. Des services sociaux certes utiles, mais dont la gestion remplace souvent chez les militants communistes les perspectives de lutte. D’autant que ces municipalités communistes servent de vitrine à cette Union de la gauche et au rôle supposé que pourraient jouer les futurs camarades ministres. Les maires communistes y confortent leurs positions de notables, y compris au sein de l’appareil du parti, où ils pèsent d’autant plus que les mairies servent de refuges pour des permanents et militants privés d’emploi, fournissent leurs moyens matériels et humains pour la fête de l’Huma et passent leurs commandes auprès des nombreuses entreprises créées par le parti et réunies dans le groupe Gifco.
Suite aux élections municipales de 1977, le Parti communiste est à son apogée municipal, avec 72 mairies de villes de plus de 30 000 habitants, 22 de plus qu’en 1971, dont 6 villes dépassant les 100 000 habitants. Le Parti socialiste tire déjà le maximum de profit de l’alliance d’Union de la gauche, sous l’étiquette de laquelle PC et PS s’étaient présentés en commun dans la quasi-totalité de ces grandes villes, y engrangeant 81 mairies, soit 35 de plus qu’en 1971.
1981-84 : l’épreuve du pouvoir
Ça n’a pas traîné. Avec l’élection de Mitterrand en 1981, le blocage des salaires et les vagues de licenciements collectifs dans la sidérurgie, le discrédit du PCF et de ses quatre ministres a été rapide. La sanction est tombée dès l’élection municipale de 1983, et plus durement sur le PC que sur le PS. Il y a perdu vingt de ses villes de plus de 30 000 habitants, dont trois de plus de 100 000 (Nîmes, Reims, Saint-Étienne).
Pour tenter d’enrayer sa perte d’influence, son secrétaire général Georges Marchais décide la sortie des communistes du gouvernement. Bien que des maires communistes puissent paraître plus « proches du peuple » que leurs camarades ministres, ce retrait stratégique suscite parmi les premiers une levée de bouclier. Rénovateurs, refondateurs et autres fossoyeurs des restes d’indépendance du PC vis-à-vis du PS défendent leurs sièges que l’alliance avec les socialistes favorise. Le PCF ne perd pas seulement sa base : une partie de son appareil s’éloigne pour garder ses mairies.
Depuis 1983, des banlieues rouges aux banlieues roses
En banlieue parisienne, le maire d’Orly, Gaston Viens, est exclu du PC en 1989 pour avoir fait, par-dessus la tête du parti, sa nouvelle liste avec le PS. Jean Ooghes, maire de Sainte-Geneviève-des-Bois choisit de le quitter la même année. En février 1996, c’est au tour du maire d’Arcueil, Marcel Trigon, d’entrer en dissidence et de quitter le PC, après avoir été réélu grâce à lui, mais sur une liste où il s’était ménagé une majorité non-PC. Le maire de Montreuil, Jean-Pierre Brard le suit dans la même voie en mai 1996.
Au-delà de ces départs, l’effritement rapide des voix du Parti communiste donne au Parti socialiste l’occasion de le réduire aussi sur le terrain municipal. Le PS avait organisé dès 1983 des « primaires à gauche » contre le PC. Avec le recul général de la gauche, celles-ci furent un échec dont la droite avait bénéficié. Mais aux municipales suivantes, en 1989, le PS prend au PC la ville des Mureaux, et en 1995 Ris-Orangis.
Mortelle piqûre de rappel
Chat échaudé prenant goût à la douche froide, le PC n’en ré-entre pas moins au gouvernement, sous la houlette de Jospin en 1997, avec un rapport de forces encore plus défavorable qu’en 1981. L’effet boule de neige reprend : plus le PC s’intègre à l’appareil d’État, plus il s’associe aux attaques anti-ouvrières, plus il réduit sa base sociale. En 2001, si le parti affirme encore avoir 203 600 militants (la réalité est sûrement moindre) et si sa perte de voix aux municipales est, du moins dans les villes qu’il détient, moins grande que sa chute dans les scores nationaux, le verdict des municipales est sans appel : dix villes de plus de 30 000 habitants sont perdues, dont Nîmes, la dernière grande ville du PC.
Quand elle ne passe pas au rose (Pantin) ou au vert (l’Île-Saint-Denis), la banlieue rouge de Paris tourne parfois au bleu comme Colombes (77 000), Argenteuil (95 000 habitants) et Drancy (62 000), ces deux dernières ex-fiefs PC depuis 1935. Mais même lorsque le PC garde la mairie, la victoire est amère : les « places fortes » du PC sont confrontées à une abstention qui dépasse les 50 % en 2001 dans dix d’entre elles. Même les municipalités les mieux réélues sont touchées : la liste PC de Bobigny ne rassemble que 26 % des inscrits, celle conduite par le rénovateur Braouezec à Saint-Denis seulement 23 %. Les élus restent, les électeurs s’en vont…
Si le PS avait besoin du PC dans les années 1970-1980 pour revenir au pouvoir, c’est désormais le PC qui est sous perfusion du PS, avec qui il s’efforce de marchander ses reculs.
La question du logement, l’un des pièges du réformisme municipal Avec le chômage, le manque de logements accessibles aux familles populaires en difficulté croissante rend la situation inextricable du point de vue de la « bonne » gestion des offices publics de HLM dont les municipalités sont parties prenantes. Et ce particulièrement dans les communes, souvent de gauche, qui ont construit et construisent le plus de logements sociaux. Cela conduit inévitablement à des conflits entre mal-logés et municipalités, même lorsque ces dernières rechignent à recourir aux expulsions pour loyers impayés dans le parc public, et cherchent à les limiter de la part des bailleurs privés.
Parmi les exemples récents figure la municipalité communiste d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de l’Île-de-France. La ville compte plus de 40 % de logements sociaux, 7 700 étant gérés par l’OPHLM auprès duquel 3 800 demandes sont en attente. La question du squat de logements en attente de travaux ou de démolition y est devenue récurrente depuis plusieurs années. L’été dernier, la mairie en a fait évacuer certains, appartenant à l’OPHLM. Les familles à la rue en attente de relogement ont été rejointes par d’autres également menacées d’expulsion de leur squat. Mais si l’État a apporté son concours pour l’aspect répressif, il s’est bien gardé de rechercher une solution. Sans surprise d’ailleurs : en 2005 déjà, c’est la municipalité qui, à l’approche de l’hiver, avait fini par reloger provisoirement en foyer les expulsés ayant passé quatre mois dans la rue, la préfecture ne proposant rien d’acceptable dans le département avant la sortie de l’hiver !
Dans la crise de cet été, le maire PC s’est placé sur le terrain de l’ordre bourgeois, celui que se doit de faire respecter tout « bon » maire républicain : la préfecture faisant la sourde oreille aux demandes de relogement, il a contraint l’État à agir… mais d’abord contre les anciens squatteurs, par une procédure en référé pour « trouble à l’ordre public » ! Ce n’est qu’après l’échec des tentatives d’évacuation musclées du campement par la police que la préfecture a finalement conclu, notamment avec l’association Droit au logement, un accord pour reloger les dizaines de familles en situation régulière, ce que le préfet prétendait impossible quelques jours plus tôt. Les autres sont restées sur le carreau…
C’est la logique du gestionnaire. Une municipalité qui se voudrait réellement au service des travailleurs mettrait son poids, ses moyens pour dénoncer les manquements de l’État en matière de logement, mobiliser avec les sans-logis sa population ouvrière pour imposer à l’État les crédits de construction de logements. Dans l’urgence, elle exigerait la réquisition des logements vacants y compris dans les communes voisines riches.
Embellir les villes… et repousser la misère ailleurs
Depuis quelques années, la mode est à la « rénovation urbaine » et la « mixité sociale ». Si les engagements sont tenus en 2013, l’État aura consacré 12 milliards d’euros d’aides sur dix ans à la réhabilitation de 400 000 logements locatifs sociaux ainsi qu’à la démolition/reconstruction de 250 000 autres. Mais derrière l’objectif affiché de favoriser la mixité sociale, se cache, concernant des quartiers défavorisés ou à forte population immigrée, une autre réalité : faire partir autant d’habitants pauvres ou chômeurs que possible pour favoriser l’installation de catégories plus aisées. Si le fait est assumé assez cyniquement par certaines municipalités (notamment de droite, comme à Argenteuil, en banlieue parisienne, où le maire souhaite accélérer les démolitions de logements viables malgré l’avis des occupants), il s’impose aussi dans des municipalités communistes qui peuvent y voir un moyen d’augmenter la proportion de locataires plus solvables dans les offices HLM – objectif évidemment partagé par les bailleurs « sociaux » privés. La lutte pour la disparition des ghettos a parfois bon dos !
Car ce ne sont pas partout les mêmes populations qu’on reloge. À La Courneuve, en banlieue parisienne, des démolitions de barres ont eu lieu dès 1989 ; il est apparu rapidement que les reconstructions ne seraient pas accessibles à tous les anciens locataires. La même tendance se manifeste dans les attributions de logements HLM, là où il s’en construit de nouveaux : même dans des municipalités de gauche il vaut mieux, pour ne pas attendre des années un logement social, être petit cadre ou avoir la sécurité de l’emploi, que d’être travailleur précaire ou chargé de famille nombreuse avec un seul salaire !
À cela s’ajoutent les effets de l’ordonnance de février 2007 imposant une modification du statut des offices HLM, transformés en « Établissements publics à caractère économique et commercial », avec critères de rentabilité à l’appui, et l’intention du gouvernement, sous prétexte de favoriser l’accession à la propriété, d’accélérer les programmes de mise en vente d’une partie du parc de logements sociaux.
Les mairies, courroies de transmission étatiques auprès de la population Le Parti socialiste est depuis très longtemps un des partis de gouvernement de la bourgeoisie. Le Parti communiste… aussi, même s’il demeure un marginal ! Même s’il a encore (mais de moins en moins) une base militante dans les entreprises et un électorat populaire, il se considère lui-même comme un parti de gestionnaires revendiquant y compris sa part de participation au pouvoir. Ayant perdu l’essentiel de sa base militante et de l’influence qu’il avait dans la classe ouvrière par le biais de la CGT, la gestion de quelques grandes municipalités ou d’un conseil général (celui de Seine-Saint-Denis que le PS compte lui rafler aux prochaines cantonales) est devenu le mode essentiel d’existence de son appareil.
Quant aux mairies, celles des villes de plus de 20 000 ou 30 000 habitants, elles sont de gros appareils de gestion, brassant, sous contrôle étroit de l’État, des budgets qui dépassent, et de loin, les finances de ces partis (140 millions d’euros pour une seule ville de 90 000 habitants, Montreuil, alors que le budget national officiel du PC est de 32 millions ; 7 milliards d’euros pour le budget de Paris contre 48 millions pour celui du PS). Ce qui illustre le sacré poids social de ces maires et leurs liens étroits avec le monde des affaires. Une ville de 40 000 à 100 000 habitants emploie 1 500 ou 2 000 salariés, voire plus, et Paris en emploie 40 000.
Courroies de transmission de l’État auprès de la population bien plus qu’émanation d’elle, les mairies sont des parcelles de pouvoir dont les politiciens de gauche sont tout aussi friands que ceux de droite, et qui leur servent aussi de tremplin pour la conquête des postes gouvernementaux. Si bien que pour les travailleurs, les élections qui se préparent ne peuvent qu’être l’occasion d’exprimer leur exaspération face à la politique anti-ouvrière du gouvernement en même temps que leur méfiance de la gauche.
17 janvier 2008
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