Tournant politique inédit au Japon avec la première défaite aux législatives de la droite depuis 54 ans (articles L’Huma et Le Monde)

lundi 31 août 2009.
 

1) La récession, l’extension de la précarité, des inégalités ont nourri l’aspiration au changement et le raz-le-bol à l’égard du modèle du parti-État conservateur qui subit une défaite historique Article de l’Huma

Les électeurs japonais ont opté à l’occasion des élections législatives d’hier pour un tournant historique en se prononçant massivement en faveur de l’opposition après des lustres de règne quasiment sans partage du Parti libéral démocrate (PLD). Le Parti démocrate du Japon (PDJ), première formation de l’opposition, rafle la mise en obtenant entre 298 et 329 sièges sur les 480 que compte la chambre des députés, selon les estimations disponibles à l’heure où ces lignes étaient écrites. Le PLD du premier ministre sortant, Taro Aso, subit une véritable déroute ne récoltant qu’entre 84 et 131 sièges.

Le mode de scrutin (unominal à un tour teinté d’un simple « correctif » proportionnel) qui assurait jusqu’alors la suprématie du PLD s’est retourné contre lui, amplifiant la victoire de son adversaire qui arrive en tête dans l’immense majorité des circonscriptions. La bipolarisation du pays induite par la réforme électorale adoptée à la fin des années 1990 sort également renforcée de ce scrutin. Le PDJ a ainsi massivement bénéficié du « vote utile » des électeurs des autres formations de l’opposition, dont une part de ceux du Parti communiste japonais (PCJ) qui préserverait cependant l’essentiel de ses positions, selon des estimations très fragmentaires disponibles hier.

Déjà majoritaire au Sénat, le PDJ va désormais disposer d’une très large majorité parlementaire. Son président, Yukio Hatoyama, a pourtant aussitôt fait savoir : « Je souhaite former une coalition avec le Parti social-démocrate et le Nouveau parti populaire ». Ces partis situés respectivement au centre gauche et du côté de la droite nationaliste se sont alliés au PDJ, avec lequel ils constituent la majorité du Sénat. Les changements en faveur desquels ont plaidé les dirigeants du PDJ durant la campagne vont être maintenant particulièrement attendus dans un pays dont les couches les plus pauvres, jusqu’aux classes moyennes, souffrent de la dégradation très sensible de leur situation sociale et du creusement des inégalités. En particulier depuis que l’archipel subit la crise, selon une amplitude bien plus importante encore que les États-Unis ou l’Europe.

Yukio Hatoyama, qui devrait être nommé premier ministre par le nouveau Parlement d’ici à deux semaines, a promis de mener une politique « au service de la vie des gens ». Son parti s’est engagé durant la campagne sur l’augmentation des minima sociaux. Il entend ainsi porter le salaire minimum à 1 000 yens de l’heure (7,50 euros), créer un revenu minimum garanti pour les retraités (à 520 euros par mois). Partisan d’une relance bien davantage axée sur la consommation, il a promis, outre l’amélioration du pouvoir d’achat des plus démunis, la quasi-gratuité de l’enseignement secondaire public et la suppression des péages sur les autoroutes.

Le PDJ va cependant hériter d’une situation très difficile et il pourrait être rapidement confronté à un certain nombre de contradictions internes. Le nouveau parti majoritaire a chiffré à 16 800 milliards de yens (125 milliards d’euros) le coût annuel de son programme à partir de 2012. Il compte le financer en faisant la chasse aux dépenses budgétaires « excessives ». La démarche sera sans aucun doute bénéfique quand il s’agira de mettre un terme à la politique clientéliste du parti conservateur ; laquelle avait débouché sur le lancement de gros ouvrages d’art ou d’aménagements somptueux parfois totalement superflus. Mais cette « chasse aux gaspis » pourrait s’avérer très contre-productive quand il est envisagé de s’engager dans des « cures »d’austérité en réduisant notamment les salaires des fonctionnaires.

Le parti à l’orientation « centriste » revendiquée et dont les membres sont d’ailleurs issus à part quasi égale de l’ex-parti socialiste et de dissidents de la droite conservatrice, pourrait ainsi rester prisonnier d’un certain conformisme libéral. Ce qui pourrait l’amener in fine à rester en deçà de la formidable aspiration au changement qui s’est manifestée hier dans les urnes.

Bruno Odent

2) Au Japon, les législatives augurent d’un virage politique historique

Article Le Monde

MESMER Philippe, PONS Philippe

Avec en toile de fond un malaise économique aux conséquences sociales douloureuses, le Japon s’apprête, lors des élections législatives du dimanche 30 août, à mettre fin au règne, pratiquement ininterrompu depuis plus d’un demi-siècle, du Parti libéral démocrate (PLD) pour confier le pouvoir à la principale formation d’opposition, le Parti démocrate du Japon (PDJ). A en croire les derniers sondages, les électeurs pourraient inverser la composition de la Chambre basse sortante, et accorder au PDJ plus de 300 sièges sur 480, et ramener le nombre des députés du PLD à une centaine.

Rarement une élection aura autant passionné les Japonais : le taux de participation pourrait atteindre 90 %, avance la chaîne de télévision nationale NHK. Une ruée vers les urnes qui témoigne d’une prise de conscience de l’enjeu du scrutin : un tournant dans l’histoire politique de l’Archipel. Le Japon est en mal de changement : « Les Etats-Unis ont osé en élisant M. Obama. Pourquoi pas nous ? », dit un militant démocrate distribuant des tracts devant la gare de Shibuya, le quartier de la jeunesse tokyoïte.

Si le raz-de-marée démocrate se produit, il donnera à ce parti formé de transfuges du PLD, d’anciens sociaux-démocrates et d’activistes des mouvements de citoyens, les moyens de sa politique. Cette victoire sonnera surtout comme un rejet sans détour du PLD. Celui-ci avait temporairement perdu le pouvoir entre 1993-1994 en raison d’une défection dans ses rangs. Cette fois, ce sont les électeurs qui lui feront mordre la poussière.

VOLONTÉ DE CHANGEMENT

La campagne qui s’achève n’a pas donné lieu à la fièvre des législatives de 2005, caractérisée par ce que la presse avait nommé le « théâtre Koizumi » (du nom du premier ministre des années 2001-2006). Elle a été plus concentrée sur les préoccupations de la population : un appauvrissement relatif de beaucoup, sans que des filets sociaux soient en place.

Les électeurs sont certes sceptiques sur la capacité des démocrates à répondre aux attentes des jeunes précaires, des personnes âgées dont le poids s’accroît dans une société vieillissante, ou des jeunes couples vivant d’allocations familiales, mais la volonté de changement est dans l’air.

« Le changement pour le changement est irresponsable », fait valoir, amer, un vétéran du PLD, Fumio Kyuma, ancien ministre de la défense qui, à Nagasaki, risque d’être battu par une novice en politique, Eriko Fukuda (28 ans). Comme M. Kyuma, d’autres « poids lourds » du PLD risquent de perdre leur siège, notamment dans les campagnes, autrefois bastion du PLD, où sévit une rébellion des agriculteurs, « abandonnés » par les cabinets Koizumi. Par une « stratégie de l’amont », le PDJ s’est imposé dans les campagnes au détriment du PLD battu aux sénatoriales de 2007.

Bien que des doutes pèsent sur la capacité des démocrates à financer leur programme, beaucoup d’électeurs paraissent surtout las du mode de gouverner incarné par le PLD : davantage qu’un parti, dont finalement le programme diffère peu de celui des démocrates, c’est une pratique du pouvoir qu’ils rejettent.

Réveil soudain d’un électorat présenté à l’étranger comme apathique et frileux ? Pragmatisme, plutôt. Pendant des décennies, les Japonais ont voté pour les libéraux du PLD, parce que celui-ci incarnait le réalisme, et que chacun à son niveau constatait une amélioration de son niveau de vie. Ce consensus a été entamé par l’éclatement de la bulle financière du début des années 1990, mais le PLD est resté au pouvoir, faute de remplaçant.

Ce que l’on a appelé le « système de 55 » (1955 est la date la création du PLD) permit de mettre en place une puissante machine de pouvoir. Avec, en arrière-plan, la guerre froide dans laquelle le Japon était la « tête de pont » en Asie de la politique anticommuniste américaine, le PLD fit de l’Archipel, en deux décennies, la troisième économie mondiale.

Le système reposait sur la collusion du PLD, des milieux d’affaires et de la bureaucratie. Fusion des partis libéral et démocrate, le PLD était constitué de courants, allant du centre gauche à la droite. Et pendant ces décennies, sa « démocratie interne » lui a permis de répondre aux attentes de la population par des politiques de redistribution qui souvent coupaient l’herbe sous le pied de l’opposition socialiste. Le système, qui a conduit à une confusion de l’Etat et du parti dominant, avait ses dérives (clientélisme, corruption, gaspillage des fonds publics), mises à nu lorsque la mécanique s’est enrayée.

Aujourd’hui, les caisses de l’Etat sont vides, et le « remède miracle » des réformes néolibérales de M. Koizumi a aggravé les inégalités. L’embellie s’est avérée un trompe-l’oeil. « Le système a commencé à fonctionner en vase clos et, par manque de relève, le PLD s’est avéré incapable de se réformer », commente Jun Iio, vice-président de l’Institut national d’études politiques.

La crise financière et l’enlisement du PLD, épuisant les dirigeants les uns après les autres (quatre premiers ministres en quatre ans) ont ouvert la voie à une transition majeure.

Philippe Mesmer et Philippe Pons

3) Au Japon, la droite battue après 54 ans de pouvoir Article de Libération

Selon les premières estimations publiées par les médias, le Parti Démocrate du Japon (PDJ) obtiendrait entre 298 et 329 sièges sur les 480 de la Chambre des députés, infligeant une cuisante défaite au Parti Libéral-Démocrate (PLD-droite), le tout-puissant parti conservateur, qui ne récolterait qu’entre 84 et 131 sièges.

Déjà majoritaire au Sénat, grâce à l’apport de deux autres partis d’opposition, les Démocrates vont désormais avoir un contrôle absolu sur le Parlement et la voie libre pour mener leur programme ambitieux de réformes.

L’annonce de la victoire a été accueillie par une explosion de joie et un tonnerre d’applaudissements au quartier général électoral du PDJ, dans le quartier tokyoïte branché de Roppongi.

En votant pour le changement, les Japonais ont voulu également sanctionner les excès de la politique libérale menée par le PLD au cours des dernières années, responsable selon eux de l’aggravation des disparités sociales, du chômage et de la précarité.

Le président du PDJ, Yukio Hatoyama, 62 ans, qui devrait être nommé Premier ministre par le nouveau Parlement d’ici deux semaines, a promis de mener une politique « au service de la vie des gens », basée sur un programme généreux d’allocations pour les retraités, les familles et les plus démunis.

Partisan de la relance économique par la consommation, il a promis également la gratuité partielle de l’éducation, une prime à la naissance et la suppression des péages sur les autoroutes.

Le PDJ a chiffré à 16.800 milliards de yens (125 milliards d’euros) le coût annuel de son programme à partir de 2012, qu’il compte financer en faisant la chasse aux « gaspillages » budgétaires, comme les travaux publics superflus et les subventions clientélistes aux régions, et en réduisant les salaires des fonctionnaires.

Riche héritier d’une longue dynastie d’hommes politiques souvent comparée aux Kennedy, le futur Premier ministre est partisan d’un Japon plus indépendant à l’égard des Etats-Unis et davantage tourné vers l’Asie, sans toutefois remettre en cause l’alliance stratégique avec son allié américain.

Le PDJ, qui n’a jamais gouverné, prend les rênes d’un pays qui sort à peine de la pire récession de l’après-guerre et certains doutent de sa capacité à mener de front toutes les réformes sans augmenter les impôts.

Conscient de cette faiblesse, le PDJ devrait nommer dès lundi une équipe restreinte qui sera chargée d’assurer une transition en douceur avec l’administration sortante, sur le modèle de ce qui se pratique aux Etats-Unis. Histoire aussi de se roder à leurs nouvelles responsabilités.

Certains analystes s’interrogent aussi sur la capacité du PDJ à surmonter ses dissensions internes, entre d’un côté d’ex-conservateurs dissidents du PLD, parfois très nationalistes, et de l’autre d’anciens socialistes. L’entrée dans le gouvernement de deux autres partis d’opposition, le Parti Social-Démocrate (PSD-gauche) et le Nouveau Parti du Peuple (NPP-droite nationaliste), comme l’a promis M. Hatoyama, ne devrait pas non plus faciliter les choses.

Le PLD, artisan du « miracle économique » qui a fait du Japon la deuxième puissance économique du monde, se retrouve dimanche relégué dans l’opposition pour la deuxième fois de sa longue histoire à la tête du Japon.

En 1993-94, il avait dû céder le pouvoir à une coalition hétéroclite qui n’avait duré que dix mois.

Aujourd’hui, il a face à lui un vrai grand parti d’opposition, maître du Parlement, qui va tout faire pour durer.

Sa traversée du désert sera certainement mise à profit pour refonder le parti. Le Premier ministre sortant Taro Aso, grand perdant de ces élections, pourrait annoncer rapidement sa démission.


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