La Guinée connaît depuis plus d’un mois son plus important mouvement social et politique, s’affrontant à la dictature militaire « françafricaine » de Lansana Conté.
C’est le troisième mouvement de grève générale que connaît le pays depuis un an. Les raisons en sont à la fois sociales et politiques. Alors que la Guinée est riche de bauxite (1re réserve mondiale, exploitée par un consortium multinational dirigé par Enron), d’or et de diamants, l’essentiel de la population vit dans une misère toujours plus noire, confrontée à une inflation galopante des produits de première nécessité (plus de 30% par an ces dernières années), privée des services élémentaires comme l’eau courante et soumise à des coupures de courant de plus en plus longues et fréquentes. De l’autre côté, une oligarchie liée à la junte militaire s’enrichit outrageusement. Les richesses du pays sont bradées aux puissances étrangères (jusqu’aux rails de chemin de fer vendues au prix de la ferraille à la Chine !), les aides extérieures détournées, et les trafics d’armes très lucratifs du fait des conflits voisins (Libéria, Sierra Léone, Côte d’Ivoire).
Au plan politique, le régime actuel est l’héritier direct de celui de Sekou Touré. Ancienne colonie française, la Guinée est le seul pays à refuser en 1958 la Communauté française proposée par la France. Elle est dès lors confrontée à de multiples tentatives de déstabilisations économiques et politico-militaires de la part du pouvoir gaulliste, qui vont accroître l’autoritarisme et la paranoïa de Sékou Touré. A la fin de son règne, le pays est devenu un petit Etat totalitaire, aux multiples camps de détention clandestins. A sa mort en 1984, son chef d’Etat major lui succède et renoue avec la coopération militaire française, notamment pour la formation des forces spéciales. Une coopération qui se porte bien, puisque la France envisageait récemment l’ouverture d’une Ecole militaire régionale en Guinée. De retour dans le « pré carré », Lansana Conté a depuis bénéficié d’un soutien sans faille de l’Elysée pour se maintenir frauduleusement au pouvoir. Selon les chiffres de l’ambassade, la France était en 2004 le premier fournisseur de la Guinée avec 18% de parts de marché, et les entreprises à capitaux français y représentent la moitié du secteur formel, sans compter tous les trafics occultes inhérents aux relations françafricaines. Les responsabilités de l’Etat français dans la situation actuelle en Guinée ne sont donc pas minces.
En juin dernier, la répression de la précédente grève générale avait fait une vingtaine de morts chez les étudiants, sans susciter beaucoup d’émoi dans la communauté internationale occidentale. Malgré cela, la conclusion d’un accord politique avec les partis d’opposition avait servi de prétexte à une reprise de l’aide économique européenne au régime (93 millions annoncés en juin, 147 promis en octobre). Cet accord est rapidement apparu pour ce qu’il était : de la poudre aux yeux. En décembre, l’exaspération sociale était toujours aussi forte et une nouvelle provocation du dictateur est venue mettre le feu aux poudre. Mamadou Sylla, patron des patrons et proche du dictateur, a été libéré par Conté lui-même alors qu’il avait été emprisonné pour détournements de fonds. Les deux centrales syndicales, l’Union nationale des travailleurs de la Guinée (UNTG) et l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG) déclenchaient alors un nouveau mouvement de grève qui ne cessait de gagner en ampleur malgré la répression, touchant même le secteur informel. Il réussit à unifier l’ensemble du peuple guinéen et commençait à avancer le mot d’ordre de démission du dictateur, se substituant aux partis politiques d’opposition silencieux et incapables de dépasser leur ancrage éthno-régionaliste.
Le 22 janvier, une marée humaine déferlait dans les rues de la capitale, et dans d’autres villes du pays, avec la volonté de marcher sur l’assemblée nationale. La répression a alors changé d’échelle. La Garde Présidentielle, dirigée par le fils de Lansana Conté en personne, a tiré à la mitraillette et même au lance roquette sur les manifestants pour leur couper l’accès au quartier administratif. Les blessés étaient tabassés à terre, les maisons vandalisées, et finalement les syndicalistes arrêtés et bastonnés dans l’enceinte même de la Bourse du travail, avant d’être finalement relâchés le lendemain. Malgré un bilan officiel de 49 morts (59 depuis le début de la grève) le mouvement n’a pas été brisé et Lansana Conté a été contraint de lâcher un peu de lest. Les négociations se sont dès lors focalisées sur la désignation d’un premier ministre aux pouvoirs élargis, capable de gouverner et de répondre aux revendications sociales à la place du dictateur malade et des différents clans du régime qui se disputent la succession. Un accord a été signé le 27 janvier, et partiellement appliqué, prévoyant également la fin de l’exportation des produits alimentaires et pétroliers dont le peuple a besoin et la baisse du prix de certains produits de première nécessité. En revanche, il est vite apparu que Lansana Conté ne cherchait qu’à gagner du temps sur la question de la passation de pouvoir, ce qui était prévisible tant l’exercice du pouvoir et la captation des richesses par un clan militaro-maffieux sont liés. Après 15 jours de silence, alors que les syndicats lui avaient lancé un nouvel ultimatum, Lansana Conté annonçait finalement la nomination d’un de ses proches au poste de premier ministre, ce qui a été immédiatement ressenti par la population comme la provocation de trop. Le mouvement de grève s’est rallumé instantanément et s’est encore radicalisé, exigeant purement et simplement le départ du tyran. Quelques barricades ont été dressées et quelques militaires lapidés en représailles de nouvelles répressions.
Le 12 février, Lansana Conté a décrété l’état de siège et la loi martiale pour 10 jours, transférant les pouvoirs civils à l’armée, qui s’est empressée de monter d’un cran dans la politique de terreur : couvre-feu 20h sur 24, presse muselée, intervention des blindés dans les rues de la capitale, perquisitions nocturnes, actes de pillage et de viols sur les civils, etc. Beaucoup espéraient un ralliement d’une partie des militaires au mouvement insurrectionnel, sur le modèle du coup d’Etat qui avait démis Moussa Traoré au Mali en 1991, mais en dépit de quelques troubles vites étouffés dans une caserne importante (et sans doute davantage liés à la présence de mercenaires libériens et bissau-guinéens), ce scénario ne semblent pas à l’ordre du jour. Aujourd’hui (16 février), le pays semble suspendu au bord du gouffre. Les dirigeants syndicaux sont terrés chez eux, dans l’incapacité de se réunir, et craignent pour leur vie ou celle de leurs proches. Ils ont pour l’instant refusé toute nouvelle négociation avec le pouvoir tant que la loi martiale ne serait pas levée.
Robin Guébois
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