Guinée Un réveil difficile après une trop longue dictature

jeudi 5 janvier 2012.
 

L’État de droit est une idée neuve en Guinée après quarante-sept ans de régimes autocratiques. À Conakry, suite à la victoire d’Alpha Condé à la présidentielle de 2010, les impatiences s’aiguisent d’autant que les législatives se font attendre.

Correspondance. Comment succéder au sanglant Sékou Touré, au désespérant général Lansana Conté, au lunatique capitaine Dadis Camara  ? Tous ont mal gouverné et mal fini, mis à mal la démocratie, enfoncé le pays au dernier rang de l’Afrique de l’Ouest. « Il faudrait tout faire, et en même temps  ! »  : ce constat d’impuissance relative est bien partagé, du citoyen de base jusqu’aux actuels dirigeants. Les routes –encore en latérite une fois sorti de la capitale–, l’assainissement, les contrats miniers, les médias d’État, Internet, l’armée, les hôpitaux… Et plus grave peut-être que cet inventaire à la Prévert, la violence ou la réconciliation restent des choix difficiles, tant l’histoire semble encore hésiter.

La commission provisoire de réconciliation a été confiée à l’archevêque et au grand imam de la capitale, qui consultent tout en organisant des prières de masse, comme récemment au Fouta-Djalon, tant la réconciliation des cœurs et des esprits semble un préalable. Les témoignages poignants se multiplient sur les neuf crises sanglantes depuis l’indépendance  : chaque famille a été touchée.

Révéler toutes les exactions, demander justice et réparation, ou encore choisir entre pardon et oubli  ? Y aura-t-il, interroge Alpha Condé, une « voie guinéenne vers la réconciliation », contrairement aux diktats des organisations des droits de l’homme qui, au-delà de « leur » modèle de sortie de crise, semblent procéder d’une gouvernance mondialisée des pays en postconflit  ? Que faire d’ailleurs quand les « victimes ont parfois été des bourreaux »  ?

D’autres s’inquiètent à l’idée de réveiller les tensions, comme le vieux sage Naby Youla, ex-ministre et ancien ambassadeur, qui, à quatre-vingt-seize ans, est un peu la mémoire des pouvoirs dictatoriaux et des luttes incertaines.

Quant à l’opposition, qui compte bien se rattraper aux prochaines législatives (à la date repoussée et encore inconnue), son classique « ministère de la parole » adopte parfois un vocabulaire d’une grande violence symbolique. C’est le cas de Cellou Dalein Diallo, leader de l’Union des forces démocratiques (UFDG) et implicite porte-parole du groupe Peuls qui, dans un entretien à l’Humanité, ne mâche pas ses mots. Florilège  : déçu d’un pouvoir qui, selon lui, « n’a pas su réconcilier les Guinéens », et qui, pire, n’a pratiquement promu « que des gens de son ethnie » (les Malinkés sont le groupe d’origine du président Alpha Condé), il dénonce un gouvernement par décrets qui ne respecte pas toujours les droits de l’homme  ; cette « tribalisation », selon lui, de la vie politique a culminé pendant la campagne présidentielle dans la « chasse aux Peuls », forcés ainsi de quitter la haute Guinée.

L’ancien allié du président Condé, Lansana Kouyaté, qui a été un premier ministre de transition, imposé par les luttes sociales, joue plutôt le rôle d’une opposition si modérée qu’elle semble se poser en renfort potentiel. Kouyaté, fort de ses capacités reconnues d’économiste, se fait fort de réorganiser la production et de réduire l’énorme dette extérieure  ; il miserait sur l’éducation à long terme, de sorte que « l’ethnie s’efface face à la raison ».

Rappelons que, en juillet dernier, une attaque à la roquette et à l’arme lourde du palais présidentiel, attentat ou coup d’État repoussé de justesse dans lequel une faction de l’armée et de l’opposition semble avoir été impliquée –elle a donné lieu à un inquiétante attaque du Quai d’Orsay et d’une certaine presse française– rappelle bien trop la déstabilisation médiatique de la Côte d’Ivoire pour relever uniquement du hasard  ! La multiplication des bailleurs (notamment le rôle de la Chine), la renégociation des contrats miniers pourraient y être pour quelque chose… L’épisode a été aussi l’occasion de rappeler le difficile retour aux casernes de militaires tout-puissants depuis cinq décennies.

Il est indéniable, pour un voyageur de retour à Conakry, que la capitale est en pleine transformation  : l’immense chantier de l’Échangeur remplace dans la réalité le souvenir abominable du « pont des pendus » du terrible Sékou Touré  ; les dessertes aériennes se multiplient, tandis que –symptôme encourageant– une dizaine de grands hôtels sont en chantier pour répondre au logement d’hommes d’affaires qui affluent de toute la planète, nullement découragés par la refonte du Code minier. Après les fourches caudines du FMI pour alléger la dette, l’intégration des programmes d’aides américains et européens démontre « l’attractivité » du pays pour les investisseurs.

Mais pour la population, le plus important n’est-il pas la difficulté permanente du quotidien, souligné par une presse privée parfois d’une liberté féroce, à l’instar du Lynx, ce « canard » guinéen  ? Dans un numéro récent, l’hebdomadaire confronte le pouvoir à ses promesses, et à la réalité  : le prix du riz est passé, en un an, de 200 000 francs guinéens à 270 000, si ce n’est plus, pour un sac de 50 kilos. C’est dire que la croissance de 4 % par an ne profite guère encore au petit peuple. Tous pourraient reprendre cette phrase désabusée d’Alpha Condé, opposant historique de soixante-douze ans, découvrant l’ampleur de la tâche  : « J’ai hérité d’un pays, non d’un État  ! »

À ce jour anniversaire de sa prise de pouvoir effective (21 décembre 2010), Alpha Condé tente de faire oublier les difficultés du quotidien en mettant en valeur son bilan. La population pourra-t-elle attendre les bénéfices de l’ouverture au monde qui manquait tant à la Guinée  ? Un tournant social du régime, à négocier avec ses bailleurs, paraît d’autant plus probable que les législatives supposent des alliances élargies et un réenracinement du régime.

Michel Galy, politologue


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