« Rosa Luxemburg une femme totale » (entretien avec Anouk Grinberg)

samedi 3 octobre 2009.
 

Dimanche, 13 septembre 2009, parc de La Courneuve. Autour d’Anouk Grinberg, le sénateur Jack Ralite, le journaliste Edwy Plenel, qui a préfacé les lettres choisies de Rosa Luxemburg par l’actrice. Son compagnonnage avec cette militante socialiste, révolutionnaire, pacifiste, internationaliste qui mourra, assassinée avec Karl Liebknecht le 15 janvier 1919, après qu’ils eurent fondé tous deux le mouvement spartakiste en Allemagne, a démarré il y a quelques années, lorsqu’elle découvre avec « sidération humaine et politique » les lettres de Rosa. Un premier spectacle au Théâtre de l’atelier, à Paris. Et puis, aujourd’hui, un livre, Rosa, la vie (1) et la reprise de ce même spectacle au Théâtre de la commune à Aubervilliers (2). Ce dimanche 13 septembre, le silence se fait pour entendre Anouk évoquer Rosa. D’une voix forte et fragile, l’émotion à fleur de peau mais déterminée à partager auprès du public son amour, son admiration pour Rosa Luxemburg, Anouk Grinberg a parlé, avec son coeur, avec le désir de piquer la curiosité, de réveiller les consciences. Bonté, beauté, ces deux mots semblaient parfois se confondre dans la bouche d’Anouk Grinberg. Le livre entre les mains, on le feuillette, au hasard. Et le hasard fait bien les choses lorsqu’au détour d’une lettre, vous lisez silencieusement des passages qui, soudain, vous illuminent et vous (re)donnent le courage de vivre. À son image.

Marie-José Sirach

Vous consacrez à Rosa Luxemburg une énergie sans commune mesure. Pourquoi ?

Anouk Grinberg. Je n’ai jamais rien lu qui me rende aussi heureuse. Les textes de Rosa m’ont tellement touchée, bouleversé ma vie, nettoyé le coeur, donné l’envie de vivre et c’est tout cela que j’ai voulu partagé avec les gens. Et pas uniquement ceux qui s’intéressent à la politique mais tous ceux qui ont envie de vivre. On croit la connaître, et on ne la connaît pas. On a d’elle l’image d’une femme rude, le couteau entre les dents - ne l’appelait-on pas Rosa la sanguinaire ? Rude, elle l’était. Mais elle était surtout et avant tout la bonté incarnée, une bonté qui touche, cohérente. J’ai croisé ces lettres de prison il y a quatre ans et ça m’a semblé évident - je suis comédienne- de transmettre ces lettres, qu’elles parviennent aux gens. Un acte civique en quelque sorte.

On s’est habitué à suffoquer, à ne plus croire, à une humanité déshydratée… Ce texte a été un choc. Il m’a massée, réveillée, ouvert les yeux, réappris à respirer. Ces lettres ne sont pas la propriété exclusive des militants : elles ont cette puissance de feu de s’adresser à nous tous car elles ne parlent que de la vie. « Une seule chose me fait souffrir, d’avoir profité seule de cette beauté » écrit-elle. Toutes ces lettres ont été écrites en prison où elle était enfermée pour s’être opposée à la Première Guerre mondiale. Depuis son cachot où elle était emmurée, elle était bien plus libre que tous ceux de ses camarades socialistes qui avaient vendu leur âme et étaient mille fois plus prisonniers qu’elle ne l’était, derrière ses barreaux. Elle a communiqué la joie. Elle était et intelligente et radieuse. Nous, qui sommes soi-disant en liberté, à la lire, il y a de quoi se poser des questions sur les prisons que nous portons. Quand on mesure sa façon de résister au mal, à la barbarie, à la bêtise, c’est une splendeur. Alors, que ces textes ne soient pas connus du grand public, c’est comme si les gens n’avaient pas accès à l’eau…

On comprend bien cette métaphore de la prison, combien chacun d’entre nous peut être enfermé entre des murs…

Anouk Grinberg. C’est quelque chose de très personnel. Chacun sait - ou devrait savoir - que l’on voit le monde à travers des prismes. On pense qu’il s’agit là de la liberté alors que ce ne sont que des grillages. Rosa Luxemburg est lumineuse d’affranchissement. Elle s’est échappée de son enfermement peut-être parce qu’elle a un usage de la culture qui est un modèle de ce que devrait être la culture. Rosa connaissait la poésie, elle connaissait par coeur Shakespeare, elle connaissait la peinture, elle était passionnée d’ornithologie, elle connaissait et aimait les plantes… Elle avait une façon d’être aumonde… Il faudrait inventer un mot pour qualifier sa façon d’être au monde. Si nous étions adossés à la beauté comme elle, nous vivrions mieux. Elle était aimantée par la vie, la vie sous toutes ses formes : une image qui passe, un paysage, un oiseau qui chante, la silhouette d’un homme. C’est une grande leçon et on a juste envie de se lever et de continuer ce qu’elle faisait. Qu’est-ce qu’on attend pour être vivant ? Seul, c’est dur, avec ses textes, ça l’est beaucoup moins.

Vous parlez, dans l’avant-propos du livre, d’« une expérience hors norme », de sidération humaine et politique ?

Anouk Grinberg. La politique n’est pas un oxygène que je respire bien. Je pensais être réfractaire à la politique, à cette façon pénible de raconter le monde jusqu’à ce que je lise Rosa Luxemburg. Ce n’était pas de l’impuissance mais une incompatibilité avec le discours qu’on entend et qui n’est pas très sincère. Dans ses lettres, elle se réfère peu à la politique à cause de la censure. La politique n’est pas au premier plan mais en filigrane. Ses propos sont si plein de morale, d’amour qui regardent droit dans les yeux la laideur, la bassesse que j’ai été sidérée par cette façon de faire de la politique. Rosa Luxemburg était une femme totale. Chacune de ses lettres montre un autre visage et chacun de ces visages la compose. Les colères viennent du coeur… Ce serait si bien que le plus grand nombre reçoive ces lettres : on se sentirait légèrement mieux.

Entretien réalisé par Charles Silvestre

(1) Rosa, la vie, aux Éditions de l’atelier en partenariat avec France Culture. Traduction Laure Bernardi et Anouk Grinberg. Inclu, un CD audio des lectures du spectacle enregistré lors du festival les Correspondances de Manosque. 224 pages, 25,50 euros. (2) Le spectacle se jouera à partir de jeudi 24 septembre jusqu’au vendredi 9 octobre inclus aux horaires suivants : mardi et jeudi à 20 heures, mercredi, vendredi et samedi à 21 heures, et dimanche à 16 h 30 (durée 1 h 15). En raison du grand nombre de réservations à ce jour, le Théâtre de la commune a le plaisir de prolonger les représentations de Rosa, la vie,avec Anouk Grinberg, jusqu’au 9 octobre.

Rens. : 01 48 33 16 16 ou info@theatredelacommune.com.


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