Les sorties scolaires "font perdre beaucoup de temps" aux élèves d’après l’Inspection Générale. Un tissu d’inepties !

mardi 20 octobre 2009.
 

Il y a encore quelques mois, j’appartenais à ce que d’aucuns nomment l’Éducation nationale, et que j’appelais simplement l’école. Dans mon cas, c’était un collège, mais je n’ai jamais réussi à dire autre chose que « je vais à l’école. » Une école, donc, à la campagne, pour des gamins comme partout, des grands, des petits, des qui connaissaient plein de trucs et d’autres qui n’avaient que la télé pour s’ouvrir au monde.

C’était il y a si longtemps, c’était il y a un an à peine. Une belle partie de ma famille s’y trouve encore, à l’école. Et qui me racontait l’autre jour que tous leurs projets avaient été refusés par leur administration. De beaux projets, pourtant. Emmener les quatrièmes visiter les volcans en Sicile, avec un détour par Rome, et aussi Florence. Partir une journée à Strasbourg, histoire de voir du gothique grandeur nature et le Planétarium dans la foulée. Filer à Nancy applaudir le Ballet National, ou à Metz pour l’Orchestre de Lorraine, ou encore à Verdun, pour comprendre ce que le mot Paix veut dire. Tout ça, on oublie. Paraît que des textes seraient tombés. De tout là-haut.

Il est désormais (je cite, tout de même, car ça ne s’invente pas) « …indispensable de lutter contre les habitudes de grignotage du temps installées avec les sorties scolaires et les interventions extérieures, qui déconcentrent les élèves et font perdre beaucoup de temps sur les apprentissages, en prenant les mesures de restrictions des empiètements tolérés ou même favorisés, en limitant les agréments et autorisations. »

Voilà voilà ! Ils se sont tout de même mis à deux, deux inspecteurs généraux, rien que ça, pour produire ce tissu d’ineptie. Des inspecteurs généraux, qui au 21ème siècle, pensent encore qu’une sortie scolaire est seulement une perte de temps. On a juste envie de leur demander depuis combien de temps ils ne sont pas entrés dans une vraie classe, avec des gamins en chair et en jeans. On a honte pour eux, non ?

Je me propulse dans la machine à remonter le temps et j’atterris à Paris, avec mes 3èmes, au Louvre, au Musée de l’Homme, au Luxembourg, au Palais de la Découverte ce merveilleux espace de connaissance à l’ancienne, et aussi au Mur des Fédérés, tiens, pendant qu’on y était. Les rencontres extraordinaires, les balades en chansons « Aux Champs-Élysées », la vie en commun pendant une semaine, le métro, le bus, et Versailles. Du temps perdu ? Voir les profs au petit déjeuner, et même en pyjama à fleurs, ça ne permet pas de redéfinir la notion de hiérarchie, non ?

Me revient une aventure, plutôt marrante. C’était à la Galerie de l’Évolution. Au moment de repartir, il m’en manquait deux. On les a cherchés partout. Ils étaient là, fascinés dans l’expo des espèces disparues. L’un d’eux est vétérinaire aujourd’hui. L’autre ingénieur en je ne sais pas bien quoi. Mais quand on se voit, ils ne loupent jamais de me rappeler cette affaire-là. Où ils ont « appris autrement ».

Comme si je risquais de l’oublier.

Comme si je ne savais pas que c’est en variant les plaisirs qu’on donne envie d’en savoir plus.

Comme s’il m’était étranger que c’est en regardant le vaste monde, en vrai, qu’on devient un être humain.

Comme si j’avais déjà oublié tout ce que Freinet disait des frontières écroulées entre les matières. Parce que même si on enseigne les Sciences, on peut avoir envie de montrer la maison de Victor Hugo et la Colonne de Juillet à des petits lorrains en vadrouille.

À condition qu’aucun inspecteur général ne vienne s’en mêler. Que l’école soit un sanctuaire, je n’en ai jamais douté. Qu’il faille la refermer sur elle-même en ne laissant filtrer que si peu de lumière, c’est une autre histoire. Et si ces deux messieurs n’ont jamais vu 28 gamins de Sarralbe en goguette au pied de la Tour Eiffel un soir de printemps, je veux bien les y accompagner. Je crois bien n’avoir pas encore complètement perdu la main. De même que je me crois encore capable de travailler tout un trimestre autour du thème de la haie vive, juste pour gagner un concours présidé par Jean-Marie Pelt.

Alors, bien sûr, si après ça, on vient nous parler de concentration, c’est une autre histoire. Mais je peux vous garantir que ces jours-là, en effet, il y avait bien peu d’absents, dans les rangs de ces sixièmes-là. Mais puisque tous ces merveilleux moments d’apprentissage sont à présent à classer au rayon des « habitudes de grignotage de temps scolaire », il va bien falloir trouver autre chose pour les passionner, les chers petits. Je ne sais pas moi, une cagnotte, peut-être ?

brigitte blang


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