Hommages à Marek Edelman, commandant en second de la résistance du ghetto juif de Varsovie pendant la seconde guerre mondiale

mardi 27 octobre 2009.
 

1) Marek Edelman, une vie exemplaire (article du Monde diplomatique)

Avec Marek Edelman, mort à 90 ans le 2 octobre dernier, disparaît une des figures les plus originales du mouvement ouvrier juif.

Toute sa vie, Marek Edelman resta fidèle à son engagement au Bund, un parti ouvrier laïque de Russie et d’Europe centrale qui combattait l’antisémitisme, mais aussi les formes traditionnelles de vie juive ainsi que le sionisme. Pour lui, la solution de la question juive passe, non par la construction d’un Etat spécifique, mais par une révolution socialiste démocratique assurant la plus grande autonomie des minorités.

En avril 1943, les Waffen SS encerclent le ghetto de Varsovie, dont les trois quarts des habitants ont déjà été assassinés ou déportés vers le centre d’extermination de Treblinka. Rassemblant essentiellement bundistes et communistes, l’Organisation juive de combat (Żydowska Organizacja Bojowa) décida de déclencher une révolte armée, dont Marek Edelman prit la direction après la mort de Mordechaï Anielewicz. Trois semaines durant, en avril et mai 1943, quelque deux cents combattants mal armés tinrent tête à deux mille Waffen SS chargés de liquider les derniers survivants du ghetto (1). Ayant réussi à fuir par les égouts, Marek Edelman rejoignit l’Armia Ludowa et participa, en 1944, au soulèvement de Varsovie, en 1944, qui fit deux cent mille victimes. Après-guerre, conformément à ses convictions, Marek Edelman demeura en Pologne, où il suivit des études de médecine - il devint d’ailleurs un cardiologue réputé. Politiquement, il se battait à la fois pour la démocratisation du système communiste et contre ses dérives antisémites. Un temps membre du Parti ouvrier unifié polonais (communiste), il passa ensuite à l’opposition, incarnée par le Comité de défense des ouvriers (KOR). Lors de l’état de siège déclaré fin 1981 par le général Wojciech Jaruzelski, il fera même quelques jours de prison en tant que militant de Solidarnosc, dont il sera sénateur après la chute du régime, en 1989. Il rejoindra ensuite l’Union démocratique fondée par le premier ministre catholique Tadeusz Mazowiecki.

Non seulement Marek Edelman a toujours refusé d’émigrer vers Israël, mais il ne cessa de durcir sa critique de la politique d’occupation et de colonisation des territoires palestiniens. En 2002, il suscita la polémique en s’adressant aux « partisans » palestiniens pour leur demander de mettre un terme aux attentats-suicides tout en exigeant d’Israël qu’il reconnaisse le droit à l’autodétermination des Palestiniens. « De quel peuple juif parle-t-on ?, déclarera-t-il dans une interview au quotidien israélien Yediot Aharonot. Israël s’est créé sur la destruction de cette immense culture juive multiséculaire qui s’était épanouie entre la Vistule et le Don. La culture israélienne, ce n’est pas la culture juive. Quand on a voulu vivre au milieu de millions d’Arabes, on doit se mêler à eux, et laisser l’assimilation, le métissage, faire leur œuvre (2). »

Dominique Vidal

2) Marek Edelman était notre frère... (Mouvement des Indigènes de la république)

Aujourd’hui nous l’écrivons au passé, car à notre grand regret Marek Edelman est décédé ce vendredi 2 octobre. En avril 1943, les Allemands décident de liquider le ghetto de Varsovie où il ne reste plus que 60.000 Juifs sur le demi-million au début de la guerre, la majorité ayant déjà été déportée vers le camp d’extermination de Treblinka. C’est alors que survient l’insurrection du ghetto contre les nazis dont Marek Edelman fut l’un des dirigeants. Il était le dernier survivant parmi ceux qui s’étaient retrouvés à la tête de cette lutte héroïque, désespérée mais exemplaire. Il déclara par la suite : « On savait parfaitement qu’on ne pouvait en aucun cas gagner. Face à deux cent vingt garçons mal armés, il y avait une armée puissante. », « Nous, nous n’avions pour nous tous qu’une seule mitrailleuse, des pistolets, des grenades, des bouteilles avec de l’essence et tout juste deux mines dont l’une n’a même pas explosé ». Ils se sont opposés pendant trois semaines dans un combat inégal et désespéré, à la machine de guerre des Waffen SS. Pour venir à bout de l’insurrection, les Allemands ont décidé de brûler tout le ghetto, maison par maison. « Ce sont les flammes qui l’ont emporté sur nous, pas les Allemands », soulignait Marek Edelman. Il a réussi avec quelques derniers combattants à sortir du ghetto le 10 mai par des égouts. Il a rejoint la Résistance polonaise. Plus d’un an après, il a participé en 1944 à l’Insurrection de Varsovie, dont la répression par les nazis coûta la vie à 200.000 Varsoviens, insurgés et civils, et se solda par la démolition quasi-totale de la ville.[2]

Après la guerre, il fait des études de médecine et devient un cardiologue connu. Bien que la majorité des survivants juifs aient émigré en Israël, lui a décidé de rester en Pologne. « Il fallait bien que quelqu’un reste ici pour s’occuper de tous ceux qui y ont péri », répondait-il. Il s’est engagé du côté de l’opposition ce qui lui a valu d’être interné lorsque le général Jaruzelski imposa la loi martiale en Pologne le 13 décembre 1981. A la chute du système soviétique en 1989, il est élu sénateur sur les listes de Solidarité puis de l’Union démocratique. Il n’a cessé jusqu’à sa mort de dénoncer le racisme dont l’antisémitisme en Pologne et dans le monde.

De nombreuses commémorations ont été organisées où été invitées les représentants d’Israël. Mais Marek Edelman a refusé d’y participer. Lorsqu’une journaliste israélienne lui a demandé s’il ne craint pas que sa mort ne fasse tomber dans l’oubli l’insurrection du ghetto de Varsovie, il répond, sûr de lui : « Non. Cet événement a laissé trop de traces dans l’histoire, la musique, la littérature et l’art. C’est en Israël qu’on risque d’effacer notre souvenir. » « Pour vous, Israéliens, la guerre des Six-Jours [1967] a été l’événement le plus important de l’histoire juive contemporaine. Vous pouvez vous appuyer sur un Etat, des chars et un puissant allié américain. Nous, nous n’étions que 200 jeunes avec 6 revolvers pour tout armement, mais nous avions la supériorité morale. » Lorsque la journaliste tente de minorer le rôle des collaborateurs juifs dans le génocide des leurs il rétorque cinglant : « Ça, c’est votre philosophie d’Israélienne, celle qui consiste à penser qu’on peut tuer vingt Arabes pourvu qu’un Juif reste en vie. Chez moi, il n’y a de place ni pour un peuple élu ni pour une Terre promise. »

Dénonçant les manipulateurs de l’histoire du génocide des juifs, il les qualifie de « professionnels de la mémoire » ayant une « éthique trop israélienne« . Car il n’a pas oublié la lâcheté des sionistes durant la seconde guerre mondiale. « Le Mossad savait aussi ce qui se passait ici. Ses agents se sont pourtant contentés d’évacuer les gens disposant d’argent, et encore, jamais pendant la guerre et uniquement vers la Palestine. Le fondement de l’idéologie de Ben Gourion et des siens, c’était la rupture avec la diaspora [juive]. Il en était arrivé à refuser de s’exprimer dans sa langue maternelle, le yiddish [langue juive d’Europe de l’Est], la langue des 11 millions de Juifs d’Europe et d’Amérique. » Ben Gourion avait en effet déclaré le 8 décembre 1942 : « Le désastre qu’affronte le judaïsme européen n’est pas mon affaire ». Evidemment Marek Edelman ne ménage pas le fondateur de l’entité coloniale sioniste : « Il n’aurait évidemment pas pu sauver des millions d’entre nous, mais certainement des milliers. Il n’a pas bougé. Ici, personne n’aimait Ben Gourion, pas même les plus fervents sionistes.”

Pour lui c’est évident si les juifs voulaient un Etat « Il eût mieux valu créer un Etat juif en Bavière ! ». Pour de telles déclarations, le président de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad a été qualifié d’antisémite. Marek Edelman de répondre en s’esclaffant : « Il a raison, le climat y est excellent ! ». Lucide alors que tous autour de lui sont aveugles, pour lui, Israël n’est pas le havre de paix des juifs persécutés qu’ont voulu nous vendre les impérialistes occidentaux mais bien une enclave coloniale en terre arabomusulmane : « Si Israël a été créé, c’est grâce à un accord passé entre la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’URSS. Pas pour expier les 6 millions de Juifs assassinés en Europe, mais pour se partager des comptoirs au Moyen-Orient. » Réfutant une solidarité sectaire avec les juifs d’Israel : « La culture israélienne, ce n’est pas la culture juive. Quand on a voulu vivre au milieu de millions d’Arabes, on doit se mêler à eux et laisser l’assimilation, le métissage, faire son œuvre. » et « Israël ne pourra survivre dans une mer de 100 millions d’Arabes »[3]car « chez [lui], il n’y a de place ni pour un peuple élu, ni pour une terre promise ».[4]

Le grand homme accusait l’Etat d’Israël d’avoir donné le coup fatal à l’existence des Juifs d’Europe de l’Est : « Les Israéliens, si forts et si puissants, les Israéliens qui ont gagné toutes leurs guerres, ont honte des victimes de la Shoah et méprisent les survivants. Israël n’a rien fait pour la renaissance de la culture juive, pour l’héritage de millions d’êtres humains qui ont créé un monde juif entre le Dniepr et la Vistule. Même leur langue a été enterrée. Comme si Israël avait honte de l’histoire du peuple juif d’Europe de l’Est et voulait gommer son passé. »[5]

Il était même intervenu, durant l’été 2002, en faveur de Marwan Barghouti dans le procès de ce dirigeant de la résistance palestinienne condamné à une peine de prison à perpétuité[6].

Son militantisme, il l’a construit dans une société et une époque de racisme débridée où l’on exigeait l’assimilation aux juifs en tant que minorité nationale, mais aussi une époque où les sionistes prêchaient dans le désert puisque la majorité des immigrants choisissaient l’Amérique comme terre promise. Réfutant sionisme et assimilationnisme, tous deux racistes, Marek Edelman a choisit la voie du Bund comme ses parents avant lui. Parti socialiste juif anti-sioniste d’Europe de l’Est, le Bund[7], était partisan d’une autonomie culturelle juive au sein des nations qui permettait aux Juifs de jouir de la totalité de leurs droits nationaux sur le plan linguistique, culturel et cultuel dans les pays où ils résidaient, sans discrimination et sans revendiquer de territoire spécifique.

« En prenant les armes contre ceux qui voulaient nous anéantir, nous nous sommes raccrochés à la vie et nous sommes devenus des hommes libres » déclarait Marek Edelman. Ses paroles doivent rester gravées dans nos cranes pour que l’exemplarité d’une vie serve de modèle à tous ceux qui luttent pour la reconnaissance de leur existence.[8]

Allah yarhmou. Bader Lejmi, membre du MIR


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