Nouveauté en librairie : Révolution, les impensés d’un héritage Éditions La Dispute. 198 pages, 15 euros.

jeudi 5 novembre 2009.
 

L’idée d’avant-garde, au crible de ses échecs

par FRÉDÉRICK GENEVÉE, HISTORIEN

Les expériences révolutionnaires du XXesiècle ont échoué dans leurs objectifs explicites. S’interroger sur les raisons de cet échec est devenu une nécessité. On peut le faire à la manière d’un scientifique dans son laboratoire, extérieur à son objet, ou bien à partir d’une trajectoire et d’un point de vue. C’est cette dernière méthode qu’ont choisie les cinq auteurs (1) de ce livre au titre stimulant Révolution, les impensés d’un héritage.

À des degrés divers et dans des organisations différentes, ils se sont engagés et veulent poursuivre le combat pour l’émancipation. Il est difficile de résumer l’ensemble de leurs propos et de leurs thèses. Ils ont en commun d’aborder l’échec du mouvement révolutionnaire par la critique centrale de la notion d’avant-garde en politique. Elle conduit à l’autoproclamation, à la séparation progressive d’une élite politique de ceux qu’elle est censée représenter. Elle interdit de penser le temps et le progrès autrement que sous leur forme linéaire, comme le montre avec force Michèle Riot-Sarcey.

Ce qui est arrivé ne pouvait qu’arriver et a permis de tout justifier, de la répression à l’effacement de la parole et de la mémoire des dominés.

Denis Berger, après avoir analysé les évolutions récentes du capitalisme, plaide pour que le combat pour l’émancipation ne se hiérarchise pas entre les luttes contre l’exploitation et celles contre toutes les formes de domination et d’aliénation. Il en appelle en conséquence à l’articulation nécessaire entre les pensées de Marx et de Freud, de la pensée du collectif et de celle de l’individu.

Roger Martelli et Francis Sitel s’interrogent sur les fondements et les raisons de l’échec de la branche bolchevique du mouvement ouvrier.

Roger Martelli renouvelle son hypothèse selon laquelle le système stalinien introduit une rupture fondamentale avec le dispositif léninien, mais en s’appuyant sur quelques points faibles – des failles mentales enchâssées dans la conception de la classe, de la révolution, du parti – dont il finit par faire ses fondements. On discutera plus son affirmation selon laquelle l’unité des communismes du XXe siècle serait à chercher dans leur incapacité commune à s’autoréformer.

Pour Francis Sitel, si le trotskisme, malgré certaines dérives sectaires, a été le premier à élaborer une critique cohérente du stalinisme et qu’en cela il est primordial de le connaître, il n’a pas su, paradoxalement, prendre la mesure de la nouvelle époque, née des transformations du capitalisme et de l’écroulement du mur de Berlin. Il critique notamment son refus de comprendre que toutes les formes de mobilisations comme celles contre le libéralisme induisent une dynamique potentiellement anticapitaliste et de transformation révolutionnaire.

Enfin Pierre Zarka développe son idée que les forces émancipatrices ont finalement été habitées par le modèle politique traditionnel de la séparation et de la substitution et dont la racine est peut-être à rechercher dans les survivances du religieux. Modèle qui convient à ceux qui veulent le maintien des sociétés de domination, mais qui est mortifère pour les forces qui se réclament de l’émancipation. Il plaide alors pour que la fonction partisane se modifie pour permettre le passage de l’individu au collectif sans négation de celui-ci. Aussi souhaite-t-il que les partis politiques, sans délaisser leurs fonctions traditionnelles, valorisent les expériences nouvelles et nombreuses de faire de la politique autrement.

Au final, un ouvrage qui donne à penser et ouvre des pistes de réflexion. Il suscitera sans doute le débat, mais n’est-ce pas le meilleur antidote à l’engluement dans une vérité officielle ?

1) Denis Berger, Roger Martelli, Michèle Riot-Sarcey, Francis Sitel, 
Pierre Zarka

L’Humanité du 2 novembre 2009


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