Autres intervenants lors de cette réunion publique organisée par le collectif de Ris-Orangis (91) : F. Bavay (Verts), C. Picquet (LCR), E. Gauthier (PCF), C. Debons
Je voudrais d’abord vous remercier de votre invitation et de votre présence. Ce n’est pas une chose si commune à l’heure où beaucoup voudraient réduire la politique à une course de chevaux, réduire les citoyens à des parieurs qui misent sur tel ou tel, réduire l’engagement civique au commentaire des performances médiatiques de champions préfabriqués. Faire cela, c’est grave. Dépolitiser le débat public à la veille des présidentielles de 2007, c’est grave. Car cette élection n’est pas une élection comme les autres. Pendant que les éditorialistes s’amusent et manipulent, nous vivons au coeur d’un véritable état d’urgence politique.
Regardez les élections qui ont eu lieu ces dernières semaines en Europe. Les néonazis de retour dans les Parlements régionaux en Allemagne. La droite extrême et l’extrême droite qui l’emportent haut la main en Hongrie après des émeutes contre le premier ministre social-démocrate. L’extrême-droite que l’on donnait moribonde qui progresse de 50% en Autriche. La Belgique est menacée par l’extrême-droite dans de prochaines élections (ce week-end). Voilà le contexte dans lequel nous sommes. Partout, les citoyens européens cherchent les moyens de rejeter le libéralisme. Et quand la gauche n’est pas au rendez-vous de la colère antilibérale, quand elle gouverne avec la droite, quand elle parle comme la droite, c’est l’extrême-droite qui progresse.
Est-ce que l’on peut dire que la France est à l’abri de cela ? Non. Et ce pour une raison au moins : on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas puisqu’il y a eu le 21 avril 2002. Or depuis le 21 avril, l’état d’urgence politique et social n’a cessé d’enfler : les retraites en 2003, les élections de 2004 - NON à la droite ! -, le référendum de 2005, les émeutes de l’automne 2005, le rejet du CPE au printemps 2006... de tout cela le pouvoir de droite n’a tenu aucun compte. Au mépris pour la volonté populaire s’ajoute leurs règlements de compte, on se souvient de l’affaire Clearstream, et la surenchère sécuritaire et raciste de Sarkozy. Voilà les conditions dans lesquelles se prépare 2007. Voilà pourquoi c’est l’élection des grands chocs dont peut sortir le pire comme le meilleur. Voilà à quoi il faut se préparer. En 2007, il faudra à nouveau, comme nous l’avons fait dans la campagne du « non » au projet de Constitution européenne, arracher les consciences populaires à l’emprise du Front national.
C’est pourquoi, et c’est une militante socialiste qui vous parle, je ne trouve pas que l’on puisse traiter comme de simples boulettes le fait que la candidate Ségolène Royal engage cette bataille en expliquant qu’il faut faire sauter les tabous de la gauche, en proposant l’encadrement militaire des jeunes, l’assouplissement de la carte scolaire, une nouvelle représentativité des syndicats, la protection de la valeur travail soi-disant mise à mal par les 35 heures. Ce sont des propositions graves. Non seulement, elles risqueraient d’empêcher le rassemblement de la gauche. Mais encore, elles encouragent un glissement à droite dont l’extrême-droite est au final la grande bénéficiaire.
Alors que faut-il faire ? Vous comprenez que je fais partie de ces socialistes, nombreux en France, qui ne cherchent pas leurs références dans la sociale-démocratie à la Blair et à la Schröder. Je me sens plus proche de ceux qui, ayant constaté l’échec du stalinisme et constatant aujourd’hui l’échec de la social-démocratie, cherchent à inventer une nouvelle gauche qui ne se courbe pas face aux puissants. Je pense en particulier aux peuples d’Amérique Latine qui ont récemment dans plusieurs pays donné la victoire à une gauche nouvelle, qui cherche son chemin dans des conditions effroyablement difficiles, après avoir retiré leur confiance à des dirigeants sociaux-démocrates qui ont mené une politique ultra-libérale, ruiné leur peuple, et pour certains d’entre eux pillé l’argent public et fait tirer sur la foule, comme au Venezuela par exemple.
Quel est le premier atout de cette gauche en réinvention ? La participation populaire au changement. N’est-ce pas aussi une leçon de l’expérience française, au moment où nous fêtons les 70 ans du Front Populaire et où nous devons réfléchir sur le bilan des expériences de la gauche au pouvoir ?
Mais pour permettre l’implication populaire dans les grands choix politiques, alors que des millions de citoyens étaient tenus en marge du système démocratique, il a d’abord fallu changer de Constitution. C’est la première chose qu’ont fait nos camarades au Venezuela ou en Bolivie. Et je dis que c’est la première chose que nous devrions faire en France.
Encore une fois, le contexte, c’est celui de l’état d’urgence politique. Pour y répondre, mes camarades de PRS et moi-même proposons comme perspective la refondation républicaine du pays. Cela veut bien sûr dire qu’une réforme institutionnelle profonde doit avoir lieu : une VIe République qui redonne le pouvoir au peuple. Ce n’est pas une mesure parmi d’autres qu’on engagera quand on aura le temps. La VIe, c’est tout de suite ! Refonder notre pacte social par la voie institutionnelle fait partie intégrante de notre projet politique. Il lui donne tout son sens dans le contexte actuel de mépris du peuple, de ce qu’il est et de ce qu’il peut bien vouloir.
En mettant en chantier une nouvelle Constitution, nous voulons provoquer tout de suite l’implication populaire. Nous voulons aussi que les débats aient enfin lieu, et qu’ils soient tranchés par le peuple, sur la question suivante : quelles normes nouvelles voulons-nous pour notre société ? Celles de la compétition et de la domination des intérêts privés ? Ou celles qui reposent sur la suprématie de l’intérêt général et qui permettront l’égalité sociale, le droit aux services publics (éducation, logement, énergie, etc.), l’implication populaire dans l’élaboration de la loi, ce qui n’a rien à voir - c’est bien plus ! - avec la démocratie dite de proximité qui n’a pour effet que de tenir les citoyens bien éloignés des décisions centrales qui les concernent au premier chef.
Les normes, et en particulier la constitution, celle qui commande toutes les autres, sont le moyen de ces objectifs politiques et sociaux. Donc, il faut une constituante en France dès que nous arriverons au pouvoir. C’est ma première proposition.
Deuxième élément structurant de notre projet politique, c’est la bataille culturelle dont je suis heureuse qu’elle apparaisse dans la dernière mouture de notre projet de programme. Je trouve d’ailleurs très judicieux que soient associés dans un seul paragraphe, culture et éducation. C’est essentiel !
Je reprends l’exemple latino-américain au Venezuela et en Bolivie. L’une des premières choses qu’ont fait ces gouvernements de gauche a été de lancer le plus grand programme d’alphabétisation qui ait jamais été tenté depuis la révolution cubaine. Il s’agit d’éducation populaire : pas de transformation sociale sans une société motivée et capable de s’éduquer politiquement.
Ceci est l’outil indispensable de la bataille des consciences que nous avons à mener contre l’idéologie dominante. Cette bataille peut se mener si nous avons une école solide contre les attaques du néolibéralisme sous toutes ses formes, y compris les communautarismes et les incursions de la pub dans les cours d’école. Cette bataille doit affronter dans le même temps les médias en tant qu’enjeu public et politique. Car non seulement leurs contenus nous aliènent, mais leur organisation économique privée et concentrée leur assure une hégémonie redoutable. Notre société se retrouve alors privée des moyens de sa propre représentation.
Nous ne pouvons plus nous penser nous-mêmes ni nous projeter ! Autrement dit, à cause des fausses représentations véhiculées par les médias, le peuple n’a pas les moyens de concevoir une autre politique, une politique du peuple. C’est pourquoi la question du rôle des médias doit être traitée comme une question politique à part entière. Elle a toute sa place dans la campagne présidentielle en tant que telle. Il y a de nombreuses propositions à faire, pour lutter contre la concentration, pour lutter contre le poids de la pub, pour donner des moyens à l’audiovisuel public, aux médias alternatifs... En remettant en cause le contenu des médias qui sont les premiers vecteurs de l’idéologie dominante, nous travaillons à la remise en cause publique de l’idéologie dominante elle-même. En d’autres termes, et c’est ma deuxième proposition, nous devons faire des médias une question politique.
L’expérience latino-américaine indique un troisième élément sans lequel le tableau de la transformation sociale resterait incomplet : le contrôle des ressources naturelles. Au Venezuela, c’est le pétrole. En Bolivie, c’est le gaz. En France, je pense à la protection des services publics... Les services publics concernent sûrement les ressources naturelles, mais ils concernent bien d’autres secteurs, en particulier les réseaux, je pense aux transports, mais aussi à la Poste dont un projet de privatisation totale en 2009 sera présenté par la Commission européenne dans 10 jours ! A ce moment là, comme toutes les fois que ce sera nécessaire, il va falloir dire NON et proposer autre chose.
Or le droit du peuple français à conserver le contrôle de ses richesses communes est directement mis en cause par les politiques européennes. L’adoption de la Constitution européenne aurait consacré le dessaisissement de notre peuple. Mais il ne faut pas se leurrer, la Constitution européenne revient ! On nous la resservira avec le même goût que la dernière fois. Cette question n’est pas derrière nous. Car
1) en 2007, l’Allemagne de Merkel prend la présidence de l’Union européenne et l’on sait qu’elle a promis de faire adopter ce texte ;
2) en 2008, la France prend la présidence à son tour et tout le monde nous attend à cette fonction. Pour éviter tout risque de retour en arrière, il faudra engager dès 2007, un processus constituant européen.
Ce point fait débat au sein du collectif et pourtant, pour les raisons que j’ai dites, il doit pouvoir se résoudre par l’annonce, dès 2007, d’une constituante européenne car la logique intergouvernementale qui règne dans l’Union européenne ne nous permettra pas de tenir tête à 24 chefs d’État et de Gouvernement, moins la Hollande, qui ont déjà tous dit oui à la place de leurs peuples. Il faut donc que le débat sur le contenu et la forme de l’Europe politique soit mené par les peuples et leurs représentants. Ce projet de constituante européenne serait alors typiquement en phase avec la première proposition de constituante en France. Ce sera ma troisième et dernière proposition.
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