Point G : l’étude stupide de l’année

samedi 9 janvier 2010.
 

"Ne jouissez plus ! Vos orgasmes relèvent de l’auto-suggestion." Après avoir interrogé 1804 femmes, deux chercheurs concluent que le point G n’existe pas. Ou plutôt qu’il existe seulement “dans la tête”. Ben voyons.

Le 4 janvier 2010, comme s’il fallait commencer l’année avec une étude qui ne sert à rien, une équipe du King’s Collège de Londres composée de Tim Spector (professeur d’épidémiologie génétique) et Andrea Burri (psychologue bernoise) a livré le résultat de “la plus grosse recherche jamais menée au monde sur le point G” (sic), avec les conclusions suivantes : “le point G est une donnée totalement subjective”.

Sous-entendu : les femmes qui prétendent en avoir un auraient beaucoup d’imagination. Andrea Burri a même accusé les sexologues d’avoir inventé cette zone érogène, rendant ainsi folles d’inquiétude les malheureuses qui n’auraient pas trouvé leur point G. “Il est totalement irresponsable de proclamer l’existence d’une entité dont il n’existe aucune preuve et, ce faisant, de mettre la pression à des femmes, qui se sentent diminuées, handicapées par le fait de ne pas correspondre à la norme.” Pour les besoins de cette étude, 1804 femmes âgées de 23 à 83 ans ont rempli des questionnaires. Il s’agissait uniquement de jumelles (hétérosexuelles, curieusement). Partant du principe que les jumelles ont le même ADN, les deux chercheurs se sont efforcés de montrer qu’il n’était pas normal que certaines femmes aient un point G et pas leur sœur… Sur le plan génétique, il est “impossible” (ont-ils expliqué) qu’une jumelle présente une caractéristique physiologique et pas l’autre. “Si le point G existait, les jumelles en auraient chacune un, n’est-ce pas ?”. “Faux” rétorquent d’autres médecins : « Les jumelles n’ont généralement pas le même partenaire sexuel. » La sexologue Beverly Whipple, qui avait popularisé l’existence du point G en 1981, a notamment dénigré l’étude : “On ne naît pas avec un point G, on le trouve.” Tout comme l’orgasme, le plaisir procuré par le point G est le fruit d’un entrainement, d’un progressif apprivoisement du corps et surtout… du hasard. Il peut vous tomber dessus à la faveur d’une pénétration manuelle ou pénienne. Vous pouvez le trouver vous-même en tâtonnant. Vous pouvez en augmenter la puissance et en jouer comme d’un instrument… C’est comme à la loterie. Toutes les femmes n’en ont pas. Certaines le “trouvent” à un âge avancé, de façon inattendue. D’autres ont la chance de mettre le doigt dessus très vite.

L’existence aléatoire du point G est comparable, d’une certaine manière, à la stimulation des tétons : certains hommes (et femmes) n’éprouvent rien quand on leur caresse les seins. D’autres “travaillent” leurs tétons jusqu’à en faire de véritables capteurs-émetteurs. D’autres ont, naturellement, les seins si sensibles qu’ils sursautent au moindre effleurement et ne supportent pas qu’on les touche. Le corps humain est si changeant qu’il suffit parfois d’une caresse inédite, d’un(e) nouveau(elle) partenaire, d’un changement de régime alimentaire ou d’une maternité, pour mettre brusquement sous tension des parties du corps qui jusque là ne semblaient que très médiocrement innervées… Chaque centimètre de peau cache des trésors de sensations. A quoi bon, dans ces conditions, se lancer dans une étude aussi absurde que celle qui consiste à dire qu’un endroit du corps n’est pas érogène alors que tous les endroits le sont, potentiellement ? Le point G désigne une zone érogène sur la face antérieure du vagin, situé à environ 1-4 cm de l’entrée, dont la stimulation peut provoquer une grande excitation. “Découvert” par le docteur Gräfenberg, en 1950, le “point Gräfenberg” n’a rien à voir avec un “point” : il s’agit en réalité d’une zone sensible correspondant, selon certaines recherches récentes, à la partie immergée du clitoris. Le clitoris ne se réduit en effet pas au petit capuchon qui surmonte la vulve. Le clitoris a la même taille que le pénis et s’enfonce profondément, le long de la paroi du vagin, séparé de la surface par une membrane à la consistance proche d’un corps caverneux. Cette membrane atténue les sensations, à la façon d’un tampon. Ce qui explique pourquoi une femme a beaucoup moins de sensations dans le vagin que dans le capuchon du clitoris. Mais la membrane reste relativement fine à l’entrée du vagin : en la touchant, on peut donc stimuler le clitoris à travers. Voilà donc en quoi consiste le point G : il s’agirait d’un endroit où la paroi vaginale, moins épaisse, permet de stimuler le clitoris qui se trouve derrière.

Le problème avec cette zone, c’est qu’il faut la trouver et parfois même “l’activer”. Mais n’est-ce pas le problème avec tout notre corps, en général ? Nous devons l’éduquer. Pour goûter du vin, certains entrainent leurs papilles à déceler chaque arôme. Pour distinguer et mémoriser les parfums, d’autres participent à des concours d’encens. On aiguise son odorat, comme on aiguise les autres sensations… qu’elles viennent des muqueuses ou pas. C’est là probablement où le bât blesse avec cette étude britannique. En niant l’existence du point G, les scientifiques affirment qu’ils libèrent les femmes (et les hommes) d’un poids trop lourd à porter. Ils se trompent de cause. Ceux et celles qui se plaignent du diktat du plaisir seraient bien plus soulagé(e)s d’apprendre qu’il n’existe pas un, mais des centaines de points G, de palpeurs et de récepteurs capables de transformer les sons, les caresses, les odeurs, les mots, les couleurs ou les signaux chimiques en autant de stimuli aphrodisiaques. Pourquoi circonscrire les zones érogènes, les réduire à quelques données médicales (corpuscules de Krause, glandes de Skene ou que sais-je), avec cette sale manie de l’"objectivité" ?

Il y a des femmes qui jouissent quand on stimule l’intérieur de leur vagin. Pourquoi dénigrer ces femmes, en affirmant qu’elles sont victimes d’une soi-disante propagande menée par un lobby de sexologues ? Elles n’ont pas attendu 1950 et Gräfenberg pour jouir ainsi. Elles n’ont souvent jamais entendu parler du point G. Elles jouissent. Gratuitement négative, l’étude du King’s College de Londres ne rime à rien d’autre qu’à nier l’évidence. Et ce faisant, à faire reculer les mentalités. “Dites non au plaisir. Puisqu’il ne s’explique pas, c’est qu’il n’existe pas.” Ainsi pourrait-on résumer les conclusions de cette étude stupide. Stupide et désespérante. Andrea Murri et Tim Spector feraient mieux de chercher à comprendre pourquoi certaines parties du corps procurent du plaisir. La génétique ne l’explique pas. C’est bien tout ce qu’ils ont réussi à démontrer jusqu’ici : leur impuissance à comprendre. Leur impuissance tout court, ajouterai-je.

A lire absolument : La revanche du clitoris de Maia Mazaurette et Damien Mascret, collection L’attrape-corps (éd. Musardine). Osez découvrir le point G, d’Ovidie, collection Osez (éd. Musardine).

Note complémentaire : je ne critique pas la recherche scientifique. il me semble au contraire extrêmement important d’en savoir plus sur le corps humain et son fonctionnement. Je critique la méthodologie de certains chercheurs(es). Au lieu de s’en tenir à la simple constatation selon laquelle le point G n’était pas une donnée génétique (encore que la façon dont ils le démontrent me semble un peu légère), Tim Spector et Andrea Murri ont déduit de leur étude que le point G n’existait pas sur le plan matériel. Or de récentes études semblent au contraire prouver qu’il s’agit bien d’une réalité. J’y consacrerai un prochain article. A suivre, donc.


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