Gardés à vue, ne parlez qu’en présence de votre avocat ! Par Maxime Cessieux, Secrétaire Général du Syndicat des Avocats de France)

samedi 31 juillet 2010.
 

Pourquoi faut-il une assistance dès les premières heures de privation de liberté ?

Avec 336 000 mesures en 2001 et environ 800 000 en 2008, la garde à vue n’arrive plus qu’aux autres. Le commun des mortels peut aujourd’hui raisonnablement craindre de se voir embarquer par les forces de l’ordre. Mieux vaut en effet éviter de manifester, de fumer un joint à la sortie de la fac, de s’agacer lors d’un contrôle routier ou de traverser hors des clous… Un agent de police pourrait vous offrir un séjour au commissariat.

Dès lors que le nombre de gardes à vue est un outil privilégié de la mesure de leur activité, les services de police et de gendarmerie sont soumis à une pression constante exigeant toujours plus de placements en garde à vue. Au sein même de la police, les principales organisations syndicales, SGP et Unité Police, dénoncent un double langage : « C’est le gouvernement qui impose des quotas d’interpellations aux fonctionnaires de la police nationale, tout en mettant la pression sur les policiers par une politique du chiffre aveugle ne leur permettant plus d’exercer avec discernement. » Ainsi, la garde à vue est-elle devenue un acte banal, quotidien et presque systématique pour les policiers alors qu’il s’avère traumatisant pour la plupart de ceux de nos concitoyens qui s’y trouvent confrontés.

La garde à vue a une utilité dans l’enquête, elle permet aux policiers de garder sous les verrous un suspect, de le confronter, de faire des vérifications, des perquisitions… Mais, nous le savons bien, c’est aussi le temps des interrogatoires et l’occasion d’obtenir des aveux. L’individu menotté au banc du commissariat ou de la gendarmerie commence une épreuve dont il ne connaît pas le terme. Il est isolé, sans aucun contact avec ses proches en dehors de l’appel que l’officier pourra passer pour signaler son arrestation. Le gardé à vue ignore parfois ce qui lui est exactement reproché, l’information sur ce point se limitant bien souvent à une qualification (vol, violences…) sans précision, par exemple, de la date et du lieu des faits… Vient la fouille à corps, il faut ensuite attendre de longues heures dans une cellule nauséabonde et sale avant d’être interrogé. Dans certains cas, nos clients nous confient qu’il leur a été suggéré de coopérer s’ils souhaitaient sortir au plus vite. Ces amicales pressions vont parfois même jusqu’à la menace de les envoyer croupir en prison s’ils ne reconnaissent pas les faits. Les mères nous rapportent encore que la menace de se voir retirer la garde de leurs enfants est souvent utilisée.

Dans ce contexte, beaucoup parlent. Certains avouent même des crimes qu’ils n’ont pas commis. C’est ce que les policiers appellent « attendrir la viande ». Pendant des siècles, l’aveu a été considéré comme la reine des preuves. Les innombrables erreurs judiciaires n’y ont rien changé, pas plus que les innocents condamnés et incarcérés. L’aveu a ceci de pratique qu’il conforte, parfois à tort, le juge ou le policier dans sa conviction de tenir un coupable. Dans ce contexte, l’avocat est bien souvent une planche de salut. Non qu’il dispose de pouvoirs extraordinaires, mais il est un contact avec l’extérieur ; il est peut-être aussi l’assurance qu’après son passage il ne vous arrivera rien. L’avocat est à tout le moins une présence bienveillante qui, pour reprendre la formule de la Cour européenne des droits de l’homme, assure « le soutien de l’accusé en détresse ». Il n’est pas rare de voir des gens, même les petits durs habitués des lieux, s’effondrer en larmes une fois seuls avec nous. L’avocat écoute, explique, conseille, informe le gardé à vue de ses droits, notamment celui de garder le silence, car, depuis 2004 il n’est plus notifié.

Beaucoup de policiers ou de gendarmes savent tout cela et nous accueillent donc fort cordialement. Nous ne sommes pas les ennemis, nous avons une fonction différente de la leur, ils le comprennent et l’acceptent parfaitement. Seulement voilà, l’avocat n’intervient pas systématiquement, loin s’en faut. S’il peut théoriquement arriver dès la première heure dans les gardes à vue de droit commun, certains officiers dissuadent l’intéressé d’y avoir recours. La loi elle-même s’oppose dans certains cas à une intervention de l’avocat dès le début. Sa présence n’est en effet possible qu’au bout de trois voire quatre jours dans les régimes dits dérogatoires qui sont fréquemment invoqués. L’intervention de l’avocat dès le début de la garde à vue est pourtant, on l’a compris, fondamentale.

La Cour européenne des droits de l’homme rappelle qu’un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat : « L’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. À cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer. » Elle a récemment insisté sur le fait que les garanties du procès équitable, dont l’une, et non des moindres, est le droit à l’avocat, « revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques ».

La loi française interdit dans bien des cas l’intervention de l’avocat dès la première heure. L’argument le plus savoureux consiste à dire : « Si l’avocat vient dès la première heure, les gardés à vue ne parleront plus pendant les enquêtes. »

Aveu, aveu quand tu nous tiens ! Le Syndicat des avocats de France demande depuis des années la possibilité pour les avocats de pouvoir intervenir dès le début de toutes les gardes à vue. Le président de la République a déclaré en janvier 2007 vouloir en finir avec le règne de l’aveu. Chiche !

Tribune parue dans l’Humanité du 3 février 2010


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