Contre la Grèce, l’Union européenne donne raison aux spéculateurs. Les salariés ne doivent pas payer la note ! (4 articles)

samedi 20 février 2010.
 

1) Un capitalisme moralisé ? Que non !

Les États avaient, en 2008 et 2009, émis des milliers de milliards d’euros pour soutenir les spéculateurs et éviter que l’économie mondiale ne s’effondre. Les dettes publiques avaient, du même coup, atteint des sommets. Aujourd’hui, ces mêmes spéculateurs utilisent les liquidités illimitées mises à leur disposition par les États pour attaquer ces mêmes États, particulièrement ceux qu’ils estiment fragilisés par l’importance de leur dette publique. Voilà pour la moralisation du capitalisme.

Les agences de notation, les fonds spéculatifs, les produits dérivés avaient accéléré la crise des « subprime ». Ce sont ces mêmes agences de notations, ces mêmes fonds spéculatifs, ces mêmes produits dérivés qui ont déclenché la crise de l’euro. Voilà pour la régulation du capitalisme. En exigeant de la Grèce qu’elle réduise ses déficits publics de 4 % en une seule année et de près de 9 % en 3 ans, les 27 dirigeants de l’Union européenne viennent de donner satisfaction aux spéculateurs. C’est ce qu’ils appellent « soutenir la Grèce ».

Ce soutien consiste à exiger de la Grèce qu’elle fasse payer les frais de la crise, dont les spéculateurs portent l’entière responsabilité, aux salariés grecs : recul de deux ans de l’âge de départ en retraite, gel des salaires des fonctionnaires, baisse de 10 % des primes, diminution de 30 % des heures supplémentaires, arrêt total des embauches, nouvelles taxes sur les carburants et augmentation de la TVA !

Une telle cure d’austérité a toutes les chances de provoquer une grave récession en Grèce et d’aboutir à l’inverse de l’effet souhaité mais qu’importe : les spéculateurs exigent, il faut leur donner satisfaction. Cet aplatissement de l’Union européenne devant les spéculateurs ne peut que les encourager. Demain ce sera le Portugal, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie ou la France dont les déficits publics ne sont pas très éloignés de ceux de la Grèce, qui seront dans leur collimateur.

La lutte des salariés grecs qui se mobilisent massivement contre le plan d’austérité de l’Union européenne est la notre. Exigeons de l’Union européenne qu’elle retire son plan scélérat et s’attaque aux spéculateurs en instaurant, comme le propose Attac, une taxe sur les transactions financières à un double niveau : un niveau faible (0,1 %) en temps ordinaire, un taux élevé (de 10 à 50 %) en période de folie spéculative.

Source : http://www.democratie-socialisme.org/

2) « Les banques ont renoué avec les profits 
en spéculant sur la dette publique grecque »

Maria Karamessini, professeure d’économie à l’université Panteion d’Athènes, redoute que le plan d’austérité grec n’alimente le cercle vicieux de la crise, précipitant dans le gouffre une économie déjà fragile.

Comment la crise budgétaire grecque s’articule-t-elle 
à la crise globale  ?

Maria Karamessini. La crise financière a contribué à cette dégradation des finances publiques. Outre les aides et les garanties de l’État (28 milliards d’euros), les banques nationales ont bénéficié de conditions de refinancement exceptionnelles auprès de la BCE, avec des taux très bas, autour de 1 %. Avec cet argent, elles ont financé la dette publique, mais à des taux d’intérêt très supérieurs, autour de 6 %. Elles ont reconstitué leurs profits en partie, en spéculant sur la dette publique.

Il y a aussi des causes internes  : la dégradation des finances publiques s’est aussi faite du côté des recettes fiscales, qui n’ont pas été collectées.

Quelles peuvent être les conséquences sur l’euro  ?

Maria Karamessini. Les médias, les autorités européennes ont adopté un ton alarmiste. Mais l’euro n’est pas en danger. La Grèce fut la première montrée du doigt, du fait de la manipulation par le gouvernement précédent des chiffres relatifs aux déficits publics. Mais, dans le fond, Bruxelles a décidé de faire de la Grèce un exemple de la façon dont les autorités européennes, enferrées dans un libéralisme et un monétarisme institutionnels, vont contraindre tous les pays à revenir dans les clous du pacte de stabilité. La Grèce est le maillon le plus faible de la zone euro, c’est la raison pour laquelle elle a été mise à la disposition des marchés financiers, utilisés ici pour faire pression et imposer de la discipline.

Quelles seront les conséquences du plan d’austérité annoncé  ?

Maria Karamessini. Les coupes budgétaires auront des effets immédiats sur les revenus d’une grande partie de la population, avec un impact particulièrement sévère sur les salariés et les retraités. Ceux-là seront les premières victimes de cette politique, bien que le gouvernement mette en avant une nouvelle loi fiscale, censée répartir plus équitablement l’effort. Dans un pays traditionnellement conflictuel, avec une forte culture politique d’oppositions de classes, cela nourrira des affrontements sociaux et ce, en dépit de la posture plutôt consensuelle des directions syndicales. Nous sommes au début d’une crise systémique qui peut durer très longtemps. Cette politique d’austérité va nourrir un cercle vicieux. La baisse du revenu disponible des ménages, combinée à la hausse du chômage, aura des effets néfastes sur la demande interne. Cela va aggraver la contraction d’activité, avec des conséquences en chaîne. En fait, ces mesures peuvent précipiter l’économie grecque, déjà fragile, dans un gouffre.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui

3) Grèce. « Ce n’est pas à nous de payer cette crise », hurlent les salariés grecs

La colère gronde contre le superplan d’austérité annoncé, faisant planer sur le gouvernement Papandréou le spectre d’une nouvelle explosion sociale dans un pays où précarité et bas salaires sont devenus la norme.

Source : http://www.humanite.fr/2010-02-11_I...

« Ce n’est pas une thérapie de choc, c’est un choc sans thérapie. » La stupeur le dispute à la colère, lorsque Rania Astrinaki, professeure d’anthropologie politique, évoque le programme dit de stabilisation adopté par le gouvernement grec sous le contrôle étroit de Bruxelles. Dans la salle des conférences de l’université Panteion d’Athènes, où les enseignants tiennent une assemblée générale, elle égrène les conséquences de ce vaste plan de restructuration du secteur public, censé ramener le déficit du pays sous les 3 % du PIB d’ici à 2012, contre 12,7 % en 2009. Gel des embauches, réduction des salaires des fonctionnaires, remplacement d’un seul départ à la retraite sur cinq, mise en place d’un système de « surveillance du budget de chaque ministère », report de l’âge légal du départ à la retraite…

Pour l’enseignante, « ce plan de rigueur vise à mettre la Grèce au pas du pacte de stabilité », avec des conséquences préoccupantes pour des services publics déjà dégradés par la disette budgétaire. Les participants pourfendent « un plan d’austérité socialement injuste et économiquement inefficace ». « Cette crise va approfondir encore la défiance vis-à-vis d’une Europe libérale, bureaucratique, où la BCE dispose des pleins pouvoirs. Nous allons droit vers la répétition de l’explosion sociale de décembre 2008 », prévient Stavros Konstantakopoulos, secrétaire du syndicat des enseignants de l’université Panteion.

Dehors, dans le patio, entre deux examens, de jeunes syndicalistes invitent les étudiants à prendre part aux manifestations contre le plan de rigueur. « Le gouvernement use de la crise comme prétexte pour accroître la pression sur les salariés, les jeunes, les retraités, et pour casser des services publics comme la santé et l’éducation. Mais ce n’est pas à nous de payer cette crise dont les riches et les puissants portent seuls la responsabilité  ! » s’indigne Héléni Lekkou, une étudiante en psychologie, membre du syndicat Pame, proche des communistes. Pour désamorcer toute mobilisation populaire, la stratégie du gouvernement socialiste de Georges Papandréou tient en trois mots  : peur, culpabilisation, division. Dans une société où précarité et bas salaires sont devenus la norme, les fonctionnaires, désignés comme des « privilégiés », sont sommés de « faire des efforts ». Un traitement anesthésique qui porte en partie ses fruits. D’autant que les hiérarchies des grands syndicats, très liées aux sociaux-démocrates du Pasok au pouvoir, sont tentées de relayer cette pédagogie de la « responsabilité », malgré la pression de leur base.

Devant une antenne du ministère de la Santé, dans le centre-ville d’Athènes, les mines sont fermées. Une employée, pourtant syndiquée, affiche sa résignation. « Nous n’avons pas le choix, ce plan d’économie est nécessaire. Bien sûr, mon salaire sera réduit, mais nous devons consentir des efforts, faute de quoi la crise s’aggravera encore », soupire-t-elle.

D’après un sondage contesté, mais interprété comme un blanc-seing par le premier ministre, les Grecs approuveraient à 60 % le plan d’austérité. Faux, rétorque Dimitris Agkavanakis, membre du comité exécutif du syndicat de fonctionnaires Adedy (200 000 adhérents), à l’origine de la journée de grève d’hier. « Ces mesures sont impopulaires. Nous appelons les gens à dépasser la peur, à contester ce plan qui vise surtout la préservation des intérêts du capital et des plus riches », insiste-t-il. Pour le syndicaliste, la dérive budgétaire grecque tient d’ailleurs moins à une explosion des dépenses qu’à une politique fiscale injuste et incohérente.

Professeure de physique dans un lycée privé, Sana Kacem scrute, dépitée, l’avis d’imposition qu’elle vient de recevoir. Un tiers de son salaire y passe. « Après le paiement des impôts et des factures, il ne me reste quasiment rien », calcule-t-elle.

Avant de fustiger les cadeaux fiscaux offerts aux privilégiés, la passivité de l’administration fiscale devant leurs fraudes, les exonérations dont bénéficient les entreprises. « Le rétablissement d’une certaine justice fiscale est la condition de l’acceptation sociale de ces mesures d’austérité, analyse Michalis Vergitsis, ingénieur dans une compagnie pétrolière récemment privatisée. Mais on le sait bien, la facture de la crise est toujours présentée aux salariés, pas au grand capital. » Une logique que la victoire du Pasok, à l’issue des législatives anticipées d’octobre dernier, n’a pas inversée. De quoi alimenter l’exaspération de la « génération 700 euros » qui s’était révoltée en décembre 2008. Jeune archéologue rattachée au ministère de la Culture et responsable syndicale, Despina Koutsoumba prédit, elle aussi, une possible répétition de ce soulèvement  : « La jeunesse a le sentiment que tout futur, toute vie décente, toute stabilité lui sont interdits. Cette frustration est potentiellement explosive. »

Rosa Moussaoui

4) Comment on en est arrivé là ?

Source : http://www.humanite.fr/2010-02-11_I...

La zone euro est d’autant plus frappée qu’elle est soumise à des critères monétaristes qui interdisent la solidarité et freinent la relance.

On est entré avec la mise à l’ordre du jour de superplans d’austérité dans le troisième acte de la crise. Le premier avait été marqué par le krach financier de 2007 et 2008 déclenché par l’explosion de la bulle spéculative autour de l’immobilier aux États-Unis (subprimes). La phase suivante s’est caractérisée par un gigantesque effort des États pour voler au secours d’un système bancaire mondial très lourdement contaminé, tant il s’était investi dans l’enflure financière. Des centaines de milliards ont été injectés dans le système au bord du collapsus, ce qui a fait exploser les déficits et l’endettement publics.

Aujourd’hui c’est cette facture que l’on présente aux peuples. Et ce sont les marchés fraîchement « sauvés des eaux » que l’on retrouve à la baguette. Ils agissent en spéculant sur la dette des pays les plus fragiles dans l’espoir d’en retirer des profits rapides. Et la zone euro est l’une des plus exposées de la planète capitaliste. Pour une raison simple. Ses règles de fonctionnement ont été soumises à des dogmes monétaristes avec un seul objectif  : drainer les placements vers l’UE en leur assurant la garantie que leurs plus-values à venir ne seront jamais rognées par l’inflation. D’où le pacte de stabilité et le pouvoir absolu exercé par la BCE. D’où l’interdiction d’accorder des crédits bon marché directement aux États. Comme l’a pourtant fait la Réserve fédérale outre-Atlantique.

Toute vraie mesure de solidarité avec un membre de l’eurogroupe en difficulté est ainsi bannie. Et la «  cohésion  » au sein de la zone euro s’organise – parmi des États soumis à la concurrence fiscale ou sociale – sous l’effet de mesures disciplinaires, Bruxelles se chargeant de la surveillance des comptes publics en adressant au besoin des blâmes aux uns et aux autres. Même l’idée avancée aujourd’hui d’une aide financière accordée à la Grèce ou (et) à d’autres reste prisonnière de cette règle. Le soutien envisagé ne peut donc qu’être assorti de conditions draconiennes, comme le serait n’importe quel plan d’ajustement du FMI. En réalité, il apparaît combien l’Europe ne peut vivre avec une monnaie dont les critères sont antisolidaires. Et c’est là que devrait se situer un vrai débat sur l’avenir de l’euro.

Bruno Odent


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