C’EST VRAI, C’EST DANS LE JOURNAL

dimanche 5 novembre 2006.
 

A Rome, cet été, j’ai découvert le grand disque rond qui représente un dieu barbu à la bouche entrouverte. On y glisse la main. La bouche se referme si on est menteur. Hé ! Hé ! Ca c’est une trouvaille !!! Je pense qu’on pourrait en installer par ci par là dans des coins choisis. Dans une salle de rédaction ça laisserait beaucoup de manchots, pas vrai ? Je ne suis pas sûr que ce procédé soit très au point car j’ai vu un nombre considérable de gens défiler devant ce dieu barbu et personne n’a été mordu. Mais c’est vrai que c’était beaucoup de japonais et peut-être que ce dieu latin ne comprend pas la langue des shoguns. Sûrement qu’il ne comprendrait pas non plus celle des médias. C’est normal c’est pas fait pour parler. C’est fait pour sidérer. Le premier problème sur lequel on bute quand on aborde un problème dans notre pays, quel qu’il soit, c’est ce que les médias en ont fait avant qu’on commence à y réfléchir. Dans ce pays, avant la crise de la démocratie et a son origine il y a la crise de l’irresponsabilité (responsable devant personne) du pouvoir médiatique.

PROPHETIE AUTO-REALISATRICE

Ce soir j’essaie de ravaler l’horreur que m’inspire l’histoire du bus à Marseille. J’ai dix appels sur ma messagerie pour me demander si je veux commenter ça. Je ne crois pas que je vais le faire. Voila quinze jours que les médias nous bassinent avec le soi disant "anniversaire" des émeutes. Autant de jours que le petit Sarkozy gesticule de tous côtés, tous micros et caméras ouverts et offerts. Prophéties auto réalisatrices en quelque sorte. Le dessin à la une du journal "Le Monde" exalte la jubilation morbide de tous les rapprochements nauséabonds auxquels ce bus et sa malheureuse victime donnent lieu. Dés lors, pour moi, la liste des salopards commence avant que le bus ait démarré. Et quand elle finit dans le bus qui brûle, les coupables de toutes sortes sont en fuite. Mais une partie se fera un devoir de crucifier l’autre. Privilège de la position sociale. La jeune femme qui n’a pu s’extraire du brasier et ceux qui sont sortis malades de peur pour le restant de leurs jours, sont les jouets d’une histoire répugnante où les abjects guignols sanguinaires et les pousse-au-crime sont englobés dans la même fumée lacrymo-médiatique. Depuis, les gens qui parlent bien et beaucoup, transforment un acte criminel fait par des criminels en une vaste fresque sociologico-médiatico-politico-tambourinante. Avant toute arrestation il est déjà question de mineurs. Quand bien même ! La plupart des gens qui font du bruit avec leur bouche semblent ignorer que la justice des mineurs existe. Elles traite déjà des mineurs homicides, des mineurs violeurs et autres catégories relevant d’abominations aussi avancées que celles constatée avec ce bus. Ce n’est pas une justice qui méconnait l’horreur dont un mineur est capable. Elle n’est pas laxiste. Elle est pensée, raisonnée et sévère. Qui le dira ? Pourtant tous "les politiques", sous le fouet des ignorants sans scrupule qui les interrogent doivent tous faire assaut de propositions nouvelles, d’idées neuves et autres articles de la parade médiatique qui ne mange que des oeufs frais pondus. Même Ségolène Royal, jamais en reste d’une trouvaille inepte, sort une idée de spin doctor : "les internats de retrait "pour ces jeunes. Il est vrai qu’elle devait absolument dire quelque chose puisqu’un journaliste inspiré lui demande que faire "s’il s’agit de jeune entre 9 et 15 ans". Bien sûr les « internats de retraits » n’existent pas et personne ne lui a demandé en quoi cela consiste. Des criminels en internat ! Ce qui compte c’est que le show continue !

LA LOI N’EST PAS MEDIATIQUE

Chacun étant prié de produire séance tenante la trouvaille du siècle, on pourrait commencer par proposer une nouveauté formidable : appliquer la loi. On commencerait par apprendre par des médias d’information ce qu’elle prévoit. On saurait ainsi que celle-ci ne connaît pas la catégorie 9/15 ans inventée par ce journaliste. Elle connaît les majeurs et les mineurs, et parmi ces derniers, les jeunes âgés de moins de et de plus de treize ans, puis de moins et de plus de 16 ans. Le reste, allez le chercher vous même ! Car c’est incroyable que l’on n’ait pas commencé par là : que prévoit la loi ? Question de type journaliste en CDD dont le rédacteur en chef est un conseiller municipal élu UMP : « que faites vous, maintenant, là, à proximité, concrètement, tout de suite ? Soyez concret, pas de langue de bois ! » Réponse de gauche » : il faut faire ce que l’on fait pour le reste. On protège les banques. On doit protéger les bus. A l’inverse, quel est le sens de l’envoi de compagnies de CRS dans les quartiers sensibles ? Pour tenir les populations en respect ? J’ai envie de vomir devant tant de grossière bestialité. Celle des brûleurs, tristes abrutis sans excuses qui méritent tout le châtiment que prévoit la loi. Celle des irresponsables qui jouent de leurs caméras et commentaires sans se soucier de savoir s’ils attisent haines, peurs et défis irrationnels au nom d’un droit à l’information qui est en réalité celui du voyeurisme et du sensationnalisme. Je sais que je perds mon temps. Je sais à quelle vindicte et vengeances sournoises je m’expose. Mais je me dis que petit à petit pourrait se constituer une résistance dans le milieu de la presse. Les professionnels eux-mêmes vaincraient leur peur et la chaîne de leur statut précaires pour dire tout haut ce qu’ils nous disent sous le sceau de la confidence, quand on parle amicalement, loin des regards et des oreilles (de leurs confrères et concurrents pour la prochaine promotion !) Car ces gens là existent et rongent leur frein. Une de nos taches de gauche au pouvoir consistera à les libérer.

JURY ET VILENIES

Glosant sur la crise de la démocratie dans laquelle il pense naturellement n’avoir aucune responsabilité, « Le Monde », dans un édito solennel (27/10/2006), destiné à défendre les jurys populaires de Ségolène Royal, nous rappelle opportunément : « En mars, un sondage TNS-Soffres a montré que pour 69 % des personnes interrogées les hommes politiques ne se préoccupent pas « de ce que pensent les gens ». Plus récemment nous avons lu que les "français " pensent à soixante pour cent que les élus sont corrompus. Bien sûr ce sont des sondés et pas des français. Et ça fait beaucoup, beaucoup moins. Espérons que tout le monde le sait. Ce harcèlement injurieux bien installé juste à la limite de ce que faisait l’extrême droite des années trente finit par porter ses fruits. Les plus faibles craquent et se flagellent avec ardeur, donnant ainsi raison à ceux qui cultivent activement les soupçons les plus grossiers. A ceux qui me trouvent exagéré je livre cette phrase parue dans l’édito de l’Est Républicain (21/10/2006), le journal qui refuse qu’on mentionne « la barbarie nazie » dans la notice nécrologique d’un ancien déporté. Lisez cette phrase d’accroche par laquelle commence l’édito jetant le venin dont on fait les dictatures « La politique, on le sait, est propice à toutes les vilenies. Surtout à l’approche d’une élections présidentielle ». Bref, c’est cette information à propos de la « corruption » supposée des élus (selon le même journal "Le Monde") qui a donné l’idée à Ségolène Royal de proposer des jurys "populaire/citoyens" pour "juger/aider" les élus et "donner leur avis/décider" sur l’action de leur politique sur le long terme. Je mets entre guillemets les diverses versions données de la chose tant par elle que par ses portes parole rectificatrice. Ne manquez pas de me signaler s’il y a d’autres définitions des fonctions de cet organe de contrôle populaire. J’allongerai la liste des verbes liés par la barre de séparation et je ne mégoterai pas davantage sur leurs contradictions. Aucun journaliste ne les relève. Donc, ça doit être tout du pareil au même.

Quand j’y pense ! Des jurys populaires ! Quand j’étais un jeune militant les anciens se crevaient la paillasse à nous expliquer pourquoi l’assemblée générale des grévistes ne remplaçait pas le syndicat. Puis, quand on a fait les premiers comités de quartier (en 1978....), les camarades qui expérimentaient ça se creusaient la cervelle pour concilier cet exercice avec le travail du conseil municipal. Du temps a passé. Les organes consultatifs, commission et exercice de démocratie participative se sont multipliés à tous les échelons. Ils sont intéressants et souvent utiles (mais pas toujours, surtout quand ils sont investis par les bobos phraseurs qui viennent défendre leurs jardinets bio contre les pollutions populaires de toutes sortes). La démagogie consiste à faire croire que l’expression de l’intérêt général est garantie par cet exercice. Et plus encore quand on veut faire croire qu’il vaut mieux que la démocratie représentative. Car dans la démocratie participative, le principal problème c’est de savoir qui participe ! Pour moi, ardent social républicain, au bout du compte, il faut s’en tenir à la déclaration des droits de 1789. Elle affirme que le seul pouvoir légitime est celui qui est issu du suffrage universel. N’empêche que les jurys populaires, c’est une idée que les gauchistes devraient garder sous le coude. Si la droite, ou la gauche résiste un peu trop à une de leurs idées géniales, hop, ils pourraient tirer au sort un jury et on verra ce qu’on verra ! Tout le monde peut faire ce tirage au sort. Il suffit de prendre la liste électorale. Naturellement c’est la fin de toute action politique organisée, la fin de tout système de représentation, la dictature de l’assemblée générale permanente dont chacun sait que ce n’est pas la démocratie. D’ailleurs Julien Dray, qui en est un précurseur avancé de cette merveille sinon l’inventeur cette fois-ci, l’a bien compris après la séance du Zénith quand un proche de Strauss Kahn lui a dit que le jury populaire avait tranché ce soir là. Juju a moins d’humour depuis quelques temps. Mais il avait de quoi être fâché. De fait, les amis de Ségolène ont eu le dessous en hurlements et sifflets alors qu’ils étaient super bien partis en début de soirée contre Fabius. Misère : les hurleurs de DSK étaient les meilleurs ! Et comme le dit la dépêche AFP, bien partie à l’applaudimètre en début de soirée la fin du discours de la dame se fit dans la confusion une fois que la salle a eu entendu le message ...Bien sûr ce n’est pas le message qui est en cause. C’est le public. "Ils veulent détruire Ségolène" clame le porte parole du parti, si l’on en croit « le Journal du Dimanche ». Sûrement. Et vice versa commente mon chat qui lit ce que j’écris. En fait, les meilleurs jurys populaires ce sont ceux de la télé quand les gens viennent pour suivre l’émission sur le plateau. On les trie à l’entrée d’après leur mine (un panel de bobines significatives). Puis on leur apprend à crier en cadence dés que le signal ad hoc s’allume. Le jury populaire c’est l’assemblée des Jeannots lapins. C’est la carotte qui fait la décision ! De toutes les façons c’est déjà fini. Ségolène Royal a tiré l’échelle. Une fois passé l’effet médiatique, elle remballe. "Il vaut mieux éviter le mot jury puisqu’il a été mal interprété ou volontairement déformé", a t elle déclaré dimanche sur Europe 1. La pauvre ! "Dites désormais "panels de citoyens" ou "observatoires des politiques publiques" a t-elle complété. Ca sera fait cheftaine (féminin de chef) ! Mais, "panels" ou "observatoires" ça le fait moins. D’ailleurs ça existe déjà partout. Mais qui s’en soucie. Sûrement pas les imbéciles qui ont passé des heures à essayer de justifier la profonde trouvaille des "jurys" et qui feraient mieux de se préparer à autre chose dans les prochaines heures. Les besogneux du journal "Le Monde" qui a consacré trois articles et un éditorial à ce thème passionnant sont servis. Ils croyaient explorer une nouveauté. Ils commentent la réinvention des « commissions extra municipales » des années 70/80, repeintes elle-même en "comités d’usagers" ensuite puis relookés en "assemblées de démocratie participative" avec la mise en place de l’Agenda 21 dans les collectivités locales ! Les voici habillées en "panels" et " observatoires". Les pauvres !

LES MEDIAS, AU JURY ! Dommage. Les jurys ça sentait bon l’insurrection populaire. Une idée du style "révolution démocratique permanente" , trotskisme soft, où l’on passe d’une revendication à une autre pour pallier le manque de mobilisation. Après les élus pourquoi pas les journalistes ? En effet 80 % des français pensent que ce sont des menteurs sous influence. Voyez les sondages sur ce sujet. Naturellement ce n’est pas davantage prouvé que pour les élus. Pour être moderne et ne pas récuser les sondages comme le font les archaïques, on peut couper la poire en deux et dire qu’il y a autant d’élus corrompus que de journalistes menteurs et sous influence. Ca donne une base qui souligne bien la gravité du problème ! Donc on pourrait faire des jurys "populaires/citoyens" pour "juger/aider" les journalistes et "donner leur avis/décider" sur leur contribution à la connaissance de la vérité. Ce serait légitime. La presse est subventionnée à mort et les journalistes ont un régime fiscal de faveur. Donc ils relèvent du contrôle du public qui les arrose si généreusement. Le problème est d’ailleurs urgent si on suit ce que dit "Marianne", journal qui vient encore de rappeler sur huit pages à quelles aberrations se sont abandonnés tous les journaux ces dix dernières années en matière de bidonnages et emportements collectifs. Du "charnier" de Timisoara aux "pédophiles" d’Outreau. Sans oublier le "oui" à la Constitution européenne. Et maintenant la mise en scène du deuxième tour avant le premier, bref le tandem "Ségo/Sarko" pour dire la chose dans la langue ridicule des médias de connivence. On a beau être blindé, ça fait toujours autant d’effet quand on a le nez dessus. Après le deuxième débat des candidats socialistes, c’était magique. Les deux mannequins de la chaîne parlementaire attaquent avec des questions super pointues : "qu’est ce que vous pensez des propositions de Ségolène". Ceux là on tout de suite gagné leur galons, non ? Comme l’exercice a recommencé avec chaque série de questions, c’était scotchant. Mais comme le résultat visible n’était néanmoins pas si bon que ça, la madame qui est au centre du monde est allée engueuler après l’émission ce pauvre Jean Pierre Elkabbach : "vous avez ourdi un complot avec Fabius et Strauss Kahn !". Le fantôme de Georges Marchais faisait écho "taisez vous Elkabbach !" A mon avis un jury populaire s’imposait séance tenante. Mais elle a eu tort de s’énerver. Car la garde veillait. La suite a été magnifiquement reprise en main.

On commençait la journée par "France Inter", radio pour laquelle il faudrait au moins dix jurys populaires/citoyens s’il fallait la ramener à l’éthique du service public à certaines heures. La journaliste, qui avait sans doute quelque chose à se faire pardonner, léchait avec fureur les mocassins vernis de la divine : "tout le débat a tourné autour des propositions de Ségolène Royal". Yééé ! A treize heures parait (à Paris) "Le Monde", juge suprême des vérités convenues et bonnes manières ! Le journal qui donne le "la" à toute la presse de province et parait donc pour cela avant tout le monde... depuis Paris. Délectons-nous. Sur quatre colonnes : "PS : Le débat s’organise autour des propositions de Ségolène Royal !" Hurrah ! Hurrah ! C’est bien la preuve que "France Inter" disait la vérité, non ? Et qu’est ce qui nous dit que "France Inter" ne nous bourrait pas le mou ? Eh bien que "Le Monde" le confirme, gros malin ! Quand au flot de bombes politiques proférées par Ségolène, ce n’était pas le sujet qui captait l’attention de ces deux magnifiques organes de presse ni des super blaireaux (tes) qui maniaient la brosse à reluire sur le sujet. Il est vrai qu’il aurait fallu bosser, se renseigner, prendre des notes et ainsi de suite. Tandis qu’un commentaire de communicant à deux balles (qui a "gagné" qui a "perdu") c’est réglé en trente secondes et comme c’est purement subjectif, c’est parole contre parole. Mais nous n’avons pas la parole. Ha ! Ha ! C’est pour ça que c’est parole contre parole, gros malin !


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