L’art, impossible absent dans le débat de l’élection présidentielle

mercredi 24 février 2010.
 

Pourquoi l’absence de véritable débat, en cette période de campagne électorale, sur la place de l’art et de la culture dans notre société, est-elle un symptôme historique extrêmement inquiétant ? Parce qu’elle annonce, pour la première fois depuis la Libération, le risque d’abandon de ce qui constitue une part fondamentale de l’histoire de notre pays. Une part de notre histoire dont est issue la valeur accordée en France à la pensée, à travers notre littérature, notre théâtre, les arts et leur circulation, dans la vision du monde que nous partageons et la place que nous avons su leur donner dans notre vie réelle. Une valeur accordée aux choses de l’esprit qui fut longtemps un exemple pour le monde occidental. Cette absence fait planer une menace de défaite devant l’invasion délétère de l’esprit marchand imposé par ce que l’on nomme « globalisation ».

Le paradigme d’une civilisation, ce qui nous constitue en tant que membres d’un ensemble culturel plus ou moins ouvert suivant les cas, c’est une langue, un terreau commun de pensée, ce sont nos arts. Ce trésor immatériel qui rend possible la relation à l’autre, par l’échange symbolique. On peut s’inquiéter de ce qu’il adviendrait d’une civilisation déjà presque privée de religion, une fois amputée de ce qu’il lui reste de capacité à utiliser le symbole comme moyen d’échange et de construction d’une identité culturelle commune.

Comme le dit le dramaturge anglais Edward Bond, que nous resterait-il aujourd’hui des Grecs, qui sont à l’origine de notre civilisation, s’ils ne nous avaient laissé une philosophie, un théâtre, une mythologie, des temples, des statues ? Autrement dit un art, et un immense arrière-plan culturel issu d’un univers spirituel pétri de symboles... Ce qui nous constitue en temps qu’êtres humains pensant, rêvant, imaginant, désirant, créant, construisant l’improbable avenir. Parce que nous en avons les outils : une langue, des codes, des signes qui nous relient à une mémoire commune, à une volonté d’être ensemble et de rencontrer l’autre, de se frotter à l’inconnu. Des outils symboliques qui permettent de se penser, de se ressentir, autrement qu’en tant que consommateurs ou marchands...

Notre histoire récente fut traversée de soubresauts où cette aspiration, ce désir collectif, confus, éclatant et vibrant, s’est maintes fois manifesté. Des outils ont été construits. On appelle cela : « service public de la culture ». Et je voudrais vous le dire : ça n’est rien d’autre que la manifestation concrète, historique et politique, d’une volonté de donner leur vraie valeur aux choses de l’esprit dans le cadre d’une collectivité humaine. À l’abri des pressions du commerce, de cette obligation de rentabilité que l’Amérique de Georges W. Bush veut imposer au monde avec l’active complicité d’innombrables lâchetés.

Nicolas Roméas directeur de la revue « Cassandre » (1).

(1) www.horschamp.org


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