Rwanda : la France doit corriger son discours officiel sur le génocide (par Dominique Sopo, président de SOS Racisme)

mercredi 3 mars 2010.
 

Monsieur le Président de la République, le 25 février, vous serez le premier président français à vous rendre au Rwanda depuis François Mitterrand en 1984. Cette visite prendra d’autant plus de relief qu’elle suit de quelques semaines la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda après trois ans de rupture.

Nul doute, à cet égard, que le succès diplomatique de votre déplacement ne soit assuré. Mais la diplomatie n’est pas tout et l’histoire tragique du Rwanda exige plus de la France que le froid réalisme qui, à Paris et à Kigali, n’est pas entré pour une faible part dans le fait que soient enfin renoués ces liens consulaires.

Autrement dit, la vérité historique ne saurait être reléguée au second plan. Rappelons les excuses officielles présentées à Kigali par le président américain Bill Clinton en 1998 et par le premier ministre belge Guy Verhofstadt en 2000.

Les pouvoirs publics français, quant à eux, s’entêtèrent, jusqu’au début de votre quinquennat, à adopter une attitude stupéfiante de la part d’une démocratie puisqu’elle se résuma en quelque sorte à éluder ses propres responsabilités et, pour mieux ce faire, à voir certains de ses serviteurs relayer, quand ils ne le susurraient pas, un discours négationniste. Discours qui, pour ne pas être pris pour ce qu’il était, se présenta sous la forme de la théorie du "double génocide" et de la responsabilité du Front patriotique rwandais (FPR) dans le déclenchement du crime contre l’humanité dont furent victimes les Tutsi. Autrement dit, le génocide perpétré par le "Hutu Power" doit non seulement être relativisé par le génocide prétendument commis par le FPR, mais, en outre, celui-ci est le responsable premier du sort des Tutsi. Formidable et abject renversement du rôle des bourreaux et des victimes !

Ces "diversions" sont-elles le fruit d’une adhésion idéologique à cette vision fantasmée de l’Histoire ou le résultat du calcul bien compris de ceux qui pensent que leur aveuglement ou leurs méfaits potentiels dans la préparation et le déroulement du génocide seront masqués par la fange qu’ils répandent à grandes giclées ? Quoi qu’il en soit, elles ne doivent pas plus longtemps nous éloigner de faits décidément têtus et abondamment documentés par quantité de livres, documentaires, enquêtes, recherches universitaires et reportages.

Tout d’abord, la France a aidé financièrement et militairement le Rwanda, notamment dans les années 1990 et officiellement jusqu’en 1993. C’est la France qui a grandement participé à la formation de la gendarmerie et des Forces armées rwandaises, deux des fers de lance du génocide.

C’est la France qui a exfiltré Agathe Habyarimana, veuve du président rwandais tout juste assassiné mais surtout dirigeante notoire de l’"Akazu", officine du pouvoir où les groupes racistes les plus extrémistes planifiaient le génocide. Lui aussi exfiltré par la France : Ferdinand Nahimana, fondateur et directeur de la sinistre Radio des Mille Collines, surnommée "Radio La Mort" pour son rôle fondamental dans l’alimentation de la haine envers les Tutsi et dans la mise en acte de leur extermination. Quel donneur d’ordre pouvait ignorer qui la France protégeait ainsi, au moment même où elle abandonnait les employés tutsi de son ambassade à leurs massacreurs ?

Ce que l’on sait également, c’est que la France, pendant le génocide, était le seul pays occidental à maintenir des relations diplomatiques avec le Rwanda et à recevoir plusieurs hauts représentants du pouvoir génocidaire. Il faut dire que, vraisemblablement, trop nombreux étaient les officiels français considérant une victoire du FPR de Kagamé comme la garantie du basculement du Rwanda dans l’aire d’influence anglo-saxonne, et donc de l’amputation du pré carré français en Afrique.

Ce qui apparaît fort comme une collusion d’une partie de l’appareil d’Etat avec les institutions du génocide n’explique-t-elle d’ailleurs pas pourquoi les soldats français de l’opération humanitaro-militaire "Turquoise" ont été accueillis par les Hutu comme des amis, par des applaudissements, des chants, des danses, des drapeaux français, des portraits de Mitterrand mélangés à ceux d’Habyarimana, des cris "Vive la France !" ? La plupart des officiels rwandais qui accueillaient alors les soldats français, en ces mois de juin et juillet 1994, avaient participé activement à la perpétration du génocide.

Ces quelques éléments parmi d’autres doivent pousser les autorités françaises à contribuer à dire une vérité dont la recherche a été trop longtemps différée ou qui a été trop longtemps tue. Et pour ce faire, de nombreuses questions réclament des réponses.

Des militaires français ont-ils été présents sur les lieux de l’attentat contre l’avion d’Habyarimana quelques minutes après son crash ? Ont-ils contribué à cacher ou à détruire les éléments prouvant qu’il était le fait du "Hutu Power" ? Le Gouvernement intérimaire rwandais - celui qui devait perpétrer le génocide - a-t-il été formé le 7 avril 1994 à l’ambassade de France à Kigali sous la houlette active de l’ambassadeur Jean-Michel Marlaud ? Comment qualifier la signature par Paul Barril, ancienne gloire du GIGN dont on a du mal à penser que ses agissements de mercenaire étaient inconnus de très hautes autorités de l’Etat, d’un "contrat d’assistance" au gouvernement génocidaire ? Cela se passe le 28 mai, soit en plein génocide et onze jours après le vote à l’Organisation des Nations unies de l’embargo sur les armes. Teneur du contrat : vingt hommes et une vente d’armes pour 3 millions de dollars. Peu après le génocide, Paul Barril a été élevé au grade de commandant de réserve. Malgré ou grâce à ce qu’il a commis au Rwanda ?

La liste des questions pourrait s’allonger à l’infini. Elle montre l’urgence pour les autorités françaises à faire toute la lumière sur des faits qu’elles sont parfois les seules à connaître, et de poser une parole politique forte sur la part que prirent des ressortissants français dans le drame génocidaire et dans la diffusion d’une parole négationniste.

Je parle bien ici de ressortissants français et non de la France car les choses doivent être claires : certains responsables de l’époque prennent lâchement "la France" comme bouclier rhétorique, comme si dire leurs responsabilités reviendrait à salir la France. C’est à cette poignée d’individus, qui compte certains hauts responsables de l’Etat, et non à la France, d’assumer les actions qu’ils ont entreprises sans jamais en référer au peuple, à ses représentants, voire au gouvernement, pour agir secrètement, selon une logique qui en fait, sur le plan de la morale sinon sur celui de la justice, les complices du génocide.

En raison de l’honnêteté intellectuelle qui doit sans cesse nous pousser vers le souci de la vérité, du respect dû aux victimes et aux rescapés du génocide perpétré par le "Hutu Power" en 1994 et du caractère édifiant pour les générations futures de l’exposition des mécanismes et des responsabilités, votre visite au Rwanda, Monsieur le Président, est une fantastique occasion de poser les jalons d’un discours officiel revisité à l’aune de ces principes.

Dominique Sopo est président de SOS-Racisme.


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