"Affaire Mélenchon" Ce qui résonne peut-il aider celui qui raisonne ?

samedi 17 avril 2010.
 

Je donne ici mon avis à propos de l’énôrme « affaire Mélenchon » qui agite le net et les médias depuis une semaine. J’ai pris mon temps, me direz vous, et j’arrive un peu après la bataille. Pas faux. Difficile toutefois d’être hyper réactif quand on est pris par mille autres tâches (professionnelles, municipales, militantes…), et surtout quand on a face à soi le spectacle d’un phénomène médiatique qui se répand à une vitesse si incroyable. Malaise personnel d’ailleurs bien révélateur du sujet, que ce contraste entre la lenteur et la pesanteur de notre quotidien et cette excitation fébrile autour d’un évènement tout de même artificiellement fabriqué. Et puis, je reste modeste, qu’importe mon retard, car jusqu’à présent tout le monde l’a constaté, Jean-Luc Mélenchon se défend bien tout seul face à ceux qui voulaient profiter de l’aubaine pour le salir. Il est homme de gros temps, et démontre une nouvelle fois qu’il ne craint pas la tempête. Souvent, je constate qu’elle le transcende. Au pire, elle le révèle. Utile, pour la suite des évènements.

Alors, les faits d’abord. En quelques mots. Comme le personnage de Fabrice Del Dongo dans le roman de Stendhal, j’étais au milieu de la bataille sans en avoir tout vu. Sur le coup, tout cela m’a semblé mineur. Je dirais même insignifiant. « L’incident » que pratiquement plus personne n’ignore, s’est produit à Paris dans le 12e arrondissement (« chez moi » donc comme nous disons prétentieusement dans notre jargon militant) lors d’une diffusion de tracts, le vendredi d’entre deux tours. Nous sommes à Bercy, Jean-Luc revient du Limousin où la veille au soir il vient de participer à un meeting de soutien à la liste du Front de Gauche. Marie-Georges Buffet et Pierre Laurent du PCF sont là. Drapeaux sur l’épaule, beaucoup des camarades présents en arrière plan que l’on peut voir sur le petit film qui a tant circulé sur Dailymotion sont des militants du Comité PG 12e, notamment mes amis Pierre-Yves Legras ou José Espinosa.

Que s’est-il passé ? Ce vendredi là, je passe rapidement saluer Jean-Luc. On bavarde quelques instants du bilan du premier tour et de nos impressions sur le second qui arrive le dimanche suivant. Il me décrit avec enthousiasme le meeting de la veille. J’ai toujours aimé l’écouter quand il décrit ces salles pleines qui vibrent dans les grands moments de notre histoire politique. Beaucoup de journalistes sont là, et longuement devant moi il leur répond. L’incident qui se produit est donc à la fin de cette longue séquence de réponses (près d’une demi heure) à laquelle il s’est plié patiemment avec plusieurs (vrais) journalistes. Parmi eux, ce désormais fameux « étudiant » en journalisme. Lui, ne se cache pas de son statut particulier et c’est aussi pourquoi Jean-Luc lui répond en fonction de ce dernier. L’idée est donc de faire une vraie/fausse interview pour que le jeune apprenne son futur job. Mais, au cours de l’échange le journaliste en herbe (peut-être inconsciemment, qui sait ?) utilise la provocation comme fil conducteur de l’interview. J’invite chacun à écouter la totalité de l’échange. Jean-Luc lui dit qu’il n’aime pas les diversions systématiques et les faux sujets vers lesquels on détourne généralement l’attention des électeurs. Il prend l’exemple de la une du Parisien, trois jours après le premier tour. En l’occurrence le sujet de diversion du jour est : faut-il ou non réouvrir des maisons closes ? Etourdi ou volontairement moqueur, l’étudiant le relance sur le mode : au fait M. Mélenchon, parlez moi de ce sujet dont vous ne voulez pas me parler, et dont vous venez de dire à l’instant qu’il illustrait la médiocrité de la profession à laquelle je me prépare ?

Comment, dans ces conditions ne pas exploser un peu rudement et se dire que l’on perd son temps ? Au nom de quoi l’interview devrait continuer ? A quelle fin ? Pour cet étudiant journaliste ? Mais, manitestement, il n’écoute pas ce qu’on lui dit. Comble du non-professionnalisme du jeune homme, des amis témoins m’ont rapporté qu’il rétorquera à Jean-Luc : "Mais, je suis de gauche, et puisque vous me répondez ainsi, je ne voterai pas pour vous". Navrant. Il est donc clair que cet interview était totalement "hors normes". Dans des conditions identiques, n’importe qui aurait mis un terme à cet exercice qui, manifestement, ne menait à rien. Pour bien le connaitre, je dis que Jean-Luc Mélenchon est un intellectuel en politique qui aime le débat d’idées. Par contre, il ne supporte pas le mépris de ceux qui entretiennent volontairement le débat public dans la médiocrité afin d’en tenir éloigner les citoyens. A plus forte raison, s’il s’agit d’un apprenti qui singe les pires travers de ses futurs collègues.

Ce qui est aussi nouveau (mais ce n’est pas le premier exemple), et c’est là à mes yeux un des grands enseignements de cette « affaire », c’est que, en matière audiovisuelle, n’importe quel brouillon inachevé d’un étudiant peu subtil, peut faire la Une des principaux organes de presse dès le lendemain. A condition que le système politico médiatique le décide. Donc gare. Le premier observateur mal avisé muni d’un téléphone portable peut avoir la puissance visuelle des plus grandes chaines TV. Que penser de cette transparence ? Elle impose à l’évidence de nouvelles règles au débat public. Sont-elles meilleures que les précédentes ? Pas sûr. D’un seul coup, en quelques heures, plus de 100 000 personnes visionnent une vraie/fausse interview qui s’est mal déroulée (donc ratée, non ?) et celle-ci définitivement, contre toute attente, devient bien réelle. Où sont le vrai et le faux ? Qui décide, dans ce métier, du changement de nature des images ? Qui place la loupe sur l’altercation anecdotique de quelques minutes passé inaperçues dix jours plus tôt, pour en faire un sujet majeur de toutes les émissions télévisées ? Réponse : seuls, sans contre-pouvoir démocratiquement controlé, les journalistes des grands médias peuvent prendre cette décision. Lourde responsabilité, non ? Peut-on en débattre dans l’espace public ?

A leur sujet, bien sûr, la généralisation n’a évidemment aucun sens. Derrière le mot de « journaliste » bien des réalités différentes se dissimulent. On le sait, mais il faut sans doute insister. Quel rapport entre Albert Londres et Jean-Pierre Pernault, entre Closer et l’Humanité ? Rien. Il me revient en mémoire la réflexion de Daniel Bensaïd, disparu il y a peu de temps, qui rappelait dans son autobiographie militante (Une ardente impatience, éditions Stock), une conversation avec son ami le journaliste Edwy Plenel. Ce dernier attirait son attention sur le tableau Le serment du jeu de Paume du peintre Louis David. Dans cette magnifique œuvre bouillonnante, on y voit deux journalistes. Barrère, assis sur une chaise, qui prend des notes factuelles de ce qui est en train de se dérouler, symbole du journalisme qui se veut objectif (quasi logographe parlementaire) et Marat, Directeur de L’Ami du peuple, dressé, enflammé, qui représente le journalisme militant, trait d’union entre le peuple et la salle, acteur engagé de la grande Révolution. Parenthèse, l’historien scrupuleux ferait remarquer l’anachronisme car Jean-Paul Marat n’était pas encore député ce jour là, et il n’était pas présent lors du serment. Mais, David l’a ajouté. Donc, au cœur de la Révolution française, déjà deux journalismes possibles, au moins. Mais, en réalité beaucoup plus, on le sait à présent. Et l’indépendance financière des médias, aujourd’hui mise à mal, le conformisme idéologique étonnant (même quand il se présente comme rebelle) de journalistes si souvent précaires, ne fait que rendre le métier encore plus soumis aux pires errements.

Allons à l’essentiel. Pour battre la droite demain, la bataille doit aussi se mener sur le terrain idéologique. Alors, il est temps d’engager le grand débat démocratique et citoyen à propos des médias et la nécessaire critique qu’il faut leur porter. C’est aux journalistes eux-mêmes,avec leurs associations, leurs syndicats, leurs codes éthiques, de nous aider dans ce chantier majeur. Ils savent mieux que quiconque les coulisses du métier. Il n’est pas de société démocratique sans liberté de la presse, c’est une évidence.

Aujourd’hui, en France, où en est-on ? Le sociologue Jacques Muglioni écrivait dans l’un de ses ouvrages : « Il aura fallu deux cents ans pour imposer la liberté de la presse. Il faut maintenant se battre contre la presse pour être libre ». Ce jugement sévère devrait interpeller toute cette profession. Edwy Plenel dans son livre Un temps de chien, réflexion sur son métier rédigée en 1994, débute sa conclusion en ces termes : « Nous ne pouvons guère jouer les fiers. La figure de l’arriviste et du vénal, du corrompu et du cynique, c’est la nôtre : celle du journalisme. » Quand il écrit ces mots si durs il y a déjà plus d’une quinzaine d’années, Edwy Plenel est Directeur de la rédaction du Monde. Aussi, je m’étonne de lire dans le même quotidien il y a quelques jours, sous la plume de Béatrice Gurrey que j’ai connue par le passé plus inspirée, un long article étrillant Jean-Luc et expliquant que les journalistes exercent désormais un métier très difficile puisqu’ils seraient la cible constante des hommes politiques. Décevant esprit de corps, qui se caricature. L’analyse du métier de journaliste, face sombre ou lumineuse, ne peut se limiter à cette simple façon de crier "Bas les pattes", à cette courte auto-défense de circonstance. Désolé, pas convaincant.

« L’affaire Mélenchon », s’il en existe une, doit servir à bien plus. Elle doit aider à travailler pour l’intérêt général. Puisque les mots de colère de mon ami Jean-Luc résonnent manifestement si forts dans l’espace médiatique, il est indispensable que conjointement toute une profession, sans laquelle aucune réelle République ne peut exister, raisonne à son tour.


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