Claude Roiron est secrétaire nationale du parti socialiste chargée de l’Éducation. Elle soutient la candidature de Laurent Fabius.
L’école a toujours été la priorité des socialistes et elle doit le rester car c’est là où tout se joue, à la fois le destin commun d’une nation mais aussi la possibilité unique pour chaque individu d’acquérir les principes essentiels de sa liberté et de sa vie. Tel est le rôle de l’école non pas tant d’assurer l’égalité des chances, qui ne dépend évidemment pas d’elle, mais de garantir la promesse de la République d’un égal accès à un droit à l’éducation pour tous.
Pour la gauche, la question scolaire ne saurait être dissociable de la question sociale. L’école est aujourd’hui en crise profonde, crise de confiance et d’identité parce que la société est fermée, bloquée voire déboussolée. Le repli social s’accompagne d’un rejet de l’institution scolaire qui peine à lutter contre les effets destructeurs du libéralisme que sont l’augmentation et l’extension de la précarité mais aussi la dévalorisation du savoir et la perte progressive des valeurs humanistes.
Aussi le risque est grand que l’école publique et laïque ne succombe sous les coups de boutoir conjugués des politiques libérales de droite - diminution drastique des moyens, renforcement d’une école à deux vitesses avec des mesures comme l’apprentissage dès 14 ans- et des doutes s’installant dans l’opinion publique qui exige que l’école apporte une réponse immédiate en terme d’efficacité à des soubresauts dont l’épicentre se situe ailleurs. Ceci bien sûr n’est pas sans conséquence dans l’esprit de certains élèves et particulièrement de ceux appartenant aux milieux les moins favorisés. Ce n’est sans doute pas dénué de sens, si l’an passé au moment des troubles dans les banlieues de nombreuses écoles maternelles et primaires furent incendiées .Bien évidemment cela a des répercussions lourdes sur les enseignants qu’un certain populisme a transformé en bouc émissaire des échecs individuels de leurs élèves alors que c’est l’ensemble du système qui est verrouillé.
Il y a donc urgence pour nous les Socialistes à replacer l’école au cœur du débat démocratique, car nous ne pouvons laisser en situation de grave abandon comme c’est le cas actuellement, près de 15 % d’une classe d’âge. Nous le payons déjà cher car c’est dans les établissements où sont affectés les élèves socialement défavorisés, orientés dans des filières qu’ils n’ont pas nécessairement choisies que sévit la violence et non dans les établissements de centre ville fréquentés par les catégories les plus aisées. Il y a donc là une véritable nécessité de justice sociale et le débat ne saurait se limiter à la seule question de l’autorité ou du respect, certes nécessaire, qui ne se décrète pas mais se construit. Nous ne pouvons aujourd’hui nous réfugier dans le discours nostalgique et manichéen de la discipline et du magistère du verbe.
Pour réconcilier le pays avec son école, il nous faut définir, promouvoir et mettre en œuvre quatre grands principes :
1. Il faut tout d’abord que chaque enfant vivant sur le sol de France puisse accéder à un même savoir quel que soit le lieu où il vit, l’appartenance sociale, culturelle, religieuse ou non de ses parents. Pour tous les républicains, ce principe de l’équité de traitement sur tout le territoire national est intangible. Pour cela il faut qu’il y ait une régulation des liens entre écoles et territoires. C’est le rôle entre autre de la carte scolaire qui a pour objectif d’instaurer la mixité scolaire là où la mixité urbaine et sociale ne l’assure pas. Supprimer la carte scolaire ne peut se comprendre que dans une société très libérale qui fait du savoir un enjeu de la concurrence et donc un produit marchand comme un autre. Cela ne saurait être la vision de la gauche. Certes la carte scolaire n’est pas le seul outil de volontarisme politique en ce domaine, elle est de plus perfectible, mais elle doit inclure le privé dont 98 % est sous contrat et donc financé par l’État. Il faudra aussi parler péréquation, mutualisation pour sortir de cette logique stérile et impuissante de zonage et de discrimination. C’est pourquoi, pour plus de justice sociale, il faut doter les établissements en fonction des catégories socio professionnelles qu’ils accueillent. De la même façon, il faut assurer des formations diversifiées et de prestige dans les quartiers dits sensibles.
2. Le deuxième principe concerne la création d’une culture commune et partagée. C’est sans doute ce qui manque le plus aujourd’hui à l’école de la République. Seules les valeurs de la laïcité, nous permettent de vivre ensemble, à l’école comme ailleurs. Elle est le meilleur rempart contre toutes les formes de communautarisme et d’intégrisme, contre toutes les tentatives d’étiolement de l’esprit. Il faut donc les promouvoir à l’école plus qu’ailleurs.
Cette culture commune doit s’étendre à tous les partenaires de l’école car l’éducation n’est pas seulement du ressort de l’Etat. Aujourd’hui y concourent largement les collectivités locales dont le rôle et les compétences en ce domaine doivent êtres clairement redéfinis tout en préservant le caractère national du sujet éducatif. Il faut également s’appuyer davantage sur les associations périscolaires car leur participation plus étroite au système est sans doute une voie pour réduire les inégalités sociales et culturelles. Enfin il faut instaurer une vraie relation de confiance entre les parents et l’école car le soutien, la participation des parents à l’apprentissage scolaire de l’enfant est déterminant dans sa réussite. Pour cela commençons par refuser la culpabilisation des parents dont les enfants posent problèmes et cessons de les classer entre bons ou mauvais parents.
3. Troisième principe : il concerne la lutte contre l’échec scolaire. Pour cela deux leviers d’appui ; d’abord garantir un soutien individualisé des élèves, autrement dit offrir à tous la possibilité d’études surveillées. C’est là un facteur d’inégalité sociale, tous les enfants n’ont pas dans leur famille un endroit tranquille pour y faire leurs devoirs. Si nous voulons lutter contre la marchandisation de l’école et le développement galopant des officines de toutes sortes (pour lesquelles la droite a rendu possible une exonération d’impôts ; alors que seulement la moitié des français paient l’impôt sur le revenu) l’école doit permettre ce temps d’appropriation du savoir par chaque élève cela nécessite une approche nouvelle et des pratiques complémentaires, voire l’extension des missions des enseignants.
Il faut également revoir la voie professionnelle et technologique car il y a bien là une réelle question de justice sociale ; compte tenu des milieux auxquels appartiennent les élèves qui fréquentent cet enseignement. Ceci doit être le cœur de notre combat pour plus d’égalité à l’intérieur même de l’école. Il faut mettre cet enseignement à égale dignité avec l’enseignement général. Pour cela il est nécessaire de reconsidérer l’orientation dans ces filières qui trop souvent se fait par défaut. En outre, il faut améliorer l’enseignement général et plus largement la place de la culture dans tout le système mais plus particulièrement dans l’enseignement professionnel et technologique. La musique n’est pas enseignée dans la voie professionnelle et technologique les baccalauréats professionnels ne comportent pas de philosophie. Parallèlement, dans un mouvement réciproque, il faut revoir la place de la technologie dans tout l’enseignement général.
4. Le quatrième principe concerne la revalorisation du métier d’enseignant. Cette question est déterminante car nous le savons -et nous avons payé nos erreurs d’hier très chères-, il ne peut y avoir de transformation dans le système éducatif sans l’assentiment et la participation active de ceux qui le font vivre au quotidien. Ceci n’est pas pour le parti socialiste un enjeu électoral voir électoraliste, c’est un enjeu idéologique majeur car, pour la gauche, l’enseignant n’a pas pour seule mission de transmettre un savoir mais il a le devoir de former des citoyens libres. C’est une belle tache que de faire éclore l’intelligence et les talents de chaque enfant et de lui apprendre à vivre avec d’autres qui ne lui ressemblent pas. C’est un beau rôle dans une démocratie vivante que de contribuer à l’élévation générale du niveau d’éducation d’une nation, seul moyen pour qu’un peuple puisse rester libre. Néanmoins aujourd’hui le monde enseignant connaît une grave crise. Mis en cause dans l’exercice même de leur profession (exemple l’affaire de la lecture globale). ils ne se sentent plus considérés par la société, ni respectés dans leur salle de cours. Ce sentiment dépasse largement la question de la discipline et ce n’est pas en prônant l’introduction de gros bras au fond des classes, ni des militaires pour encadrer les élèves récalcitrants dans des maisons de correction qu’on règlera les problèmes. Au contraire il faut, même si c’est à contre courant, réclamer plus de justice pour les enseignants et les personnels de l’éducation. Plus de justice en matière de recrutement pour que ce métier redevienne un métier de promotion sociale plus de solidarité envers les enseignants notamment de la part de l’État car les professeurs ne sont pas beaucoup accompagnés tout au long de leur carrière. De la même façon, il faudra lever certains tabous, notamment celui de la rémunération, car actuellement la formation des enseignants n’est pas prise en compte à son juste niveau. Les professeurs français sont les seuls en Europe à être payés à bac + 3 alors que, dans tous les autres pays, ils sont rémunérés sur une base de bac + 5. Une meilleure prise en compte de toutes leurs taches, et des difficultés d’exercer leurs missions dans certains établissements pourraient constituer d’autres pistes pour améliorer leurs conditions de travail. Ceci devra faire l’objet de négociations avec les personnels et leurs représentants et non pas être imposé péremptoirement au nom de je ne sais quelle bonne idée issue de l’esprit brillant des uns ou des autres.
C’est donc à la fois un objectif politique -garantir un droit à l’éducation pour tous- et une méthode, celle du dialogue et du rassemblement de tous les acteurs et partenaires du système éducatif, que la gauche et particulièrement le Parti socialiste doit proposer au pays pour 2007. Il serait dangereux pour les socialistes de se laisser embarquer dans une démarche sécuritaire qui les écarterait de leur propre histoire et de leurs valeurs et les transformerait en voiture-balai de la droite.
L’éducation pour tous est la condition première du progrès social ; elle est ce qui nous permet de vivre ensemble au-delà de toutes nos différences. Ce bien-là ne doit pas être galvaudé. Il est l’héritage que nous devons aux générations suivantes car pour la gauche construire des écoles, c’est toujours et encore abattre les murs des prisons.
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