Louise Michel. Féministe et révolutionnaire  :« Révolution, mes amours  ! »

mercredi 9 mars 2016.
 

Portrait de l’une 
des grandes figures 
de la Commune et 
du mouvement ouvrier français. Elle fut une combattante inlassable de l’injustice sociale 
et de l’émancipation féminine (*).

Victor Hugo lui a dédié un poème, Viro Major (plus grande qu’un homme  !). Verlaine voyait en elle « l’ange gardien du pauvre ». Séverine (la première femme journaliste) admirait « Louise de la misère et de la miséricorde, vibrante comme la révolte ». Georges Clemenceau saluait « une chrétienne des premiers jours ». Mais si Louise Michel vivait aujourd’hui, nul doute qu’elle nous inciterait à brûler les banques… La bâtarde est venue au monde, le 29 mai 1830, dans le château délabré d’un petit village de Haute-Marne. Où a-t-elle puisé la force extraordinaire de se révolter pour défendre les travailleurs, lutter contre les injustices faites aux femmes, s’élever contre le colonialisme et, sans hésiter, sauver le monde  ? Marianne, sa mère, servante soumise, même pas capable de dire quel châtelain l’a engrossée (le père ou le fils  ?), ne veut pas que sa fille pique une colère quand elle voit les pauvres mourir de faim, car « ça fait pleurer le bon Dieu ». Et lorsqu’à vingt ans, Louise, jeune fille romantique et royaliste, écrit à Victor Hugo, elle lui dit qu’elle « s’est donnée à Dieu pour toujours ». Alors  ? Où a-t-elle été chercher « l’anarchie communiste qui de toutes parts est à l’horizon »  ? Le vieux châtelain lui a fait lire très jeune les philosophes des Lumières. Lui et sa femme (grand-mère Demahis, dite Louise) lui ont donné une éducation de demoiselle libre-penseuse et ont laissé libre cours à son insatiable curiosité. Elle galope comme « un cheval échappé » et prend des rages contre les tortures infligées aux bêtes. Elle fera de cette terrible émotion le cœur de son engagement  : ne jamais se plier à la raison du plus fort. Se marier  ? Au diable les prétendants que lui propose sa famille, elle ne va tout de même pas se laisser mettre en cage. « Comme toutes les femmes, je plaçais mon rêve très haut », écrit-elle.

Louise devient une institutrice passionnée. Féministe dans l’âme, elle veut absolument que les filles aient une aussi bonne éducation que les garçons, elle veut tout leur enseigner  : les mathématiques, le théâtre, les sciences naturelles et même l’éducation sexuelle  ! alors qu’à l’époque on leur apprenait surtout les travaux d’aiguille et le catéchisme. « Si l’égalité entre les deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine », affirme-t-elle. Elle ouvre une école à Montmartre, à Paris. Là, s’agite tout un monde de révoltés  : républicains, anarchistes, socialistes de toutes tendances. Elle se radicalise, prend la parole dans les meetings, enflamme les foules. Lorsqu’au matin du 18 mars 1871 le peuple de Paris se soulève, elle est au premier rang des rebelles, émerveillée par cette « aube splendide de délivrance ». Pendant les jours de la Commune, où le peuple a pris le pouvoir, elle ne touche plus terre  : « C’est dans la Révolution que battent nos ailes  ! », s’écrie-t-elle. Mais, très vite, les Versaillais attaquent Paris  ; elle s’empare d’une carabine Remington et fait le coup de feu, souvent vêtue d’un uniforme de garde national, grimpant à l’assaut des barricades, au mépris du danger – sans oublier de sauver un chaton ou de soigner les blessés. La Commune écrasée, elle est condamnée à la déportation dans une enceinte fortifiée. C’est lors de son procès qu’elle devient vraiment célèbre  : elle réclame la mort et défie ses juges – tous des hommes, impressionnés par le regard de feu de cette indomptable.

En Nouvelle-Calédonie, son attitude a aussi de quoi surprendre. N’est-elle pas capable de défendre les Canaques, d’étudier leur langue et leurs mythes et de leur donner des cours  ? Elle leur reconnaît ainsi une véritable civilisation alors que presque tous les Occidentaux, à l’époque, considèrent que ces Noirs sont à peine des êtres humains… 
Les Blancs ne sont pas supérieurs, 
ils sont mieux armés, c’est tout. C’est la même idée que dans son enfance  : « Tout se tient, tous les crimes de la force… »

Revenue en France et plus que jamais agitatrice, elle est jetée en prison parmi les prostituées  : elle les défend aussi. Ces femmes ne sont pas des délinquantes méprisables, ce sont les victimes de souteneurs qui abusent d’elles parce qu’elles sont pauvres et sans défense, les battent et les vendent, « car le bétail humain est ce qui rapporte le plus ». Que les « grands négociants des marchés de femmes » soient pendus  ! Bien avant Beauvoir, elle considère que le mariage est une prostitution légalisée. « Est-ce qu’il n’y a pas des marchés où l’on vend, dans la rue, aux étalages des trottoirs, les belles filles du peuple, tandis que les filles des riches sont vendues pour leur dot  ? L’une, la prend qui veut  ; l’autre, on la donne à qui on veut. La prostitution est la même. » Que les ouvriers fassent la grève générale et viennent à bout de leurs patrons qui les pressent comme des citrons  ! Posons des bombes contre les tyrans (elle-même ne le fera pourtant pas), cela fera place nette pour un avenir radieux. « Allons, allons, l’art pour tous, la science pour tous, le pain pour tous  ! Levez-vous, les grands chasseurs d’étoiles  ! » Elle, la généreuse, la consolante, la charitable, « la Sainte laïque », n’hésite pas à appeler à la lutte finale  : 
« À travers des fleuves de sang, voici venir la délivrance  ! »

Son combat flamboyant pour la dignité des malheureux provoque admiration extrême ou horreur indignée. Ardente prophétesse, femme au verbe haut, elle fait la une des journaux. Quand elle meurt d’épuisement, le 9 janvier 1905, son enterrement est suivi par une foule de cent mille personnes.

L’histoire de France l’a reconnue. Plusieurs centaines de rues (et le grand square sous le Sacré-Cœur, à Paris), d’écoles, de lycées, de centres sociaux, partout en France, sont baptisés Louise-Michel. Elle est même la seule femme à avoir une station de métro qui porte son nom.

Xavière Gauthier, écrivaine

(*) France 3 lui consacre un téléfilm, 
Louise Michel, la Rebelle , 
réalisé par Solveig Anspach, 
diffusé ce soir à 20 h 35 
(voir page 20).

Louise Michel, rouge fleur de germinal

La publication de deux des ouvrages majeurs de la combattante de la Commune de Paris, militante républicaine, socialiste et anarchiste, est l’occasion d’une redécouverte de son œuvre à la fois littéraire et politique.

L’espérance révolutionnaire de Louise Michel fut celle d’un siècle. Née deux mois avant les journées de juillet 1830 qui virent se rallumer le brasier de la Révolution française, son existence s’acheva, à presque soixante-quinze ans, le 9 janvier 1905 à Marseille.

La publication, aux éditions La Découverte, du second tome de ses Mémoires (1), ainsi que la réédition de ses Souvenirs (2) sur la Commune de Paris, sont l’occasion de redécouvrir ce personnage que Victor Hugor déclara «  viro major  », «  plus grande qu’un homme  », institutrice, militante inflexible et incorruptible, journaliste, écrivain et poète.

« La Mégère, la Pétroleuse, 
le Monstre à face humaine »

Au lendemain de la Semaine sanglante, elle fait partie des milliers de communards condamnés par les conseils de guerre à la déportation. Après avoir passé deux ans en prison, elle demeure sept années en Nouvelle-Calédonie. Sur la presqu’île Ducos tout d’abord, à Nouméa ensuite, sa peine commuée en «  déportation simple  ». En Nouvelle-Calédonie, elle se lie avec les habitants par l’intermédiaire de Daoumi, Kanak travaillant pour l’administration française. Elle recueille les légendes et chants kanaks et prend fait et cause, en 1878, pour le soulèvement des Mélanésiens contre la spoliation de leurs terres par les colonisateurs.

« La Mégère, la Pétroleuse, le Monstre à face humaine, tels sont les noms que plusieurs générations de bourgeois ont mis à côté de son nom  », écrivit Henri Barbusse. Les premiers qui caricaturèrent ainsi la combattante du Comité de vigilance de Montmartre et l’animatrice du Club de la Révolution à l’église Saint-Bernard qui fut des ultimes combats de la Commune ne furent pas les derniers à se presser pour admirer les têtes coupées des chefs kanaks rebelles envoyés par le gouverneur Jean-Baptiste Olry pour la troisième Exposition universelle de Paris. Les 500 survivants du massacre colonial seront vendus comme esclaves à des négriers. Autre «  bienfait  » local de la colonisation, oubliés sans doute par ses «  héritiers  », leurs femmes et leurs enfants seront abandonnés comme butin aux troupes. «  Eux aussi luttaient pour leur indépendance, pour leur vie, pour la liberté. Moi, je suis avec eux, comme j’étais avec le peuple de Paris, révolté, écrasé et vaincu  », écrit Louise Michel. Elle reprend son métier d’institutrice à Nouméa peu de temps avant l’amnistie complète des communards obtenue en 1880. Elle avait refusé la sienne l’année précédente.

Fille illégitime de Clément Demahis et de Marie-Anne Michel, domestique au château de Vroncourt-la-Côte, dans la Haute-Marne, Louise Michel reçoit une éducation mêlant Lumières républicaines et Arts romantiques entourée de son «  grand-père  » Étienne-Charles Demahis et de sa «  grand-mère  » Louise-Charlotte. Elle évoque les années passées auprès d’eux dans le «  nid  » de son enfance aux quatre tours carrées, en ruine presque, au début du premier tome de ses Mémoires (3). Comme souvent, sinon toujours, sa prose est parsemée de poésies et de chansons. À vingt et un ans, elle devient institutrice et enseigne une année à l’école libre d’Audeloncourt avant de se rendre à Paris. «  École libre, comme on disait  », sinon, «  il eût fallu prêter serment à l’Empire  », écrit-elle. Elle ne le fit jamais. Le coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte avait mis la République sous le joug du plébiscite et exilé Victor Hugo avec lequel Louise Michel, jeune poète, avait engagé une correspondance. À Paris, elle enseigne rue du Château-d’Eau, puis à Montmartre. Elle suit des cours d’instruction populaire à la rue Hautefeuille. Républicaine «  rouge  », elle ravive la cause du féminisme, défend une pédagogie anti-autoritaire et laïque et adhère au socialisme. Elle rencontre Vallès, Varlin, Rigault, Ferré. Blanqui est enfermé. L’Empire s’épuise et s’enlise. Le drapeau noir et rouge flotte sur la marmite et quand, au lendemain de la défaite de Sedan, le Parti de l’ordre et la République «  modérée  » complotent pour vendre la France à l’Allemagne, les travailleurs allemands aux Junkers prussiens et saxons et ceux de France aux Maîtres des mines et des forges, elle est en première ligne pour défendre les hauteurs de Montmartre, le 18 mars 1871.

Une activité militante 
dans les rangs de l’anarchisme

Le second tome des Mémoires de Louise Michel, inédits depuis leur publication sous forme de feuilletons en 1890 dans le journal l’Égalité, reviennent sur son activité militante dans les rangs de l’anarchisme. Il montre aussi un auteur en prise avec les apories du pacte autobiographique. On lira avec intérêt la présentation des problématiques associées à cet ouvrage que donne Claude Rétat, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des rapports entre littérature et politique, dans le livre proposé par les éditions La Découverte.

À ce moment de son œuvre qu’elle voulait «  à travers la mort  », Louise Michel survivra quinze ans au cours desquels elle s’épuisera à force de conférences, de procès, d’actions d’éclat et de polémiques enflammées. Elle rencontre Lénine le 18 mars 1903 à Londres, à l’occasion d’un meeting consacré à la Commune. Zalman Wendroff évoque cette rencontre. «  Plusieurs orateurs prennent la parole, chacun dans sa langue, écrit-il. Les discours sont ensuite traduits en russe. La parole est donnée à Louise Michel. En français, dans une langue littéraire, passionnée et mélodieuse, elle parle de la Commune et de la chute de la Commune. Quand elle termine, un silence poignant règne dans la salle. Très peu d’auditeurs comprennent le français, mais tous restent immobiles, comme ensorcelés par ses paroles. Lorsque le président annonce qu’un camarade va traduire le discours de Louise Michel en russe, des voix se font entendre de toutes parts  : “Ce n’est pas la peine  ! Ce n’est pas la peine, nous avons tout compris  !” Mais voilà à la tribune Vladimir Ilitch Lénine, homme jeune de trente-trois ans ans. Calme, il parle doucement de la période de la Commune et de la Commune de Paris elle-même. Il relève les fautes commises avant la Commune et pendant la Commune, fautes qui devaient conduire à sa chute. “Toutes les fautes doivent être corrigées dans les combats que la classe ouvrière engagera bientôt contre le tsarisme et le capitalisme en Russie”, déclara-t-il. À la fin de son discours, des applaudissements enthousiastes éclatent, interminables.  »

L’émotion et la mémoire portée avec ardeur par Louise Michel pendant trente-cinq ans, son appel infatigable à la révolution à venir devaient céder la place à l’action.

Aux funérailles de Louise Michel, 120 000 personnes l’accompagneront, drapeaux noirs, drapeaux rouges piquant bonnets phrygiens, jusqu’au cimetière de Levallois-Perret. Le même jour, la répression sanglante d’une manifestation sur la place du palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg par l’armée du tsar Nicolas II marque le début de la première révolution soviétique. De la Liberté guidant le peuple, d’Eugène Delacroix, à la Révolution russe de 1905 qu’immortalisa Sergueï Eisenstein dans le Cuirassé Potemkine, l’ardent appel aux floraisons de germinal de celle que Paul Verlaine appelait la Vierge rouge traverse le nôtre, selon les mots de Zola, «  pour les récoltes du siècle futur  ». C’était le 22 janvier 1905. Le 9 d’après le calendrier julien. (1) Louise Michel, À travers la mort. 
Mémoires inédits, 1886-1890, édition établie et présentée par Claude Rétat, La Découverte, 2015, 280 pages, 22 euros. 
(2) Louise Michel, La Commune, édition établie et présentée par Éric Fournier et Claude Rétat, La Découverte, 2015, 400 pages, 14,50 euros. 
(3) Louise Michel, Mémoires, La Découverte, 2002, 336 pages, 28,50 euros.

œillets rouges et fleurs de niaouli Dans le film évoquant les années de déportation de Louise Michel en Nouvelle-Calédonie, Sólveig Anspach fixe une scène où Sylvie Testud, dans le rôle-titre, chante avec ses compagnons de déportation la Canaille, d’Alexis Bouvier et de Joseph Darcier, une chanson d’avant la Commune. Un film à voir ou à revoir à l’odeur de cerisier et de niaouli, l’arbre de Kanaky. «  Ils fredonnaient la Marseillaise / Nos pères les vieux vagabonds / Attaquant en quatre-vingt-treize / Les bastilles dont les canons / Défendaient la vieille muraille.  » Francesca Solleville l’a chantée de manière magistrale  : «  Que de trembleurs ont dit depuis  : / – “C’est la canaille  !” – Eh bien  ! j’en suis  !  » J. S.

Jérôme Skalski, L’Humanité

Louise Michel la rebelle, Solveig Anspach, DVD, 90 minutes, 2008.


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