Les enjeux des élections générales au Royaume-Uni

vendredi 7 mai 2010.
 

Le 6 mai prochain, les Britanniques sont appelés aux urnes pour élire leur Parlement. Ces élections promettent de se jouer sur le fil du rasoir. Est-ce du fait du contexte économique particulièrement difficile auquel est confronté la Grande-Bretagne ? Le pays a, il est, vrai été touché de plein fouet par la récession de 2008-2009, et la situation économique semble encore loin de s’améliorer. Les situations choquantes des milliers de licenciements ou de la spoliation des épargnants lors du sauvetage de la banque Northern Rock, souvent comparées à celles de la Grande Dépression de 1929, sont encore très présentes dans l’esprit de tous les Britanniques. L’issue de ce scrutin comporte donc une grande dose d’incertitude et des enjeux considérables.

L’indécision des votants face à l’urgence économique et sociale

Depuis leur victoire aux élections européennes et législatives, les Tories, parti d’opposition conservateur et promoteur du néolibéralisme, caracolaient en tête des sondages. Or, ces dernières semaines de campagne ont vu d’incessants retournements de situation annoncés dans les médias : les estimations ont tantôt donné l’avantage au Labour, le parti travailliste actuellement au pouvoir ou, plus récemment, aux Libdems, parti centriste de Nick Clegg. L’extrême-droite, comme le « troisième homme » centriste, est en forte hausse du fait de la crise de confiance que connaissent les deux grands partis traditionnels.

Le bilan préoccupant du New Labour

Le programme du New Labour, lors de son accession au pouvoir, promettait une « New Britain » particulièrement ambitieuse à ses électeurs. treize ans plus tard, la déception est amère : Tony Blair, puis Gordon Brown, ont enchaîné les mesures économiques néolibérales que n’aurait pas reniées Margaret Thatcher. Le pays s’est également enlisé dans deux guerres meurtrières et interminables en Irak et en Afghanistan. Loin de saisir l’opportunité historique qui leur était donnée de transformer la société et la politique britanniques, les travaillistes ont maintenu les lois antisyndicales et jeté l’éponge devant le creusement des inégalités.

Les scandales travaillistes

Le New Labour s’est également distingué, ces dernières années, par de nombreux scandales de corruption, portant un dernier coup, sans doute fatal, à son image sérieusement écornée. Dernière en date, l’affaire Hewitt-Hoon-Byers a révélé, il y a seulement quelques semaines, que ces trois parlementaires et anciens ministres recevaient régulièrement des sommes d’argent de la part de lobbyistes en échange de faveurs politiques.

En dépit de ce bilan, de nombreux électeurs, traumatisés par l’expérience Thatchérienne des années 90, se déclarent encore fidèles au Labour. Il est vrai que le parti Tory ne propose pas de perspective réjouissante pour les classes laborieuses d’outre-Manche.

L’héritage Tory

Les néo-conservateurs, malgré leurs tentatives, ont du mal à se présenter comme hérauts de la justice sociale dans ce pays en crise. Leur leader, David Cameron, est un personnage populaire du fait de son image dynamique et moderne, mais il est un pur produit des hautes sphères britanniques. A la différence de ses prédécesseurs Margaret Thatcher ou John Major, le chef actuel du parti Tory peut difficilement endosser un costume populiste. Lors de ses études dans les institutions très huppées d’Eton et Oxford, il a, en effet, étalé son mépris pour les petit commerçants, en compagnie de son acolyte Boris Johnson, actuellement maire de Londres.

Les forces anti-capitalistes et pacifistes du Labour Party

Devant le consensus de fait entre Labour et Tories sur les questions diplomatiques et économiques (seuls diffèrent l’ampleur des réductions budgétaires et le nombre de porte-avions), des voix de gauche se sont élevées. Certains parlementaires travaillistes, qualifiés de rebelles, votent régulièrement contre les instructions du parti sur de nombreux sujets, se rapprochant ainsi des militants syndicaux, particulièrement actifs dans ces luttes.

Les dirigeants du New Labour envisagent ouvertement de couper les ponts avec les syndicats, leurs alliés historiques, pour opérer un virage idéologique. En 1998, Peter Mandelson, chef de file de l’aile droite du Labour, a déclaré : « L’accumulation indécente de richesses ne nous pose absolument aucun problème ». Bien que ce discours se fasse plus discret depuis la crise économique, les politiques libérales du parti travailliste ont parlé d’elles-mêmes.

Le poids politique des syndicats

Les effets de la crise financière tout comme les réponses apportées par le gouvernement ont poussé les syndicats à multiplier les actions. Manifestations et journées de grève se sont enchaînées sans répit. L’annonce de la suppression de 20,000 postes dans la fonction publique, à quelques semaines du scrutin, a mis le feu aux poudres, et la Public and Commercial Services Union (PCS), puissant syndicat de la fonction publique, est entrée en lutte contre ces licenciements. Le secteur de la maintenance ferroviaire a également été touché : devant l’annonce de 1,500 licenciements, la National Union of Rail, Maritime and Transport Workers (RMT) a également voté la grève. La pression sur le gouvernement de Gordon Brown est à son comble, d’autant plus que d’autres syndicats du secteur public, notamment les enseignants, envisagent de rejoindre le combat pour la défense du service public.

Les autres listes socialistes

A gauche du Labour Party, la situation est préoccupante. Déjà en difficulté du fait d’un système politique foncièrement bipartite, l’autre gauche est en recomposition. Déçus des politiques néolibérales du Labour, certains syndicalistes présentent des candidats autonomes sous l’étiquette Trade Union & Socialist Coalition (TUSC) soutenus par le Socialist Party dans 40 circonscriptions sur 646. La gauche anticapitaliste, qui s’est réunie contre la guerre au sein du mouvement pacifiste Stop The War, n’a pas réussi à former d’alliance électorale large, et certaines organisations présentent aussi des candidats indépendants (notamment les partis d’héritage trotskyste).

Le Green Party présente également quelques candidats (notamment à Brighton), tout comme le Scottish Socialist Party qui tentera, en Ecosse, de défendre ses 6 sièges au Parlement Ecossais en dépit de graves problèmes internes.

Bien que ces « petits » candidats ne soient pas favorisés par le scrutin uninominal à un tour et l’absence totale de couverture médiatique, les mouvements à la gauche du Labour indiquent qu’une force anticapitaliste continue à exister en dépit du virage à droite des travaillistes.

Quelle issue possible ?

Que la victoire revienne aux travaillistes ou aux conservateurs, le futur gouvernement s’établira sur des bases particulièrement fragiles du fait d’une très courte majorité et du contexte économique difficile.

Le scénario d’un parlement sans majorité semble également de plus en plus probable, devant la cote de popularité grandissante de Nick Clegg, le leader des LibDems centristes. Dans ce cas, le jeu des alliances pourrait amener les grands partis à remettre en cause les aspects les plus impopulaires de leur programme, notamment en ce qui concerne la guerre en Irak (pour le Labour) et les politiques économiques les plus néolibérales et l’eurosceptisme (pour les Tories).

La Commission Internationale du Parti de Gauche et le cercle militant PG de Londres continuent à observer l’évolution de la campagne. Les résultats, lourds de sens, génèreront sans doute des remises et question et recompositions dans l’ensemble du spectre politique britannique, que nous ne manquerons pas d’analyser.


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