Corbyn, la révolution démocratique (par Philippe Marlière)

mercredi 23 septembre 2015.
 

Socialiste intègre et démocrate authentique, le nouveau leader du Parti travailliste a imposé un discours et une méthode qui peuvent bouleverser la donne, pour construire une alternative politique aussi bien en Grande-Bretagne qu’en Europe.

La victoire triomphale de Jeremy Corbyn constitue le camouflet le plus sévère infligé aux tenants de l’ordre néolibéral depuis plus de trente ans en Europe. Le nouveau leader du Parti travailliste a largement distancé ses adversaires dans trois catégories de l’électorat : les adhérents du parti, les membres des syndicats et les sympathisants. Corbyn a reçu un solide mandat populaire au terme du processus électoral le plus transparent et le plus démocratique dans l’histoire du parti.

Il faut insister sur les caractéristiques de la "méthode Corbyn". Pas plus qu’il n’était un candidat, le nouveau leader n’est devenu un "chef" depuis son élection. Jeremy Corbyn incarne un mouvement ; son succès a remis en selle un travaillisme social qu’on avait enterré depuis la période blairiste. Le socialisme qui a refait surface avec Corbyn est d’un ordre nouveau : plus collégial, plus jeune, plus multiethnique et plus démocratique que son prédécesseur des années 70. Anti-tribun et anti-démagogue

C’est une vague populaire et militante qui a porté le député d’Islington à la tête de son parti. Il a accepté à regret de se présenter, car son entourage tenait à ce que les valeurs socialistes soient présentes pendant la campagne. Il a simplement fait son devoir, pour les siens. C’est l’un des traits les plus encourageants de cette campagne : Corbyn est l’anti-tribun et l’anti-démagogue. La gauche française ferait bien de s’inspirer d’une telle démarche, et de se libérer de son tropisme césariste. Celui-ci l’incline sans cesse à rechercher un mythique "homme providentiel".

Lors de son premier débat à la Chambre des Communes avec David Cameron, Corbyn a bousculé les règles du jeu : pas de petites phrases ou d’attaques ad hominem. Il a lu au dispatch box six des 40.000 questions que le public lui avait fait parvenir par e-mail (crowdsourcing). Il s’est fait l’émetteur des questions que se posent "les gens" sur les loyers, les soins de santé mentale ou l’aide sociale. Cet exercice nouveau a été reçu favorablement par le public et les médias. Démocratie partisane, collégialité dans le combat politique, discours apaisant dans la forme mais combatif dans le fond, le corbynisme est d’une nature originale. Depuis la reprise en main assez autoritaire par Pablo Iglesias et d’Alexis Tsipras de leur appareil respectif, quel autre dirigeant de gauche européen peut se targuer de pratiquer ainsi la démocratie partisane ?

Les défenseurs du status quo économique accusent Jeremy Corbyn d’être un "négateur de la dette" (debt denier). Corbyn et John McDonnell, son Chancellor (le ministre des Finances dans le cabinet fantôme), répondent à leurs adversaires qu’ils sont des "négateurs de la pauvreté" (poverty denier) ; une pauvreté qui a fortement augmenté sous les conservateurs depuis 2010. Le leader de l’opposition reconnaît que la dette est un problème qui doit être résolu, mais il considère qu’elle doit avant tout être remboursée par ceux qui en sont responsables (les banques), et l’effort essentiel doit être consenti par les plus riches. À l’heure actuelle, ce sont les classes populaires et moyennes qui supportent le coût de l’austérité (gel des salaires, coupes dans l’aide sociale, réduction des services publics, hausse de la TVA, etc.). Au même moment, les plus riches se voient accorder des réductions d’impôts injustifiés, les subsides versés aux corporations se multiplient et la fraude fiscale des plus riches n’est pas sérieusement combattue. Corbyn veut remettre en cause le consensus imposé par les négateurs de crise (crisis deniers) ; la crise qui frappe les plus pauvres et les vulnérables, et dont on ne parle pas ou si peu dans les médias et les débats publics. Bâtir un large mouvement anti-austérité en Europe

John McDonnell est un socialiste intègre, qui vient de déclarer dans les médias dominants que son rôle était de conduire les réformes qui permettaient de dépasser par étapes le capitalisme. C’est en quelque sorte un jaurésien britannique. Il sera chargé de préparer le programme économique de l’opposition travailliste (lire aussi "Jeremy Corbyn, un autre espoir"), au cœur du duquel on devrait trouver la renationalisation de services publics vitaux tels les chemins de fer ou l’électricité (en associant à la gestion les employés et les usagers de ces services), l’introduction d’une taxe sur les transactions ou le quantitative easing au profit du peuple (la création monétaire irait vers le financement des infrastructures et des investissements publics via des banques d’investissement régionales ou nationales).

L’élection de Jeremy Corbyn a été accueillie avec embarras et incrédulité par les tenants de l’ordre actuel. Depuis, ce silence gêné a fait place à des attaques personnelles et politiques de plus en plus violentes, dans les médias, dans les rangs conservateurs, mais aussi au sein du Parti travailliste. La tâche qui attend Corbyn sera donc difficile car il ne dispose pas de la maîtrise de l’appareil et il est très minoritaire au sein du groupe parlementaire. Mais une chose est sûre : il a le soutien des membres et des sympathisants du parti pour bâtir un large mouvement anti-austérité en Grande-Bretagne et en Europe.

Corbyn souhaite construire ce front européen avec l’ensemble de la gauche : les vrais sociaux-démocrates, les Verts, les indépendantistes en Écosse et au Pays de Galles et la gauche radicale (Front de gauche, Podemos ou Syriza). Corbyn a la légitimité politique pour y parvenir : il a été triomphalement élu à la tête d’un grand parti de gouvernement et il est soutenu par des syndicats importants au sein de la deuxième économie de l’Union européenne. S’il parvient à rassembler les gauches européennes, Jeremy Corbyn sera en position de défier le consensus néolibéral en Europe.


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