Gauche, comment réinventer une alternative ? (Entretien dans L’Humanité)

dimanche 23 mai 2010.
 

Rappel des faits

En ces temps où l’approfondissement de la crise obscurcit l’horizon, la recherche d’alternatives s’avère une tâche urgente mais ardue. Dans un livre d’entretiens (1) avec le journaliste Jean-François Bège, Anicet Le Pors, l’un des quatre ministres communistes de 1981 à 1984, y apporte une contribution utile nourrie par son expérience, sa grande culture et portée par une énergie intacte.

Ministre, Anicet Le Pors a rénové et étendu le statut de la fonction publique, confortant la place originale donnée historiquement aux services publics dans notre pays. Devenu conseiller d’État, il réfléchit, travaille et continue à vouloir changer le monde. Il ne pense pas que l’histoire est un éternel recommencement ni, non plus, qu’elle a un sens « scientifiquement déterminé » mais il se demande « comment faire de l’héritage un investissement pour les temps nouveaux ». Depuis qu’il n’est plus membre du Parti communiste, ce qu’il appelle son « génome de citoyenneté » est devenu à la fois son fil conducteur et sa colonne vertébrale. Reste pourtant cette interrogation  : comment construire des convergences entre les citoyens responsables  ? Il s’efforce d’y répondre en étant toujours disponible pour échanger ou aborder une question nouvelle. D’un rapport sur l’égalité femme-homme dans la fonction publique à un autre sur les travailleurs saisonniers, de cette charge de président de chambre à la Cour nationale du droit d’asile à des rencontres sur la réforme des collectivités territoriales, le citoyen Anicet Le Pors cherche à comprendre les transformations profondes et parfois accélérées de la société. Il creuse ce concept de citoyenneté qui lui semble « de nature à conjurer l’avènement de monstres et à amorcer la phase de recomposition démocratique et progressiste ». Et il avance celui d’« appropriation collective », selon lui, plus que jamais d’actualité au niveau national et mondial. Alors que certains se précipitent déjà dans une sorte de précampagne présidentielle, sa critique sans concession de cette élection au suffrage universel ne peut pas manquer d’interpeller. Tourné vers l’avenir, ce livre est une invitation au débat. Ces pages y répondent. Deux citoyens engagés  : Anne Coulon, enseignante en IUFM, militante communiste dans un quartier populaire de Corbeil-Essonnes, et Antoine Fatiga, syndicaliste, élu régional après avoir été tête de liste du Front de gauche en Savoie, débattent avec Anicet Le Pors.

J.S.

(1) Des racines et des rêves. 
Éditions Le Télégramme, 18 euros.

TABLE RONDE AVEC :

* ANNE COULON, enseignante en IUFM, militante communiste dans le quartier des Tarterêts à Corbeil-Essonnes.

* ANTOINE FATIGA, syndicaliste, conseiller régional Front de gauche.

*ANICET LE PORS, ancien ministre, conseiller d’État, président de chambre à la Cour nationale du droit d’asile.

Les services publics sont aujourd’hui l’une des principales cibles du pouvoir. Des campagnes faisant passer les fonctionnaires pour des privilégiés ont préparé le terrain. Le statut des fonctionnaires, qui doit beaucoup au ministre communiste que vous avez été de 1981 à 1984, n’est-il pas devenu un facteur de division des salariés ?

ANICET LE PORS. Le philosophe Marcel Gaucher pense que « le programme initial du sarkozysme, c’est la banalisation de la France ». Je me demande si, pour Nicolas Sarkozy, la France n’est pas une somme d’anomalies. Anomalies, l’inscription de la laïcité dans la Constitution, les 36 000 communes, la réputation de terre d’asile et la pratique du droit du sol. Anomalie, ce service public qui regroupe le quart de la population active. Par une sorte de pragmatisme destructeur, Sarkozy vise à mettre la France aux normes imposées par le libéralisme. La notion de service public n’existant pas dans les traités européens où on ne parle que de service d’intérêt économique général et de service d’intérêt général, Sarkozy s’en sert pour réduire le service public à la française. Contrairement à la Grande-Bretagne et à l’Allemagne, nous avons en France une conception extensive de la fonction publique, bien au-delà des seules fonctions régaliennes. Alors, comment situer ces salariés protégés par la loi parce qu’ils servent l’intérêt général, par rapport à ceux qui sont dans un régime contractuel ? Lorsque l’on dit, par exemple, que les pensions des salariés du privé doivent être basées sur les vingt-cinq meilleures années tandis que celles des fonctionnaires sont calculées sur les six derniers mois, que retient-on ? Six mois, vingt-cinq ans, un sentiment d’injustice marque l’opinion, même si parler de privilèges est infondé puisque, les primes des fonctionnaires n’étant pas prises en compte, la différence est minime. Reste qu’il y a dans notre pays deux catégories de salariés. C’est pourquoi j’avance l’idée d’un statut des travailleurs salariés du secteur privé conçu sur une base principalement législative – car, à travers la loi, c’est la volonté générale qui s’exprime –, complétée par des conventions collectives améliorées et des partenariats pertinents.

ANNE COULON. L’université a connu l’an dernier un important mouvement porté par Sauvons l’université, l’Appel des appels, la FSU, etc. Dans les débats, il est apparu que les organisations syndicales FSU, CGT, FO, Sgen-CFDT, et au sein de la FSU, Snes, Snesup, font une analyse convergente des conséquences des mesures mises en oeuvre ou annoncées, mais elles n’arrivent absolument pas à se mettre d’accord sur une série de questions cruciales comme : quel service public ? Quelles délégations de service public ? Qui, des collectivités territoriales ou de l’État, doit gérer ? Quels transferts de compétences ? Vos propositions, instruites par un projet de société aux antipodes de celui qui est aujourd’hui dominant, apparaissent totalement à contrecourant. Alors, comment s’en saisir ?

ANICET LE PORS. Il est vrai que l’idéologie « managériale » a fait beaucoup de dégâts, y compris chez les hauts fonctionnaires, les élus et même chez les enseignants et les chercheurs. Dans le déficit d’idées fleurissent les « gouvernances », « management », « coaching », « benchmarking », jusqu’au « care » de Martine Aubry. Le sens de l’intérêt général s’est affaibli et, partant, la conception du service public est devenue plus confuse. Je me suis efforcé dans le livre d’éclairer une démarche de reconquête. Mais celle-ci demandera du temps. Il y a aussi des progrès ; au cours des dernières années, les enseignants ont pris conscience que les garanties fondamentales de leur situation sont dans le statut général des fonctionnaires, et non dans leurs statuts particuliers. Cela devrait favoriser des convergences et aider au débat sur le sens du service public

ANTOINE FATIGA. Des services publics sont régulièrement présentés dans les médias comme soi-disant « déficitaires ». Et certains élus pensent que si le service des eaux ou des transports est géré par un groupe privé, il coûtera moins cher à la collectivité. La tentation de choisir la délégation de service public ou la privatisation ne serait-elle alors pas moins grande si la situation des salariés du privé se rapprochait de celle du public ? Et je pense à une phrase de Bernard Thibault : « Si aujourd’hui les organisations syndicales ne se préoccupent pas des plus précaires, demain, c’est nous tous qui allons être précaires. » C’est fondamental.

ANICET LE PORS. Le problème est bien de faire converger ces statuts, mais vers le haut, alors que ce qui est recherché aujourd’hui par le gouvernement, c’est la réduction du secteur public. Et plus celui-ci délègue, plus il perd des compétences et donc de l’efficacité. Les conséquences sur les coûts s’ensuivent. Il faut absolument que le secteur public reprenne la main avec des systèmes de formation initiale et continue qui anticipent sur les besoins et permettent de s’adapter en permanence. Il existe des propositions intéressantes comme celle de la double carrière qui donnerait au fonctionnaire la possibilité, ne serait-ce qu’à mi-parcours de s’orienter vers d’autres activités. Je rappelle en outre que la mobilité est une garantie fondamentale des fonctionnaires.

ANNE COULON. La double carrière me ramène à ma question précédente. En cinq ans les aspirations ont changé en profondeur. Les enseignants recrutés sont plus âgés et, avec la loi de mobilité, l’instabilité est telle que la revendication n’est plus à la mobilité mais à la stabilité. Comment faire des propositions qui s’articulent sur cette transformation accélérée de notre société ? C’est ma grande question de communiste, militante dans un quartier populaire. D’un côté, des chercheurs, des élus essaient de trouver des solutions, de l’autre les gens subissent les problèmes quotidiens.

Comment faire pour qu’ils se rencontrent et que cela ait une utilité pour l’avenir ?

ANICET LE PORS. La crise idéologique et existentielle que nous vivons renvoie la responsabilité politique vers le citoyen. Alors que des gens comme moi ont adhéré à un parti qui semblait fournir tous les attributs de la citoyenneté, où la responsabilité personnelle était diluée dans une responsabilité collective, aujourd’hui la perte de repères nous oblige à nous demander qui nous sommes et comment faire. C’est ce que j’ai fait quand j’ai quitté le Parti communiste. J’appartiens à vingt-deux organisations qui constituent ensemble un choix que je suis seul à avoir fait. Je l’ai appelé mon « génome de citoyenneté ». À partir de là, comment construire des convergences entre des citoyens responsables ? À la fois à travers cette problématique de la citoyenneté (1) et la recherche de valeurs universelles. Cela m’amène à penser que la nation, à condition qu’elle se conçoive comme productrice d’universalité, demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et du général. Cette réflexion n’est pas une réponse directe au malvivre mais nous n’avancerons qu’en affirmant que chacun est acteur de la recomposition.

ANTOINE FATIGA. Génome de citoyenneté, travailler ensemble… c’est la démarche que nous avons essayé d’avoir dans le Front de gauche pour les élections régionales. Nous avons aggloméré des partis et des individus qui avaient des histoires et des expériences particulières avec l’objectif non pas de niveler mais de s’enrichir. La question que vous posez est essentielle. D’après ce que j’ai compris, le Parti communiste et d’autres y réfléchissent : comment dépasser les logiques d’alliances fondées sur les rapports de forces et mettre en mouvement toute la société ? Comment donner à cet agglomérat une dimension collective et créer les conditions de changements véritables ? Vous dites que les partis politiques sont devenus des écuries présidentielles. Comment faire la part entre cette dérive réelle et l’organisation d’un travail collectif autour des intérêts généraux des citoyens dans les quartiers, les entreprises ?

J’ajoute que, quand on est ancien ministre et conseiller d’État, on a accès aux sphères du pouvoir, on a les moyens de rendre très efficace son génome de citoyenneté. Mais quand on est ouvrier, enseignant, chômeuse… ? Les partis politiques, malgré leurs défauts, ne sont-ils pas encore aujourd’hui des outils de la démocratie, des outils au service du citoyen pour que, quel que soit son héritage culturel ou sa situation sociale, il puisse peser dans la vie publique ?

ANICET LE PORS. Sans doute. Ceux qui souffrent le plus, tout comme les autres, regardent les partis mais ne peuvent voir d’issue dans une logique qui fait de l’élection présidentielle le Les grandes idéologies messianiques du XXe siècle – théorie néoclassique de l’économie pour les libéraux, État providence pour la social-démocratie, marxisme pour le mouvement révolutionnaire communiste – conféraient une légitimité à ces grands appareils. Alors que nous sommes entrés dans une ère où existent des perspectives d’avenir commun pour le genre humain, ces idéologies se sont affaiblies. Les partis sont en porte à faux dans une société en crise et des formes quelque peu confuses apparaissent. Certains les nomment coopératives, d’autres fronts, d’autres mouvements. On cherche le mot qui dira à la fois le respect des singularités et l’ouverture sur un avenir qui n’est plus celui des lendemains qui chantent assurés. L’article 4 de la Constitution dit que les partis ont la responsabilité de contribuer à l’expression du suffrage universel, qu’ils doivent se situer sur le terrain de la souveraineté nationale, respecter la pluralité, la parité, être démocratiques On ne peut pas leur porter atteinte sans mettre en danger ces valeurs. C’est pourquoi, s’ils sont inadéquats, il y aurait cependant un grand risque à les remettre en cause de manière frontale.

ANNE COULON. Je n’ai jamais vécu ni ressenti l’aspect messianique du Parti communiste dont vous parlez. Sans doute parce que je n’ai jamais été membre de sa direction nationale et n’ai pas eu non plus de mandat électif. En lisant la première partie de votre livre, j’ai été frappée, lorsque vous parlez de communistes rénovateurs, orthodoxes, etc., par une sorte d’enfermement dans lequel je ne me retrouve pas. Je puise autant à l’extérieur du Parti communiste qu’à l’intérieur, ce qui m’importe c’est l’apport d’idées. De ce point de vue, en vous lisant, des universitaires peuvent savoir ce que proposent des gens d’idéologie communiste mais, dans un quartier populaire, cela ne marche pas. Je crois beaucoup que la force d’un parti est dans la transmission orale et le nombre de ceux qui colportent les idées de façon vivante. Je ne suis attachée à aucune forme organisée, j’essaie juste de prendre un outil qui me semble le moins imparfait possible. Et le Parti communiste, pour l’instant, c’est l’existant. Mais je suis très sensible aux questions que posent Roger Martelli et Lucien Sève, qui vous rejoignent un peu sur ce point. Nous sommes dans une même recherche sur des chemins parallèles et nous n’arrivons pas à faire converger nos points de vue alors que nous y parvenons avec des gens bien plus éloignés.

ANICET LE PORS. Pour autant, je pense qu’il faut refonder, pour les uns et les autres, une conception du socialisme en tenant compte de l’expérience du XXe siècle. Le socialisme, c’était 1) la propriété sociale des grands moyens de production, d’échange et de financement ; 2) le pouvoir de la classe ouvrière et de ses alliés dont devait découler un homme nouveau. Le socialisme que l’on doit réinventer doit avoir, selon moi, trois piliers : 1) l’appropriation sociale ; 2) la démocratie institutionnelle ; 3) ce qui a manqué dramatiquement au socialisme réel, des citoyens responsables.

Vous parlez d’appropriation sociale, pourquoi pas de nationalisations ?

ANICET LE PORS. En 1982, les nationalisations ont été relativement vastes et la plupart à 100 %. Nous étions seulement quatre ministres communistes dans le gouvernement et l’arbitrage en notre faveur de François Mitterrand nous a surpris. Pourtant, cela n’a pas marché. La loi sur la démocratisation du service public, les lois Auroux sur les droits des salariés sont arrivées plusieurs mois après, si bien que les conditions n’ont jamais été réunies pour que les travailleurs fassent une relation entre la propriété publique et leurs droits. Cela n’aurait probablement pas encore été suffisant mais c’est la voie dans laquelle il faut réfléchir. Si ce que j’appelle « appropriation sociale » a pour coeur le transfert juridique de propriété, il doit être étroitement associé à d’autres droits réels concernant l’intervention des travailleurs, la recherche, l’aménagement du territoire, la coopération internationale, l’environnement, etc., pour la satisfaction de besoins reconnus par le peuple comme étant ses besoins. C’est infiniment plus difficile que de déterminer le « seuil minimum de nationalisations » du programme commun des années 1970. Mais c’est sur quoi il faudrait maintenant travailler.

ANTOINE FATIGA. Aujourd’hui, c’est la notion de pôle public qui est mise en avant…

ANICET LE PORS. J’aimerais comprendre ce que cette notion recouvre. On le sait seulement pour le pôle public financier qui comprendrait Oséo, la Caisse des dépôts, la Banque postale, etc. Or tous sont déjà des organismes publics… Aucune nouvelle appropriation publique n’est donc proposée. L’affirmation « là où est la propriété, là est le pouvoir » me semble toujours valable. Et se placer sur ce terrain nous met en liaison avec l’universel. Réclamer la nationalisation de l’eau, c’est revendiquer un service public mondial et une appropriation sociale à ce niveau qui deviendront de plus en plus légitimes. Avec l’énergie, les denrées alimentaires, des productions industrielles et des services, ce que Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant appellent « les produits de haute nécessité ». Voilà le genre de concept, avec celui d’appropriation sociale, qu’il faudrait approfondir et mettre en avant.

ANNE COULON. J’ai été intéressée par votre critique de la VIe République et par les propositions concrètes qui l’accompagnent…

ANICET LE PORS. Les États généraux de 1789 exigeaient une Constitution écrite. Depuis, il y en a eu quinze. La Ve République est un hybride de deux lignes de forces, l’une démocratique avec comme référence la Constitution de 1793, l’autre césarienne de Louis Napoléon Bonaparte, de 1852. Avec l’élection du président au suffrage universel en 1962, puis la cohabitation, elle est devenue « monarchie aléatoire » puisque l’exécutif change selon que les majorités sont concordantes ou pas, avant la « dérive bonapartiste » que nous connaissons aujourd’hui. Le Parti communiste a des lettres de noblesse institutionnelles puisqu’il a été le seul, en tant que parti, à s’opposer à cette Constitution et il a été le plus actif pour combattre « Génome de citoyenneté, travailler ensemble… c’est la démarche que nous avons essayé d’avoir dans le Front de gauche. »

ANTOINE FATIGA l’élection du président au suffrage universel. C’est pourquoi j’ai proposé de ne pas présenter de candidat à la présidentielle et d’expliquer pourquoi. Quant à la VIe République d’Arnaud Montebourg, elle est pire que la Ve sur de nombreux points. Le fait que tout le monde s’y soit agglutiné, de Le Pen à Besancenot, montre que c’est un slogan qui ne sert à rien. On l’invoque d’autant plus qu’on ne sait quoi mettre dedans. Dernière remarque, il n’y a jamais eu de changement de République en France sans qu’il y ait du sang dans la rue.

ANNE COULON. Cela pourrait arriver…

ANICET LE PORS. On ne peut pas le souhaiter. Je veux simplement dire qu’il ne faut pas jouer avec les numéros.

ANTOINE FATIGA. Entre les deux tours des élections régionales, j’ai constaté que certains élus étaient davantage préoccupés par leurs places qu’ils voulaient garder que par le projet politique. Ils ne se posaient donc pas la question de savoir si d’autres étaient plus compétents pour une responsabilité donnée. En vous lisant, j’ai fait le parallèle entre la liberté que vous a donné le fait de ne pas dépendre du parti pour vivre et mon propre parcours. J’ai toujours pensé que ce ne sont pas les questions alimentaires qui doivent me retenir dans mes responsabilités militantes. Lorsque j’ai quitté la CFDT, j’avais des responsabilités nationales mais mon métier de réparateur de locomotives à la SNCF que j’avais gardé me donnait cette liberté. Il faut relancer la bataille pour un statut de l’élu, qu’il soit politique ou syndical, qui lui permette de retrouver son emploi.

ANNE COULON. Que pensez-vous d’un système où le débat politique serait centré sur les idées et ceux qui représentent ces idées tirés au sort ? Chacun serait amené, à un moment donné, à exercer une fonction politique.

ANICET LE PORS. C’est une belle utopie. À conserver en perspective. Les Grecs sur l’Agora tiraient au sort les fonctionnaires et les juges. J’ai toujours considéré que la politique n’est pas un métier. Il reste encore utile de reconnaître les dévouements, les vertus et les talents. Mais il est tout aussi nécessaire de faire tourner les responsabilités. La Constitution de 1793 prévoyait que « le peuple français s’assemble tous les ans, le 1er mai, pour les élections » afin de renouveler la représentation nationale.

Vous terminez votre livre en soulignant qu’il faut, dans la réflexion, laisser la place à l’événement. Qu’entendez-vous par là ?

ANICET LE PORS. Il y a trente ans, on pensait que l’on savait où on allait. Aujourd’hui nous vivons une décomposition sociale qui ne cesse de s’approfondir. Un changement de civilisation est nécessaire, et la rupture qui l’introduira inévitable. Mais intégrer l’aléa dans la réflexion ne doit pas conduire à l’attendre. Quand j’ai fait le « Que sais-je ? » sur la citoyenneté, je me suis demandé ce qu’il fallait garder du passé, des Lumières, de la Révolution française, de la Commune de Paris, du XXe siècle prométhéen, etc., avec l’idée que cet héritage réhabilité est le meilleur investissement pour parer au danger, car l’aléatoire peut conduire vers des progrès mais aussi vers des monstruosités. Il vaut mieux le savoir et accumuler des idées, des forces, de la lucidité.

TABLE RONDE RÉALISÉE PAR JACQUELINE SELLEM


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