Changer de différence. Le féminin et la question philosophique (nouveauté philosophie)

lundi 31 mai 2010.
 

Interrogeant la plasticité contemporaine des discours sur le féminisme, Catherine Malabou propose de tracer le chemin d’une conquête de l’espace philosophique par la femme.

Catherine Malabou, turboprofesseur à Nanterre en France et à l’université de Buffalo aux États-Unis, était jusqu’à présent connue comme spécialiste contemporaine de Hegel et Heidegger. Son ouvrage agrandit sa palette philosophique et innove dans la perspective ouverte par la déconstruction à laquelle ont procédé Jacques Derrida et Emmanuel Lévinas. Elle y « plastique » au moins deux types de féminisme. L’un, traditionnel, repose sur l’évidence de la différence sexuelle comprise comme dualité du masculin et du féminin. Il analyse les rapports des deux sexes en termes de pouvoir et de domination sans jamais remettre en question dans les impératifs d’égalité, de parité, de mutualité cette dualité elle-même. L’autre, un féminisme, plus récent issu des « gender studies » et de la « Queer Theory » américaines, remet précisément en question le partage binaire des genres : il y aurait une multitude d’identités sexuelles possibles outre la construction culturelle de la dualité homme-femme. Cette remise en question révèle que la structure hétérosexuelle n’est pas une donnée naturelle, mais une norme idéologique dont la fonction est de réguler et contrôler les conduites et les codes de l’identité.

Or, à l’âge de ce « post-féminisme » privé de son essence, il devient très clair, pour Catherine Malabou, que se confirme un très ancien état de fait : la femme n’a jamais pu se définir autrement que par la violence qui lui est faite. Elle propose donc de penser, sous le nom de femme, une essence vide mais résistante et résistante parce que vide, qui frappe d’impossibilité sa propre disparition. Interroger ce qui reste de la femme après le sacrifice de son être pourrait marquer, au-delà de l’essentialisme comme de l’anti-essentialisme, une nouvelle ère de la lutte féministe et orienter autrement le combat.

L’être (ce qui est en permanence) s’exprime dans une multitude de possibles (ni absolument homme ni absolument femme). Pourtant, aucune femme ne se sent neutre, quelque chose de substantiel résiste en elle  : elle est dynamiquement femme « avec une vulve et des lèvres pour le dire ». Ce qui ne signifie pas que l’on doive concevoir la femme comme être labial et hospitalier, sous peine de justifier une pragmatique de la femme d’intérieur. Parlant du rapport de la femme à la philosophie, Catherine Malabou établit un schème d’émancipation à partir de son propre parcours : cesser de « faire comme  » ou de « faire avec », pour « faire sans » les modèles masculins. La déconstruction de la philosophie elle-même périme le « phallogocentrisme » de la tradition philosophique car elle construit le sujet féminin en le tuant. La critique des violences faites aux femmes n’a pas encore donné lieu à une émancipation radicale des inégalités et du travail domestique. Comme le dit le poète, la femme reste l’avenir de l’homme…

Changer de différence. Le féminin et la question philosophique de Catherine Malabou. Éditions Galilée, 2009, 166 pages, 24 euros.


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