Recompositions politiques et spectre du thatchérisme : Bilan des élections britanniques

dimanche 30 mai 2010.
 

Dans un contexte particulièrement difficile, les Britanniques étaient appelés aux urnes, jeudi 6 mai, pour élire leurs représentants à la Chambre des Communes. Devant l’urgence de la crise économique, qui a touché la Grande-Bretagne de plein fouet depuis deux ans, et l’enlisement du conflit en Afghanistan, les électeurs se sont déplacés en masse. Avec 65,1% , la participation a progressé de 4 points par rapport au dernier scrutin de 2005. Bonne nouvelle pour la démocratie, mais véritable challenge pour les bureaux de vote : partout dans le pays, les files d’attentes s’allongeaient en soirée, et de nombreux bureaux ont dû fermer leurs portes à 22h, alors que de centaines de personnes qui attendaient depuis plusieurs heures n’avaient pas encore pu voter.

Les électeurs se sont exprimés massivement, mais pour dire quoi ? La classe politique britannique et les medias s’interrogent encore sur la signification de cette élection, qui n’a pas dégagé de majorité absolue de l’un des partis en course. Cette situation, assez exceptionnelle dans le système bipartite qui a cours outre-Manche, a rendu nécessaire une coalition pour former un gouvernement. Les Tories conservateurs et les LibDems centristes sont parvenus à un accord la semaine dernière et le premier gouvernement Cameron s’est mis en place, mettant fin à 13 ans de gouvernement Labour en Grande-Bretagne.

Les Tories aux commandes sans mandat populaire

Le Conservative Party de David Cameron détient désormais 306 sièges sur 650, ce qui représente une progression important de 98 sièges par rapport à l’élection précédente. Malgré les affirmations de victoire du leader du parti Tory, cette progression recouvre une réalité ambiguë : loin de plébisciter le retour au thatchérisme, les électeurs n’ont voté qu’à 36 % pour les candidats conservateurs, ce qui représente seulement 5 points de plus qu’en 2005. Les LibDems, lourdement désavantagés par ce mode de scrutin, ont réussi à obtenir de leurs nouveaux alliés Tory un referendum sur une reforme électorale. Sans calendrier précis, l’avenir de cette concession de David Cameron reste cependant hasardeux.

David Cameron n’a donc pas obtenu de chèque en blanc pour former son premier gouvernement. Pourtant, l’accord signé avec les LibDems reprend les grandes lignes du programme Tory. Selon le document signé par Nick Clegg en échange du soutien de son parti aux conservateurs, la priorité reste la réduction des dépenses publiques pour réduire le déficit de l’Etat. C’est donc bien une attaque généralisée sur les services publics que s’apprête à vivre la Grande-Bretagne, rappelant à la population le douloureux souvenir des années Thatcher.

Les LibDems incapables d’incarner le changement

Malgré la Cleggmania entretenue par les medias dans les semaines qui ont précédé l’élection, les résultats des Libéraux-Démocrates s’avèrent décevants. Bien que leur appui soit indispensable aux conservateurs pour gouverner, ils peinent à se poser en arbitres de l’élection. Avec 57 élus, ils ont, en effet, perdu 6 sièges à la Chambre des Communes, ce qui est extrêmement décevant au regard des objectifs annoncés par Clegg. La progression totale des votes en leur faveur atteint seulement 1 point, les portant à 23% des voix.

Pourquoi le soufflé LibDem est-il si piteusement retombé, alors que certains sondages les plaçaient devant le Labour il y a seulement quelques jours ? Dans un contexte de vote à un tour, la stratégie du « vote utile » a pu prévaloir, sachant afin d’éviter un parlement sans majorité, à moins que les électeurs aient compris que, derrière sa personnalité médiatique, Nick Clegg ne représentait pas plus le changement que ses compétiteurs. Quoi qu’il en soit, le parti Libéral-Démocrate se trouve dans une position fragile et forte à la fois : son faible score ne lui permettrait pas d’être à l’initiative d’un gouvernement, mais aucune force ne peut gouverner sans son soutien. Le choix de Nick Clegg de présenter au Labour des conditions démesurées pour une éventuelle alliance a donc abouti à l’alternance historique que le Royaume-Uni connaît en faveur des Tories.

L’orientation du Labour Party en question

Avec 258 élus et 29 % des voix, le Labour est en recul de 89 sièges et 6 points. Cette défaite signe la fin des 13 ans du Labour Party à la tête du pays, car, même si l’alliance avec Nick Clegg a été envisagée, elle n’aurait offert que 315 sièges à cette coalition, au lieu des 326 requis pour obtenir une majorité, et donc un gouvernement solide. L’impossibilité de rassembler les petits partis et les la volonté affichée par les LibDems de soutenir le parti arrivé en tête ont donc entraîné la fin du gouvernement travailliste. Le camp du Premier Ministre sortant, Gordon Brown, n’a pas su défendre le bilan du Labour qui, malgré des avancées notables comme la création du pacte civil comparable au PACS et la remise à flot du système de santé britannique, est plombé par les conflits d’Irak et d’Afghanistan et les déficits budgétaires.

De nombreux députés ont ainsi été battus, mais il est intéressant de noter que les figures les plus contestataires de la gauche du Labour ont été réélus avec une bonne marge : les opposants à la guerre et aux privatisations que sont Jeremy Corbyn (54,5%, +3,3 points), Michael Meacher, John McDonnell (54,8%), John Cryer ou Jon Cruddas ont tous conservé leur siège avec au moins 40% des voix.

Suite à la démission de Gordon Brown la semaine dernière, le Labour Party est entré dans une phase de recomposition qui s’achèvera au congrès de Manchester en septembre. Les débats et prises de position médiatiques sur l’orientation du parti travailliste ont commencé sur les chapeaux de roues. Chaque personnalité livre sa propre interprétation de la sévère perte de voix du Labour Party depuis son accession au pouvoir, à commencer par David Miliband. Premier candidat déclaré pour le remplacement de Gordon Brown, Miliband soutient une ligne blairiste sociale-libérale qui suscite peu d’enthousiasme à l’heure actuelle. D’autres personnalités comme Ken Livingstone, ancien maire de Londres, attribuent la défaite à la dérive technocrate du Labour et appellent de leurs vœux un parti plus à gauche. Certains candidats déclarés ou potentiels comme John McDonnell et Jon Cruddas portent également cette ligne du retour aux valeurs historiques du parti travailliste.

Les mois à venir seront ainsi cruciaux pour le Labour Party, qui déterminera sa capacité à résister contre les offensives néolibérales du gouvernement Cameron et ses chances de regagner le pouvoir lors des prochaines élections.

L’extrême-droite en embuscade

Cette campagne électorale a également été marquée par l’influence du British National Party (BNP), sur laquelle ce programme d’extrême-droite a fait planer l’ombre du fascisme. Le leader du BNP, Nick Griffin, menaçait de surfer sur le climat de crise pour rafler le siège de la circonscription de Barking. La mobilisation citoyenne a stoppé net cette ambition : grâce à une participation locale en hausse de plus de 13 points, Griffin s’est contenté d’une troisième position avec 14,6% des voix et une baisse de 1,7 point.

Pour autant, le score national du BNP est en hausse de 1,2 point, bien que ses 563 000 voix (1,9%) ne lui permettent pas d’avoir d’élus. Cette situation reste donc préoccupante.

L’entrée des Verts au Parlement

Le Green Party va faire ses premiers pas au Parlement grâce à l’élection de leur chef de file Caroline Lucas dans la circonscription de Brighton Pavilion. Les Verts avaient obtenu 8,7% des suffrages aux dernières élections européennes, mais les portes de la Chambre des Communes leur restaient fermées jusqu’ici.

Ce parti ne semble pas limiter ses propositions aux questions écologiques, mais soutient des mesures sociales ambitieuses comme un impôt sur le revenu plus progressif, un « revenu de citoyenneté » ou un investissement important dans les services publics. Gageons que Caroline Lucas se sentira bien seule au Parlement, après cette campagne où les principaux partis ont insisté lourdement sur la nécessité de réductions budgétaires. La victoire de Brighton est bien un cas isolé, qui ne doit pas faire oublier que le Green Party n’a récolté qu’1% des suffrages exprimés lors de cette élection, score en légère baisse par rapport à 2005 (1,1%).

L’autre gauche en difficulté

Les multiples candidats issus de l’abondance de partis et organisations militantes à la gauche du Labour n’ont pas, comme ont pouvait s’y attendre, remporté de siège au Parlement ni obtenu de score significatif. L’incapacité de l’autre gauche à s’unir a, une fois de plus, rendu son combat inaudible dans une arène politique dominée par une stratégie d’accompagnement ou de glorification du capitalisme transnational. Les mouvements comme Respect-Unity de George Galloway ou la Trade Union and Socialist Coalition (TUSC) obtiennent des résultats négligeables (respectivement 33 251 et 12 275 voix sur près de 30 millions de votants), qui plus est en baisse.

Bien que le peuple britannique n’ait pas voté en majorité pour son programme, le gouvernement Cameron s’apprête à lancer un train de mesures néolibérales extrêmement inquiétantes (licenciements dans la fonction publique, réductions budgétaires dans les services publics...). De plus, l’opposition risque d’être inaudible du fait du changement de leadership, si ce n’est d’orientation, en préparation à la tête du Labour Party. Le peuple britannique et les syndicats se préparent d’ores et déjà pour la lutte. Pourront-ils faire vaciller le nouveau gouvernement et provoquer de nouvelles élections avant le terme de 2015 ?

Agathe Nougaret, Parti de Gauche


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