2 août 1980 Près de 300 morts et blessés. Population italienne affolée, aux affûts de toute information sur les coupables. Dès l’évènement, le gouvernement de Francesco Cossiga, la police et la plupart sinon la totalité des mass media dénoncent les Brigades rouges comme responsables de la tuerie. La critique de l’extrême gauche tourne en boucle de toutes les façons possibles.
En fait, les responsables font partie de l’appareil d’État italien (militaires de haut niveau, services secrets...) ; ils sont soutenus par l’OTAN et la CIA pour dresser la population contre les communistes et l’extrême gauche.
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1) L’attentat
Le 2 août 1980, la salle d’attente de la gare de Bologne est bondée car se croisent vacanciers de juillet revenant de vacances et vacanciers d’août en pleine période de départs. A 10 h 25, explose une bombe laissée dans cette salle grouillante de personnes insouciantes du danger. Elle tue 85 personnes et en blesse plus de 200.
La déflagration est tellement violente qu’une aile de la station s’effondre. La panique s’ajoute à l’explosif. Cet attentat aveugle a été conçu pour faire le plus de victimes possibles.
La presse joue à fond sur l’émotion (un enfant de 3 ans, un pépé de 86 ans...) avec de grandes photos montrant le spectacle de désolation de la gare avec décombres, pelle mécanique et échelles des pompiers dans le hall de la gare.
2) Enquête
L’enquête dura presque quinze ans et c’est seulement grâce à l’action des familles des victimes, que le procès a été à son terme. Au bout d’un mois, la piste de la droite dure et des néofascistes est enfin prise en compte sérieusement.
Le 29 août, les magistrats instructeurs de Bologne dirigent leur enquête vers la piste des groupuscules de l’extrême-droite italienne, en particulier les NAR, Nuclei Armati Rivoluzionari (les Noyaux Armés Révolutionnaires) dont ils vont montrer les liens avec le banditisme, tout spécialement la bande de la Magliana à Rome. Trois jours plus tard, le typographe Maurizio Di Leo, est tué par des militants des NAR. En fait, c’est une erreur du commando qui souhaitait abattre un journaliste du Messagero, auteur d’une enquête sur le terrorisme d’extrême-droite.
Il est vrai que depuis deux ans, les NAR étaient particulièrement actifs. En 1978, ils revendiquent 29 attentats, 43 en 1979, 32 pour les six premiers mois de 1980.
Les soupçons remontent jusqu’à la loge maçonnique Propaganda 2 (la P2) et son Grand Maître, Licio Gelli, qui auraient manipulé des ultras de l’extrême-droite avec le soutien de responsables du Service de renseignement militaire, le SISMI, que sont Francesco Pazienza, Pietro Musumeci et Giuseppe Belmonte. La P2 joue sans doute un rôle capital dans la stratégie de la tension que connaît l’Italie depuis la fin des années 1960 (elle est officiellement dissoute par le gouvernement en 1981). Cependant, les preuves déterminantes manquent et ils ne sont accusés que d’avoir fait obstacle à l’enquête. Par contre, les autorités parviennent à établir qui a opéré à Bologne le 2 août 1980.
Des mandats d’arrêt sont lancés contre Francesca Mambro et Valerio Fioravanti, responsables et militants des NAR (Francesca Mambro, surnommée la “passionaria” noire, fut la personne qui trouva le signe du groupuscule). Ils sont accusés d’avoir été les poseurs de la valise, les exécuteurs de terrain. Fioravanti est interpellé à Padoue, en février 1981, après des échanges de coups de feu qui coûtèrent la vie à deux policiers. Mambro est blessée et capturée en mars 1982 durant une tentative de hold-up dans une banque. Ils furent condamnés à la prison à vie pour l’attentat mais ils ne peuvent être considérés comme les seuls cerveaux de la tragédie de Bologne ?
3) La stratégie de tension voulue par les conservateurs italiens (dans le patronat, la droite, l’armée, la police, la justice...) pour mettre en place un "gouvernement autoritaire"
Depuis 12 ans, l’Italie connaît une vague d’attentats : 147 en 1968, 398 en 1969 (dont Milan 18 morts et 90 blessés) ... 2498 en 1978... Au delà du nombre de faits, l’année 1974 a marqué l’apogée de la violence avec un attentat à Brescia (8 morts et 102 blessés) et un autre déjà à Bologne (12 morts et 105 blessés).
Qui a perpétré ces attentats ? A Milan, comme lors de chaque massacre, les anarchistes furent désignés à la vindicte populaire, la police en arrêta 150 dont plusieurs passèrent devant le tribunal. Trois innocents furent déclarés coupables. Bien plus tard, un témoignage permit de découvrir que les vrais responsables étaient des néofascistes travaillant avec des officiers du SID (services secrets de l’Etat italien).
Qui se trouvait derrière cette stratégie terroriste ? Dans son audience du 2" novembre 1995 concernant l’attentat de la gare de Bologne, la Cour de cassation a donné une réponse précise :
"Suite aux enquêtes sur l’attentat à la gare de Bologne le 2 août 1980, quand l’explosion d’une bombe a provoqué la mort de 85 personnes et plus de 150 blessés, les enquêteurs ont retenu que l’événement devait s’inscrire dans une complexe stratégie terroriste, mûrie dans les milieux de la droite subversive.
(...) Après la dissolution d’"Ordre Nouveau", en 1973, et "Avangarde Nationale", en 1976 (...), est née une nouvelle, complexe structure organisative (...) qui avait pour but une stratégie terroriste plus radicale : la lutte contre l’Etat (...) qui agissait à travers le besoin de diffuser la terreur parmi les masses (...) pour créer un climat d’acceptation d’un gouvernement plus autoritaire, non plus sensible aux aspirations démocratiques."
4) La stratégie de tension voulue par l’OTAN et la CIA utilisant des responsables influents du patronat et de la droite italiens
« Loin d’être un acte isolé, le massacre de Milan est le point culminant d’une offensive concertée de déstabilisation du régime parlementaire italien. Cette « stratégie de la tension » comme l’a baptisée un journaliste de l’Observer est exemplaire. Exemplaire parce que, depuis [1968] elle fait de l’Italie un véritable laboratoire de la subversion de droite. Exemplaire aussi parce qu’elle révèle les techniques employées par les hommes de l’extrême droite, les moyens dont ils disposent et le soutien qu’ils peuvent attendre d’une fraction de l’appareil d’État ».
Au terme d’une enquête de quinze ans, les responsabilités sont établies : la cour de cassation italienne, dans son arrêt du 23 novembre 1995, révèle
"l’existence d’une vaste association subversive composée, d’une part par des éléments provenant des mouvements néo-fascistes dissous, tels Paolo Signorelli, Massimiliano Fachini, Stefano Delle Chiaie, Adriano Tilgher (l’un des leaders du parti allié à Berlusconi, Ndlr), Maurizio Giorgi, Marco Ballan, (...) et d’autre part par Licio Gelli, le chef de la loge maçonnique P2, Francesco Pazienza, le collaborateur du directeur général du service de renseignement militaire SISMI, et deux autres officiers du service, le général Pietro Musumeci et le colonel Giuseppe Belmonte.
On leur attribuait (...) d’un côté de vouloir subvertir les équilibres politiques constitutionnels, pour consolider les forces hostiles à la démocratie, et de l’autre (...) de favoriser les auteurs d’entreprises terroristes qui pouvaient s’inscrire dans leurs plans."
La loge maçonnique P2 (Propaganda due), d’après l’ancien agent de la CIA Richard Brenneke, a été financée par les services secrets américains à hauteur d’un à dix millions de dollars par mois pour organiser des attentats terroristes en Italie. Une liste de ses membres a été retrouvée par les enquêteurs au domicile de son chef, incluant 959 noms, parmi lesquels ministres, parlementaires, chefs des trois services secrets, le chef d’état-major de l’armée, 43 généraux, 8 amiraux, 43 hauts officiers des carabinieri (la gendarmerie italienne), des commissaires de police, de hauts magistrats, des rédacteurs en chef, de gros banquiers... Sa divulgation entraîna la chute du gouvernement de l’époque, en épilogue au plus énorme scandale de l’histoire transalpine.
5) Condamnations
Le 23 novembre 1995 la cour décida des condamnations suivantes :
* les exécuteurs matériels de l’attentat (les néonazis Valerio Fioravanti et Francesca Mambro) à la prison à perpétuité ;
* la condamnation pour obstruction à l’enquête pour Licio Gelli, grand-maître de la loge maçonnique Propaganda Due (P2), Francesco Pazienza et deux officiers du SISMI : le général Pietro Musumeci et le colonel Giuseppe Belmonte.
Pazienza, chef du Super-SISMI en 1980, était notamment accusé, avec le général Musumeci, d’avoir placé une valise d’explosifs sur le train Taranto-Milan en janvier 1981, du même type que ceux utilisés dans la gare de Bologne, afin d’égarer les pistes.
Jacques Serieys
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