"Hors la loi" ou "voyou", à propos de notre Président de la République, et des conséquences de ses paroles...

lundi 23 août 2010.
 

Je veux m’inscrire, un instant, dans un débat qui prend une certaine ampleur ces jours derniers : peut-on traiter un Président de la République de "voyou", comme l’a fait l’hebdomadaire Marianne cette semaine ?

Prendre la question ainsi, me semble biaisé car le débat qui prend le plus d’ampleur en réaction, est celui sur la liberté de la presse. Certes, il est fondamental. La presse doit pouvoir écrire ce qu’elle veut, dans les limites de la loi. Les injures racistes, ou les calomnies par exemple, devront être condamnées. Cela n’est pas nouveau. La vraie question à se poser est plutôt en cet été 2010 : Marianne, dans le constat qu’il pose cette semaine, a-t-il raison ou non ? Ce Président est-il en train de faire exploser nombre de principes fondateurs de nos lois ? Fait-il courir un danger, et même plusieurs, à notre pays dans ses fondations et principes républicains ? A ces questions, je réponds : Oui.

Car, il faut mesurer les dangers concrets de la parole sarkozyenne. Des faits divers de plus en plus tragiques illustrent son impact. Ici, il y a quelques jours, dans l’Hérault, où je passe mes vacances, dans le petit village de Nissan-lez-Ensérune (proche de Béziers), un septuagénaire, surpris dans son sommeil par les bruits de deux cambrioleuses, a tiré au fusil par deux fois sur elles, les blessant grièvement. Le temps de l’enquête, l’homme a été placé en détention. Aussitôt, dans le village et dans la presse, cette arrestation fait scandale. Toute la population prend fait et cause pour le "Papy", d’autant que les cambrioleuses sont de nationalité étrangère, et manifestement membre d’un groupe de Roms installé non loin de là. Certes, on peut s’interroger à bon droit, s’il est indispensable de placer en cellule un vieil homme pour mener à bien l’enquête ? Je n’en suis pas sûr. Selon moi, il pourrait être remis en liberté, sous contrôle judiciaire, sans menacer l’ordre public. Mais, l’essentiel n’est pas là. Dans le climat actuel, libérés par la parole de Sarkozy, les esprits s’echauffent et se radicalisent. Des pétitions demandent la libération immédiate du vieil homme, et affirment, sans connaitre les détails du drame, qu’il a agit en simple état de "légitime défense".

Aussitôt, plein d’opportunisme, un jeune élu UMP de Béziers, M. Jason Onderwater, Responsable départemental adjoint des Jeunes de l’UMP, (démarrant ainsi sa campagne aux élections cantonales), a été il y a quelques jours sur son blog à l’initiative d’un buzz (près de 20 000 internautres l’ont vu), interpellant Nicolas Sarkozy ainsi : "Libérez le Papy écroué (...) Dans cette société devenue folle, l’Etat ne protège plus le peuple... Monsieur le président, qu’attendez vous, bordel ? (...) Vous avez donné tant d’espoir. La délinquance est en baisse, pas le sentiment d’insécurité. Ecoutez votre instinct. Un Karcher sans pression ne sert à rien... Lachez les chiens. Les policiers et les gendarmes ont la rage. Ils n’en peuvent plus de ne pas avoir les moyens d’agir et de voir les délinquants se foutre de leur gueule. Donnez carte blanche aux forces de l’ordre... Le peuple veut vivre en sécurité, ne nous laissez pas tomber."

L’outrance du propos est telle, que plusieurs responsables locaux de l’UMP l’ont condamné, notamment parce qu’il s’en prend frontalement à Nicolas Sarkozy dans sa folle diatribe. D’autant que le Procureur a, depuis peu, donné dans la presse une version moins favorable au "Papy", néanmoins flingueur. La "légitime défense" ne semble plus si fondée que cela. D’abord, contrairement à ce qui avait écrit dans le Midi Libre, l’homme n’a pas été cambriolé plusieurs fois les mois derniers. De plus il aurait tiré par deux fois, à bout portant, canon touchant ses victimes précise le procureur, à deux moments différents, sur les personnes qui étaient accroupies dans son domicile. En écrivant cela, je ne défends pas les deux cambrioleuses, je réaffirme le principe fondamental que l’on ne doit pas se faire justice soi-même. Aucun vol, aussi grave soit il, ne peut être sanctionné par le meurtre. Quelle tristesse qu’il faille rappeller cette basse évidence. Si ce vieil homme a tiré ainsi, c’est aussi qu’il avait peur nous dit-on. Certes. Mais, peur de quoi ? La réponse est toute simple : il a peur de ce qu’il a vu à la télé, lu dans le journal et entendu dans la bouche même du Président de la République. C’est la frousse, oui, la peur qui l’a rendu fou. La banale peur qui transforme un pauvre homme de 73 ans en un meurtrier potentiel. On se souvient de la célèbre phrase du journaliste Roger Gicquel dans les années 70 : "La France a peur". Près de 40 ans plus tard, en 2010, c’est manifestement ce que recherche Sarkozy.

Mais, sous la pression de quelques responsables de la droite locale conscients du décalage entre la réalité et la présentation qui en est faite pour leur jeune responsable, le blog de l’élu UMP, aprenti incendiaire et cynique chevronné, a été fermé au bout de deux jours. Toutefois, le Sénateur-Maire UMP de Béziers, M. Raymond Couderc, s’est contenté de dire, sans condamner : "Il est jeune et a réagi de façon spontanée ; c’est une action sentimentale plus que politique réfléchie." Drôle de sentimentalisme qui consiste à demander à la police de "lâcher les chiens". En ce mois d’août 2010, le FN peut aller se reposer. D’autres travaillent pour lui.

Ainsi, va la France UMP de Sarkozy en 2010... La brutalité de la parole présidentielle apparait comme un feu vert donné à tous les excés de petits élus locaux qui veulent eux aussi "chevaucher le tigre". Je suis persuadé qu’il ne s’agit pas d’une anecdote isolée. D’autres exemples similaires suivront. Ailleurs, d’autres candidats UMP galvanisés écriront, sans doute avec d’autres mots, qu’il faut "lâcher les chiens" contre les délinquants, particulièrement si ces derniers sont des étrangers. On comprend le paysage politique que l’on veut imposer touche après touche pour 2012. Rien de ce qui se déroule actuellement n’est le fruit du hasard. C’est une stratégie politique qui se met en place. L’Elysée veut radicaliser le climat politique. Il veut court-circuiter le débat social, sur la répartition des richesses, par le débat sécuritaire. Une élection présidentielle surplombée par le danger d’un FN au second tour, paralysant la grande majorité des électorats (fussent-ils de gauche comme de droite) et imposant un "vote utile" pro-UMP, ou pro-PS dès le premier tour.

Pour l’analyse plus globale, je vous invite à lire un long article d’Edwy Plenel, paru sous le titre "Sarkozy contre la république : un Président hors la loi" dans Médiapart (cliquez ici) , qui me semble fort pertinent. Bonne lecture.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message