L’État Belge existe encore, mais pour combien de temps ? Face à l’incapacité des partis à s’entendre, le désarroi est grand, d’un bout à l’autre du pays. La tentation du repli sur soi gagne du terrain.
En visitant la Belgique ces temps-ci, on pense irrésistiblement au titre du roman d’Hugo Claus le Chagrin des Belges. Qu’ils soient flamands, wallons, bruxellois ou germanophones, les Belges sont inquiets. Cela fait trois mois que les partis vainqueurs des élections du 13 juin tentent de trouver un accord sur la réforme de l’État fédéral, exigée par les nationalistes flamands pour que la Belgique continue… en attendant de « s’évaporer ». Comme l’affirme Bart De Wever, le président de la NVA (Nouvelle Alliance flamande), premier parti de Flandre.
De l’inquiétude à l’angoisse
Cet historien de trente-neuf ans a un objectif : « Faire disparaître la Belgique sans qu’on s’en aperçoive », en vidant peu à peu l’échelon fédéral de sa substance au profit des régions fédérées, surtout la sienne ! Une transfusion qui laisserait la Belgique exsangue. Et inutile. Sauf à servir de paravent pour éviter à une Flandre indépendante d’avoir à se faire accepter au plan international, tant par l’UE – qui n’a jamais eu à gérer la scission d’un état membre – que par l’ONU. Et puis, le label Belgique est une marque appréciée. De Wever, fervent adepte du « libre marché » capitaliste, le sait.
Le président du Parti socialiste, Elio Di Rupo, vainqueur du scrutin côté francophone, avait accepté de relever le défi et de négocier avec De Vewer. En dépit de concessions importantes en termes de transfert de compétences aux régions, il s’est heurté à un « neen » cinglant. Et le pays est passé de l’inquiétude à l’angoisse.
Chose étrange : tous les sondages montrent qu’une large majorité des Belges, à quelque communauté qu’ils appartiennent, sont attachés à la Belgique. Mais ils montrent aussi qu’en cas de nouvelle élection, la dichotomie Nord/Sud s’accentuerait encore. L’impasse est donc totale et le sauve-qui-peut général face au spectre de l’éclatement.
À Liège, on prépare les fêtes de Wallonie qui commémorent chaque année la participation des Wallons à la révolution de 1830. Une fête en fanfare, arrosée de « peket », l’alcool local, comme toutes les réjouissances de cette ville qui revendique haut et fort sa « francité ».
Cette année, le cœur n’y est pas. Dans le quartier populaire d’outre-Meuse – celui où naquit Simenon –, on avoue « ne rien comprendre aux négociations sur Bruxelles ». La capitale et les problèmes linguistiques des habitants de sa périphérie semblent aussi loin vus d’ici que de Paris. « Ce que je veux ?, dit cette Liégeoise, c’est revenir à la Belgique unie. Je n’arrive pas à croire que mon pays puisse finir un jour. »
Un fort sentiment principautaire
Et si tel était le cas ? Les seuls à s’en réjouir sont les partisans du RWF, mouvement pour le rattachement de la Wallonie à la France, de Paul-Henry Gendebien : « Ce que nous annonçons depuis des années se vérifie », clame-t-il, précisant : « Le nationalisme flamand a rendu la Belgique impossible. L’État belge est en mort clinique même si les francophones s’y raccrochent désespérément par manque de projet. »
L’idée d’un Wallonie indépendante, appauvrie, non viable économiquement, a pourtant beaucoup de mal à faire son chemin. Le maire socialiste de Liège, Willy Demeyer, le confirme et évoque l’existence, « ici, à Liège, d’un fort sentiment “principautaire”. Si la Belgique éclate, beaucoup de Liégeois rêvent de revenir à la Principauté. C’est un sentiment que l’on retrouve aussi bien à Eupen, Maastricht qu’à Aix-la-Chapelle. Et avec l’Europe, c’est possible. »
À Eupen, pimpante capitale d’une région germanophone dont personne ne parle, la population est bilingue (français-allemand) mais c’est l’allemand qui domine. « Les gens sont complétement tournés vers l’Allemagne, dit une commerçante. Alors, les problèmes de Bruxelles, c’est loin. Si la Belgique éclatait, je suis sûre que les gens d’ici choisiraient le retour à l’Allemagne. Mais ceux de Saint-Vith préféreraient le Luxembourg et ceux de Malmedy iraient avec Liège. »
Gérard Cremer, rédacteur en chef du Grenz Echo, le journal local, tempère ce tableau. « Les gens, dit-il, souhaitent rester dans le contexte belge. » Ici, encore plus qu’à Liège, la crise belge est quasiment indéchiffrable. Et si l’on tient à la Belgique, c’est surtout pour une certaine qualité de vie. C’est ce que s’apprêtent à dire lors d’une grande manifestation prévue le 15 septembre les syndicats du nord comme du sud de ce pays en mal d’avenir.
Françoise Germain-Robin
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