Monsieur David Pujadas
Je vous adresse cette humble requête.
Accordez-moi, je vous prie, 2’30 d’« exposition » en direct lors d’un Journal Télévisé pour que je sois fugitivement aussi connu que le secrétariat national de mon syndicat, et que je sois enfin révélé à mon public. Je suis même prêt à faire des essais, pour vous permettre de vérifier à quel point je peux être « sincère » et « poignant ».
Accordez-moi, je vous prie, 2’30 d’entretien en direct lors d’un Journal Télévisé pour que Libération trace mon portait. Je suis prêt à répondre à n’importe quelle question. Inutile de nous demander pourquoi nous sommes en colère. Bornez-vous à vous inquiéter de notre « violence », comme vous le faites chaque fois que vous interrogez Madame Parisot.
Je vous l’accorde (si cela peut m’être utile...) : vous ne manquez jamais de demander à celle-ci quelle fin justifie les moyens employés par nombre de patrons de son syndicat ; vous ne manquez jamais de lui demander « s’ils ne vont pas trop loin » quand leur violence atteint non pas le mobilier d’une sous-préfecture, mais des centaines ou des milliers de familles.
Et quand une crise boursière éclate, je vous l’accorde aussi, vous convoquez sur votre plateau les « leaders » des marchés financiers et les « patrons » des traders qui les fréquentent, pour leur demander fermement : « Est-ce que vous appelez au calme ? », « Est-ce que vous allez vous calmer ? »
C’est pourquoi, je vous en supplie,
Accordez-moi, s’il vous plaît, 2’30 d’entretien en direct lors d’un Journal Télévisé. Vous aurez en prime l’occasion de vous vanter d’avoir traité « le social ».
Avec cette condescendance souriante qui vous va si bien.
Henri Maler
Monsieur David Pujadas,
Dans un article publié le 4 mai 2009 sur le site d’Acrimed, sous le titre « Des journaux télévisés face aux “violences” des salariés, nous avions relevé votre entretien avec Xavier Mathieu, délégué syndical CGT-Continental, après que les salariés de cette entreprise ont manifesté leur colère (à la suite du rejet de leur démarche d’annulation de la fermeture de leur usine par le tribunal de Sarguemines) en créant un certain désordre et en brisant du matériel dans la sous-préfecture de Compiègne.
Vous aviez jugé inutile alors d’interroger Xavier Mathieu sur les motifs de cette colère et préféré le sommer de s’expliquer sur la « violence » de salariés. Pierre Carles, dans le film « Fin de concession » a soumis cette séquence à Jean-Luc Mélenchon qui s’en est fort indigné (en des termes que le savoir-vivre du patronat réprouve).
Souvenez-vous...
En 2’30, trois questions, mais quelles questions !
- David Pujadas : « Bonsoir Xavier Mathieu, vous êtes le délégué CGT de Continental à Clairoix. On comprend bien sûr votre désarroi, mais est-ce que ça ne va pas trop loin ? Est-ce que vous regrettez ces violences ? »
Xavier Mathieu [délégué syndical CGT-Continental] : « Vous plaisantez j’espère ? On regrette rien … »
David Pujadas : « Je vous pose la question. »
Xavier Mathieu : « … Non, non, attendez. Qu’est-ce que vous voulez qu’on regrette ? Quoi ? Quelques carreaux cassés, quelques ordinateurs à côté des milliers de vies brisées ? Ca représente quoi ? Il faut arrêter là, il faut arrêter. »
David Pujadas : « Pour vous la fin justifie les moyens . »
Xavier Mathieu : « Attendez ,"la fin"... On est à 28 jours de la fin, monsieur. On est en train de nous expliquer que dans 28 jours [images de saccage reprises en parallèle] le plan social sera bouclé et on va aller à la rue. Oui, oui, je ne regrette rien. Personne ne regrette rien ici parce que vous avez vu, vous n’avez pas vu des casseurs, vous avez vu des gens en colère, des gens déterminés, des gens qui veulent pas aller se faire démonter, crever. On ne veut pas crever. On ira jusqu’au bout de notre bagarre. On a tenu cinq semaines. Pendant cinq semaines j’ai réussi, on a retenu, on a réussi à retenir les gens. C’est fini, les gens n’en veulent plus. Le gouvernement nous a fait des promesses. Il s’est engagé à réunir une tripartite depuis le début, dans les trois jours. Ca fait une semaine que ça dure. Depuis on se rend compte … »
David Pujadas : « Xavier Mathieu, on entend votre colère, mais est-ce que vous lancez un appel au calme ce soir ? »
Xavier Mathieu : « Je lance rien du tout. J’ai pas d’appel au calme à lancer. Les gens sont en colère et la colère il faut qu’elle s’exprime. Il y a un proverbe des dernières manifestations qui dit "qui sème la misère récolte la colère". C’est ce qu’ils ont aujourd’hui. Il y a plus de 1 000 familles qui vont être à la rue qui vont crever dans 23 mois avec plus rien, qui vont être obligées de vendre leur baraque. Il faut que tous vous compreniez ça. On ne veut pas crever … »
David Pujadas : « Merci, Monsieur Mathieu, d’avoir été en direct avec nous. Un mot encore. Il y a dix minutes tout juste, Luc Chatel, secrétaire d’Etat à l’industrie, proposait ces discussions tripartites après les événements donc de cet après-midi. Merci Monsieur Mathieu. »
Monsieur Pujadas, avez-vous remarqué, simplement remarqué, que vos trois questions (sur trois questions seulement) étaient trois invitations non à s’expliquer sur les motifs d’une colère, mais sur des « violences » ? Indignés par l’indignation de Jean-Luc Mélenchon, Le Parisien puis France Info vous ont donné l’occasion de vous expliquer « sur le fond ».
Et « sur le fond », voici ce que cela donne
Reprenons pour nous émerveiller…
2’30 d’« exposition » : quelle aubaine !
David Pujadas : « Si vous voulez, c’est là qu’il est quand même un peu à côté de la plaque Jean-Luc Mélenchon, il n’a pas dû bien voir, bien comprendre parce que ce jour-là on fait 8 minutes sur le social. Y a les Continental, et puis y a les Molex derrière […] »
8 minutes « sur le social », comme vous dites, n’est-ce pas même un peu trop ? D’autant que ce ne fut pas votre seul titre de gloire :
David Pujadas : « […] Y a les Continental, et puis y a les Molex derrière. Et on choisit, ce qui est une chose assez rare , y a peu de journaux qui l’ont fait, de recevoir en direct, de donner une exposition donc, de 2 minutes 30 en ouverture du journal, non pas à Bernard Thibaut ou à François Chérèque, non pas au patron d’une confédération, mais à Xavier Mathieu qui est donc le leader syndical des Continental. Il a 2 minutes 30 en direct !! »
« Donner une exposition » : qu’en belle langue se dit là votre générosité, éblouie de sa « rareté ». Et quelle audace : « donner une exposition » à un simple leader syndical d’une entreprise dont les salariés vont être jetés à la rue ! A un simple porte-parole et pas au « patron d’une Confédération » (décidément chaque expression vous trahit), ni au sous-préfet (le pôvre), ni au patron de l’usine ? On n’en revient pas...
David Pujadas : « Ce jour-là, on n’a pas donné 2 minutes 30 au sous-préfet dont le bureau, dont le mobilier avait été en partie dévastés, on n’avait pas donné 2 minutes 30 au patron de l’usine, on l’a donné à Xavier Mathieu. » Et dire que l’on ne vous a pas encore accordé la Légion d’honneur... Mais pourquoi Xavier Mathieu ?
David Pujadas : « Bon c’est vrai qu’on l’avait “repéré“, entre guillemets, c’est quelqu’un qui parle un peu avec ses tripes… il est assez poignant. Et il a eu beaucoup de temps pour s’expliquer ce soir. »
Un « bon client », en quelque sorte. Émouvant, « poignant », même…
David Pujadas : « Alors les questions, c’est des questions de base, c’est école de journalisme numéro 1, c’est, bien sûr, est-ce que vous regrettez ce saccage, est-ce que vous lancez un appel au calme, enfin il y avait évidemment aucune agressivité, et encore une fois, il a bénéficié d’une exposition assez exceptionnelle, je ne connais pas beaucoup de grands journaux qui font ça voilà. Donc je pense qu’il y a un contresens même que fait Jean-Luc Mélenchon qui est assez étrange. »
Dans le genre « aucune agressivité », vous aviez été précédé, en d’autres temps, par Yves Calvi, « extincteur d’incendie dans les quartiers populaires », que vous avez plagié sans le savoir.
Merci, Monsieur Pujadas. Si nous ne le savions déjà, nous sommes désormais informés des « questions de base » que l’on apprend à formuler dans les écoles de journalisme. Non pas : « Qu’est-ce qui explique votre colère à la suite de la décision du tribunal ? Quel sort attend les Conti après cette décision d’une extrême… violence ? » Mais trois appels (et cela seulement…) à condamner la « violence » des salariés. Ce n’est pas un entretien, mais un cours d’instruction civique pour école maternelle.
Faut-il comprendre que vous avez ainsi esquivé ce « journalisme des bons sentiments », cette « bien-pensance » médiatique que vous fustigiez en dénonçant « l’idée que, par définition, le faible a toujours raison contre le fort, le salarié contre l’entreprise, l’administré contre l’État, le pays pauvre contre le pays riche, la liberté individuelle contre la morale collective » ? [1]
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