J’ai relevé à plusieurs reprises dans mes notes, comme on le sait, le coup que porte la direction du PS à la cohérence du mouvement contre la réforme des retraites. Lorsque les dirigeants socialistes reprennent à leur compte l’argumentation de la droite sur la nécessité d’allonger les durées de cotisations. J’avais proposé que l’on fasse semblant de ne pas voir le problème pour éviter de donner de l’impact à cette position de division du front social. En même temps il fallait bien le relever pour éviter de donner le sentiment de la connivence. J’étais dans cet entre deux jusqu’à ce que ce soit une offensive frontale de l’intérieur du Parti socialiste qui libère notre parole. S’il en est qui le disent eux-mêmes pourquoi devrions nous amortir le choc. Dès lors, lundi soir au meeting parisien du PG, au théâtre Dejazet, dans mon discours, j’ai relevé le texte du blog de Pascal Cherki maire socialiste du 14 ème arrondissement de Paris et surtout membre du bureau national du Parti Socialiste.
Comme il est membre du courant Hamon, on mesure la hardiesse du propos car le discours officiel du courant est clair comme du jus de chaussette sur ce thème. Et encore, je dis cela… par amitié pour eux. Reste que je connais bien cet élu. Il a été longtemps un proche de Julien Dray du temps de la « Gauche Socialiste » avant de prendre ses distances avec ce dernier. Ce fut aussi un dirigeant étudiant de la tendance de gauche du syndicat. Progressivement il a évolué jusqu’à un réformisme social démocrate assumé, dont je ne manque pas de sourire me souvenant de ses reproches de jeune homme qui m’estimait trop… conventionnel. Pour autant, l’homme est assez direct et sait utiliser les méandres et les convenances du petit monde du PS. Bien sur, il ne manque jamais de rentrer dans le rang, comme tout un chacun dans ce parti, sitôt que les nominations et désignations approchent. Cela ne le stigmatise pas. Au bal, on danse. Sinon à quoi bon y aller ? Sa déclaration solennelle marque une étape dans les débats internes du PS où, à l’exception de Gérard Filoche, un silence soumis régnait dans les rangs. On se souvient que depuis déjà quinze jours tous les tracts du PS mentionnent, sans faux semblant, cette soi disant « nécessité d’allonger les durées de cotisations ». Ce n’est donc pas une nouveauté liée à l’émission où, somme toute, Martine Aubry n’a fait que répéter ce qui était déjà connu voté et diffusé par le PS. La déclaration de l’élu socialiste souligne donc plutôt une prise de conscience de la radicalisation des esprits et du risque de division que porte la position socialiste. Benoit Hamon avait donné le sentiment d’emboiter le pas à cette critique dès le lendemain dans le point de presse du PS. Il a été sèchement démenti, remis à sa place et il a aussitôt obtempéré. La déclaration de Pascal Cherki n’en est que plus frappante du fait même de sa précision.
« J’ai un doute » déclare le responsable socialiste. Puis il s’explique avec précision. Je synthétise en quelques extraits. « En prenant connaissance du contenu de l’intervention de notre Première Secrétaire lors de son passage à l’émission « A vous de juger », j’ai eu un doute. Comment Martine Aubry a-t-elle pu, alors que nous sommes en pleine mobilisation contre le projet profondément injuste de remise en cause des retraites par répartition, affirmer son accord avec l’allongement de la durée légale des cotisations ? » (…) « Et comme, par sa parole, notre Première Secrétaire nous engage tous, je me demande si nous prenons bien la mesure de ce qui est en train de se passer dans notre pays actuellement : à savoir une colère de plus en plus explicite et de plus en plus importante contre un sentiment de profonde injustice qui règne depuis de nombreuses années dans notre pays. » (…) « J’avoue que je ne comprends toujours pas les motivations qui ont conduit notre Première Secrétaire à faire cette déclaration devant des millions de téléspectateurs. Qu’aurions-nous dit si, en plein mouvement contre le projet de réforme de Devaquet en 1986 François Mitterrand avait manifesté son accord avec une partie de ce projet de loi ? Qu’aurions-nous dit si en plein mouvement contre le CPE, François Hollande avait manifesté son accord avec une partie de ce projet de loi ? C’est pourquoi je ne trouve aucune explication rationnelle à cette déclaration de Martine Aubry. Tout comme je ne comprends pas l’acharnement que mettent certains de mes camarades siégeant comme moi au Bureau National du PS à se prononcer pour l’allongement de la durée des cotisations. Tactiquement cette position est une faute car elle raisonne comme une gifle claquée à la face de millions de salariés mobilisés contre le projet de Nicolas Sarkozy et de François Fillon. » (…)
« Cette position est contestable tout d’abord pour une raison de méthode. On ne peut pas vouloir à la fois construire une réforme des retraites dans la négociation avec les partenaires sociaux et afficher une position qui est rejetée par une écrasante majorité de salariés et deux au moins des principales confédérations syndicales, à savoir la CGT et FO. » Passant ensuite en revue les raisons économiques et philosophiques de son désaccord, il conclut : « (…) l’acceptation ou non de l’allongement de la durée des cotisations est un révélateur de la détermination ou non de la gauche à changer dans les vingt prochaines années la donne. Soit la gauche renonce à transformer l’ordre des choses et se place dans la seule optique de « mieux » gérer un système de plus en plus rejeté par la population et alors Martine Aubry a eu raison de donner raison à François Fillon sur l’allongement de la durée des cotisations. Soit la gauche aspire à transformer l’ordre des choses et alors doit envisager la réforme des retraites en lien avec une nouvelle politique économique favorisant le plein emploi, faisant baisser le taux de chômage des jeunes et augmenter le taux d’activité des seniors et posant de manière offensive un nouveau partage des richesses en faveur du travail et non du capital. Dans ce cas la question de l’allongement de la durée des cotisations ne se posera plus dans les mêmes termes. » (…) « C’est pourquoi je recommande fortement à Martine Aubry de rectifier très rapidement le tir et de remettre en perspective la question des retraites avec la question de la bataille pour le plein emploi et pour une nouvelle répartition des richesses. Je ne souhaite pas et ne nous souhaite pas revivre une quatrième désillusion lors de l’élection présidentielle de 2012. »
La déclaration de Martine Aubry dès le lendemain, désavouant Benoit Hamon, qui en avait dit dix fois moins, répond à la question posée. Que va faire pascal Cherki ? Rien, bien sur. Mais ce qu’il a dit et démontré perd-t-il pour autant sa valeur ? Non bien sur. Que faire ? Placer sa confiance auprès de ceux qui sont clairs et cohérents en parole et en acte. La valeur sure c’est le Front de Gauche.
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