« Justice de classe » Répression accrue contre les manifestants, impunité accrue pour la délinquance financière (par Laurent Mucchielli)

dimanche 28 novembre 2010.
 

Sociologue et directeur de recherches au CNRS, Laurent Mucchielli constate à la fois une sévérité croissante à l’égard du mouvement social et, à l’inverse, une plus grande impunité vis-à-vis de la délinquance financière.

Le mouvement contre les retraites a-t-il été marqué par une répression particulière, notamment à Lyon  ?

Laurent Mucchielli. Il s’est passé manifestement quelque chose de particulier à Lyon le 21 octobre. On le sait, la journée du 18 avait connu des pillages par des « casseurs ». Le surlendemain, le ministre de l’Intérieur était venu assurer devant les journalistes que force resterait à la loi. Du coup, la manifestation du 21 octobre a fait l’objet d’un déploiement de forces policières proprement inouï. Sous le regard permanent d’un hélicoptère, des milliers de policiers et de gendarmes ont été déployés, avec moult gaz et Flash-Ball, appuyés par des camions « antiémeutes » équipés de canons à eau. Parmi eux, les manifestants pouvaient même apercevoir les hommes du GIPN, encagoulés et armés de fusils à pompe. À quoi rime un tel déploiement de force  ? Officiellement, il s’agissait de lutter contre les « casseurs ». Mais les témoignages s’accumulent pour dire que les forces de l’ordre ont exercé ce jour-là un niveau de répression totalement disproportionné, commettant des entraves graves au droit de manifester. L’épisode le plus connu est la « garde à vue en plein air » de quelque 500 personnes pendant plus de cinq heures. Et il faudrait apparemment ajouter des contrôles sans fondement, un fichage dont on ignore la base légale, des gazages et matraquages non nécessaires, voire des tirs de Flash-Ball et autres pistolets lanceurs de balles en caoutchouc.

Certains ont également dénoncé des provocations policières et même des infiltrations…

Laurent Mucchielli. C’est une question complexe et je n’ai pas toutes les informations. Il faut évidemment se méfier de l’angélisme de la communication gouvernementale qui prétend que les policiers ne sont là que pour protéger les gentils manifestants contre les méchants casseurs. Mais il ne faut pas sombrer non plus dans le discours anti-police primaire, qui est prêt à croire que les policiers jouent les casseurs pour mieux justifier ensuite la répression. En fait, l’infiltration des manifestations par des policiers en civil est une technique classique, notamment aux RG. Les BAC (brigades anticriminalité) s’y mêlent de plus en plus. Ce qui est plus inquiétant, c’est qu’il semble que des effectifs de maintien de l’ordre s’y mêlent aussi désormais, en secret. Tout ça pour quoi faire  ? Pas pour jouer les casseurs, mais pas non plus simplement pour les arrêter. Au final, il me semble que beaucoup de vrais manifestants font les frais de cette répression accrue, peut-être surtout s’ils ont le tort d’être jeunes, d’être un peu basanés et d’avoir la langue bien pendue…

Les réquisitions des parquets contre les manifestants vous semblent-elles particulièrement sévères  ?

Laurent Mucchielli. Il ne m’appartient pas de juger les juges. En revanche, je peux constater une sévérité croissante ces dernières années à l’égard des manifestants, comme d’ailleurs à l’égard des émeutiers. Et dans le même temps, je constate aussi une impunité croissante pour les délinquances économiques et financières (1). Ce « deux poids, deux mesures » me paraît être le fruit d’une volonté. La politique du gouvernement actuel nous oblige à reparler de « justice de classe ».

(1) Voir la tribune de T. Godefroy et L. Mucchielli dans le Monde, le 13 novembre 2010. Voir également le site d’information spécialisée www.laurent-mucchielli.org

Entretien réalisé par L. M. et D. S.


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