Haïti : le capitalisme, un système plus mortifère que le choléra ! (Arlette Laguiller)

dimanche 28 novembre 2010.
 

Des corps décharnés sur des paillasses, des êtres humains gisant par terre et mourant du choléra, des hommes, des femmes, portant sur leur dos le corps malade de leur enfant ou de leur compagnon, les images qui parviennent d’Haïti suscitent la compassion mais plus encore l’indignation. La catastrophe humaine que connaît aujourd’hui Haïti était une catastrophe annoncée. Elle est la deuxième en cette année, dix mois après le tremblement de terre qui a dévasté le pays et sa capitale, faisant plus de deux cent mille victimes.

« Catastrophe naturelle » ? Mais, au Japon, les tremblements de terre sont fréquents et parfois plus violents qu’en Haïti, et ni les destructions ni le nombre de victimes ne sont à la même échelle. Les victimes du séisme sont mortes de pauvreté. Non seulement parce que les taudis où vit la majorité de la population ne pouvaient pas résister, mais aussi parce qu’il n’existait ni matériel pour dégager les victimes des ruines, ni autorité pour organiser les secours, ni personnel de santé pour les soigner.

Devant l’émotion internationale que cela a suscitée, les dirigeants des grandes puissances avaient juré la main sur le cœur qu’ils aideraient à reconstruire le pays. De Clinton à Sarkozy, ils ont fait un petit tour sur l’île dévastée pour promettre de l’argent, les yeux fixés sur les caméras. Une fois passée cette émotion, on a remballé les caméras et on a laissé la population, une des plus pauvres de la planète, seule face aux conséquences du tremblement de terre.

Dans la capitale Port-au-Prince, en dix mois, seuls les axes de circulation ont été déblayés. Pour le reste, rien ! Huit cent mille personnes, dont le taudis a été détruit, dorment toujours dans la rue. Tout au plus, les abris de fortune, faits de cartons, de tôles, assemblés avec des ficelles, ont-ils été remplacés par des tentes. Abris bien dérisoires dans ce pays frappé par des ouragans. Huit cent mille personnes entassées dans des conditions d’hygiène infra-humaines, sans toilettes, sans eau bien souvent.

Ce qui devait arriver arriva. Quel que soit le point de départ de l’épidémie de choléra, elle vient d’atteindre la capitale.

Les télévisions montrent ces corps décharnés, dans les centres de soins ou en train de mourir dans la rue avant même d’avoir atteint un centre de soins. Car le choléra tue vite. Il ne laisse parfois à ceux qui en sont atteints que quatre heures de vie.

Regardons-les, ces images ! Ce sont des travailleurs comme nous, nos sœurs et nos frères. Ils survivent entre petits boulots et chômage pour la majorité. D’autres sont des ouvriers des usines de la zone industrielle qui travaillent douze heures par jour, six jours par semaine, pour gagner un salaire qui tourne autour de trois euros par jour en fabriquant ces maillots de corps, ces chemises qui se retrouvent ensuite dans les rayons des grands magasins aux États-Unis ou en France.

Haïti se trouve à une heure de vol seulement des côtes de la Floride, du pays le plus riche du monde, les États-Unis. Rien qu’avec une fraction infime des milliards qui ont été déversés sur les banquiers, il aurait été possible de financer le déblaiement des décombres, la construction de logements pour tous, la mise en place d’infrastructures, de canalisations d’eau potable, et ainsi d’enrayer la possibilité même d’une épidémie de cette ampleur. Une petite partie des moyens matériels que les puissances impérialistes déploient pour tuer en Afghanistan ou en Irak aurait pu faire surgir tout cela, avec la participation de la population qui ne demande qu’à travailler.

Rien de tout cela n’a été fait ! Les milliards promis sont restés des promesses. Et les médecins et infirmières des ONG, débordés face au choléra, ont beau implorer, il n’y a pas assez de personnel soignant, il n’y a pas assez de lieux pour soigner, et il n’y a pas de moyens de transport pour permettre aux malades d’atteindre rapidement les centres de soins. Il n’y a même pas assez d’argent pour des médicaments qui ne coûtent pas trop cher. Si le choléra tue vite, c’est aussi une maladie facile à soigner, il continue pourtant à tuer.

Le tueur, ce n’est pas le choléra. Les tueurs, ce sont ceux qui font marcher ce monde infâme où l’économie s’étouffe d’un trop plein d’argent et de spéculations et où il n’y en a pas pour la survie. Le tueur, c’est tout ce système où la course au profit remplace tout sentiment d’humanité. Alors, comment ne pas regarder les images venues d’Haïti en serrant les poings de rage et en se disant que ce système social mérite vraiment de disparaître ?

Arlette Laguiller

1) Haïti abandonné par les institutions financières et grandes puissances. Crime et reniements

Source : http://humanite.fr/24_11_2010-ha%C3...

Dix mois après le tremblement de terre, les fonds promis par la communauté internationale font toujours défaut, et
 le gouvernement du président Préval brille par son absence.

Sur les hauteurs de Pétionville, où les constructions anarchiques à même les flancs de colline donnent la mesure de l’explosion démographique de Port-au-Prince, des bâches bleues et blanches se sont officialisées. Un camp de sinistrés embrasse désormais Peguyville, l’un des nombreux bidonvilles de la capitale haïtienne. Dix mois ont passé depuis le 12 janvier. Ce jour-là, un séisme a tué 300 000 Haïtiens, démultipliant encore l’indigence. Dix mois ont passé, et pourtant, les cicatrices sont béantes.

En grimpant sur une voie terreuse, où déchets et eau croupie se disputent le terrain, les habitants se donnent du « respect ». Au seul point d’eau, les femmes s’activent à la lessive. Des enfants aux pieds nus jouent à la balle. En contrebas de la fontaine, dans un canal asséché, des cochons noirs fouillent les détritus qui s’amoncellent. Assis sur les marches d’un collège, protégées d’un auvent en plastique, Alix Fortuné, enfant du quartier musicien, revoit l’afflux de personnes terrorisées quittant « leurs maisons détruites ou fissurées ». Depuis, « les tentes, la tôle et les maisons en bois cohabitent, commente-t-il. Au début, des organisations sont venues pour aider mais la plupart sont reparties. » Une zone à l’abandon à l’image du pays.

Une toile plastique soutenue par trois poutres en bois accueille une église improvisée. Les riverains, endimanchés, se pressent pour assister à la messe. Refuge d’un pays encore dévasté où l’on croit plus en un signe de Dieu qu’à un geste du gouvernement. Puis, à la fin du chemin  : une mini-ville de bâches gérée par le comité de la Fondation Saint-Preux. À l’entrée de sa tente, où elle vit avec ses deux enfants, sa sœur et son époux, Elina frotte une casserole noircie. Timide, elle déclare en créole que « rien a changé » depuis le séisme. Une phrase qui est sur toutes les lèvres. « On vit des petits boulots de charpentier de mon mari, raconte Elina. Mais quand il trouve. »

Frustrée, la population tente de survivre

Comme près de 80 % d’Haïtiens au chômage, le quotidien est fait de « débrouille », confie encore Elina. Et de solidarité entre les sinistrés. Les trois ONG états-uniennes qui avaient débarqué en force au lendemain du séisme« ont déserté les lieux depuis septembre, déclare Alain, du comité du camp. Ils ne nous versent plus rien. » Pour restructurer un minimum de vie dans ce no man’s land où le quotidien est fait de rien, les membres du comité se sont employés à ouvrir les portes d’un établissement scolaire pour accueillir les 350 enfants. « Nous avons dû nous battre pour conserver les bancs d’école qu’une association voulait nous reprendre », indique, outré, Ofranel, de la Fondation. La location d’un grand container fait office de classe, en attendant la construction en dur financée désormais par l’Unicef. « Mais le problème n’est pas réglé car nous n’avons pas l’argent suffisant et nécessaire pour rémunérer les professeurs », précise Alain. Le système « D » a ses limites, et les portes du gouvernement, elles, restent définitivement closes. D’ailleurs, le bénévole en ricane, agacé  : « Est-ce qu’il y a un État  ? Nous faisons le travail à sa place. »

Avant le séisme, le gouvernement du président René Préval cristallisait déjà les tensions sociales et politiques. Aujourd’hui, elles sont à fleur de peau. La société est grosse de frustrations. L’absence de l’exécutif n’est pas la seule critiquée. On attend toujours le versement des milliards promis après le séisme par les grandes puissances... C’est dire si la campagne électorale pour les élections générales de ce dimanche, et les millions de dollars décaissés pour ce faire, a quelque chose de surréaliste. Et de choquant tandis que la population, livrée à elle-même, tente de survivre dans un environnement infra-humain. « C’est pour cela que les élections ne nous intéressent pas, coupe Alain. D’ailleurs ici, on n’a pas vu l’ombre d’un candidat. »

Les acteurs de la présidentielle

Tandis que les sinistrés du séisme se débattent dans une situation infra-humaine, la machine électorale semble suivre son cours. Comme si de rien n’était. Officiellement, près de 4,7 millions d’électeurs doivent élire, dimanche, leur président, 11 sénateurs et 99 députés. Mirlande Manigat, du Rassemblement des démocrates nationaux progressistes, recueillerait 30,3 % des intentions de vote, selon un sondage du Brides, devançant ainsi Jude Célestin, du parti présidentiel Inite (21,7%). L’ex-chanteur Michel Martelly arriverait troisième (10,8%) devant Jean-Henry Céant (8,3%) et l’industriel Charles-Henri Baker (7%). Inite raflerait la mise dans les deux chambres (9 sénateurs et 67 députés). À part ça, 80% des sondés pensent que les scrutins seront entachés d’irrégularités. Si les élections ont bel et bien lieu…

Haïti (Port-au-Prince), envoyée spéciale.

Cathy Ceïbe


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message