Mohamed Abbou (Tunisie). Une vie sous la coupe de Ben Ali

dimanche 15 octobre 2017.
 

Mohamed Abbou, avocat, a été arrêté en 2005, suite à un article publié sur Internet. Il est condamné à trois ans et demi de prison. Son parcours est celui d’un réprimé ordinaire dans la Tunisie du dictateur déchu.

« Quand on voit le peuple tunisien dire maintenant “À bas les Trabelsi”, la famille de la femme de Ben Ali, on dit, “ouf  !” », confie Mohamed Abbou. Il en aura fallu du temps pour que la corruption de l’entourage présidentiel sorte de la confidentialité, pour devenir sujet d’indignation. Puis de révolution. Mohamed Abbou, avocat né en 1966 et père de trois enfants, en sait quelque chose. Lui qui a été arrêté en 2005 pour un article comparant Zine El Abidine Ben Ali à Ariel Sharon, l’ancien premier ministre israélien qui devait rendre visite au régime de Tunis. L’histoire de cet homme de loi retrace une partie de cette chape de plomb qui recouvrait la Tunisie. Elle montre aussi la formidable résistance à l’injustice d’une profession, celle des avocats.

Dans son texte, publié sur Internet le 28 février 2005, Mohamed Abbou rappelle « que les deux hommes sont des militaires, qu’ils avaient des problèmes de corruption dans leur famille ». À cette époque, on parlait du régime, des tortures, mais « personne n’osait critiquer la corruption ». Pis pour le régime, Abbou utilise dans son texte le nom de famille Trabelsi. « Tout le monde savait que j’allais être arrêté, car le tabou, c’est la famille présidentielle. » C’est bien ce qu’il advient le 1er mars, où il est interpellé par la police politique au sortir d’un bar.

C’est le moment de faire l’expérience de l’arbitraire du pouvoir. Et pour cause. Ce n’est pas pour l’article du mois de février qu’il sera poursuivi, mais pour un autre, datant du mois d’août de l’année précédente. « J’ai dit au juge d’instruction qu’il y avait prescription au bout de trois mois pour faits de presse », se rappelle-t-il. « Vous allez voir comment cela se passe », lui rétorque le magistrat. Pour lever la prescription, des documents sont ajoutés dans le dossier, dont l’un daté du 31 septembre. Un mois qui ne compte que trente jours…

Ce n’est pas tout, il lui est reproché une prétendue agression contre une avocate du régime en… 2002. Il n’est pas le seul dans le cas. Taoufik Ben Brik, journaliste, a été lui aussi condamné en vertu d’une altercation imaginaire avec une femme dans la rue. « Contrairement à ce que tout le monde pense, on ne condamne pas grâce au droit de la presse en Tunisie. Quand un journaliste dépasse les bornes, on lui invente une agression  ! »

Son procès est l’occasion d’un gigantesque élan de solidarité et d’esprit démocratique chez les avocats… « Le barreau tunisien a toujours résisté à la dictature », se souvient l’avocat au barreau de Paris Daniel Voguet, qui avait fait le déplacement pour suivre le procès de son confrère tunisien, le 28 avril 2005. « La salle était pleine, essentiellement des avocats. » Il faut dire que 850 d’entre eux s’étaient portés volontaires pour assurer la défense de leur confrère. Le 8 mars, une grève de soutien avait même été décrétée. De la prison de Tunis, Mohamed Abbou est transféré à celle de Kef, à 170 km de Tunis. Lors de l’audience, en avril, le président de l’ordre des avocats, le bâtonnier, a même été bousculé par le juge d’instruction. Chose inédite. Notre homme est condamné à trois ans et demi d’incarcération.

Côté conditions de détention, il ne fallait pas faire de vagues. « Ils ont fait sortir 120 prisonniers d’une grande chambre, juste pour m’y installer avec quatre autres prisonniers, choisis par les services de police pour m’espionner », indique l’avocat. Il faut l’empêcher de témoigner de la surpopulation carcérale. Et de faire connaître son cas. C’est après une visite de Nicolas Sarkozy « et grâce à la pression de la société civile, en Tunisie et ailleurs », qu’il est gracié, en 2007. Mais juste avant, « on m’a demandé d’écrire une lettre de demande de grâce de ma propre main. C’était une façon de m’humilier. Je ne l’ai pas fait ».

Gaël De Santis


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