Société : LA RENTABILITÉ S’EST SUBSTITUÉE AU DROIT ET À LA JUSTICE POUR ORGANISER LA VIE COLLECTIVE

lundi 11 avril 2011.
 

Une réforme consiste à abaisser les avantages acquis, à économiser sur les services publics, sur la santé, sur les conditions générales de vie, afin de sauver le système capitaliste et le néolibéralisme : la Sécurité sociale rembourse moins, les aides sociales sont diminuées, voire supprimées, le nombre de postes d’enseignants est drastiquement revu à la baisse, ainsi que celui des fonctionnaires en général, etc.

Le secteur privé n’échappe pas à cette logique : les assurances augmentent mais paient rarement ; les CDI cèdent la place aux CDD, voire à des emplois plus précaires encore ; les salaires d’une grande partie de la population ne permettent plus un loyer. Et si quelques-unes des victimes de ces restrictions avaient la mauvaise idée de céder à la colère, elles seraient aussitôt taxées de délinquantes : car il n’y a plus de délinquance (dont on pourrait interroger les déterminations socio-économico-politiques), mais seulement des malades, des gens fragiles, des profiteurs – deux fois condamnés par avance : une fois par le système qui les écrase, une seconde fois (par ceux qui « jouissent » encore du système) pour avoir été écrasés.

Le calcul de rentabilité s’est substitué au droit et à la justice pour organiser la vie collective. Le capitalisme confisque le désir à son seul profit. Le système est supposé fabriquer de plus en plus de richesses dont profitent de moins en moins de gens, et la frustration engendrée aliène jusqu’ici les individus au marché. Chacun est contaminé par l’idéologie scientiste qui évalue chacun à ses performances et à son pouvoir et le pousse à la satisfaction à tout prix, faisant de l’autre un concurrent et un rival à abattre.

Il semble cependant que le système atteigne des limites inimaginables il y a peu : désormais chaque « pas en avant » (le progrès évalué en « bénéfices » sonnants et trébuchants) porte un coup à la viabilité de la planète elle-même. Certes, on semble ne s’en apercevoir qu’à l’occasion des catastrophes : hier avec l’incendie d’une plate-forme pétrolière dans le golfe du Mexique ; aujourd’hui avec les explosions en chaîne dans les centrales nucléaires de Fukushima.

Chacun nous assure que les mesures de sécurité préventives sont adaptées et toujours plus efficaces, mais c’est aussi pour cela que la catastrophe à venir, imprévisible par définition, est toujours pire que la précédente, puisqu’elle ne se produit qu’en passant par-dessus des mesures de sécurité de plus en plus élevées !

La catastrophe masque cependant le fait que l’activité humaine telle que le capitalisme et le néolibéralisme l’organisent est délétère non seulement pour la planète, mais aussi pour l’homme lui-même. Il faut oser affirmer que le capitalisme est le plus grand crime contre l’humanité dont les hommes sont capables. Que beaucoup servent le néolibéralisme en toute bonne foi ne rassure pas et est encore moins pardonnable, car il n’y a alors aucun moyen immédiat d’espérer un changement de comportement. Le capitalisme que nous connaissons défait les solidarités, casse le lien social. Alors que le Japon est à genoux, les boursicoteurs spéculent contre son économie, doublant la peine pour son peuple : les affaires continuent !

La mobilisation des Tunisiens, des Égyptiens et d’autres apporte une note d’espoir réaliste sur ce que les humains sont capables pour recréer un « vivre ensemble » viable, alors même que les pays (entre autres occidentaux) se demandent seulement ici comment éviter les migrations de populations, là comment récupérer le pétrole, plus loin comment maintenir un dictateur en place, et plus loin encore comment se débarrasser définitivement d’un peuple qui empêche l’occupant d’être définitivement chez lui !

Certains se demandent déjà s’il ne va pas falloir faire face à l’immigration japonaise. Personne n’est allé jusqu’à se demander ce qui adviendrait si la même catastrophe se produisait en France et sur plusieurs centrales à la fois, si les Français devaient migrer pour leur sécurité ? Quel pays – à l’endroit desquels nos gouvernants se sont montrés si arrogants – nous accueillerait-il ? La Tunisie ? L’Égypte ? L’Algérie ? La Palestine ? La Roumanie ? Au passage, est-ce que nos gouvernants, prompts à demander des « sacrifices » pour « sauver notre économie » (le néolibéralisme), se porteraient volontaires pour décontaminer des sites qui menaceraient leurs concitoyens ?

La France redoute encore un cataclysme d’une autre nature : l’arrivée au pouvoir des idéologies les plus nationalistes, réactionnaires et racistes, dont elle est également capable. Ces idéologies font cortège au capitalisme néolibéral. Certes, la droite et la gauche démocratiques sont décidées à se soutenir l’une l’autre, plutôt que de favoriser une telle situation.

Ne serait-ce pas le moment d’états généraux de la France (pour commencer) ? Ne pourrions-nous pas remplacer la campagne électorale par un débat sur le « vivre ensemble » que nous voulons ? Quelle société, et dans quel monde ? Et mettre à l’ordre du jour les conditions d’une vie décente pour tous et le partage des richesses, qui ne se confond pas avec la seule répartition des grandes fortunes qui fait notre malheur ? Le temps n’est plus de se demander quel parti, quel leader doit l’emporter. Nous sommes dans la situation des ouvriers de Fukushima qui savent que, pour stopper la catastrophe nucléaire qui s’annonce, il faut rentrer dans la centrale – et qu’ils paieront de leur chair une victoire qui n’est même pas assurée. S’ils tentent leur intervention, ils ont une chance de limiter les conséquences du drame pour le monde. Peut-être échoueront-ils. Mais s’ils ne font rien, l’échec est programmé, il était inscrit dans la logique du système.

Il est encore temps de tenter quelque chose à l’échelle de la société, de prendre notre part dans le mouvement où les pays arabes nous précèdent, à côté des nouveaux kamikazes japonais : pas d’issue positive envisageable sans le pas de chacun. Un tel débat national pourrait contribuer à la logique collective dont nous saisissons des frémissements dans le monde. Transformons la catastrophe en chance. Nous y allons ?

MARIE-JEAN SAURET

Tribune dans L’Humanité


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