Le week-end qui a suivi l’anniversaire du 21 avril, IFOP et le JDD nous ont servi du "Marine Le Pen en tête du vote ouvrier !" Caramba ! 36 % pour DSK, 15 % pour Sarkozy. Et pour moi ? 2% ! C’est pas marrant ça ? Et pour Olivier Besancenot ? 1%. Le sel de l’histoire c’est juste ça : les prolétaires sont des nazes mais pas au point d’aimer ceux qui les défendent. Les confrères ont répété. Broderie locale assurée dans chaque bonne feuille. Le FN le parti des ouvriers ? Comment ont-ils trouvé ça ? « Le Canard Enchainé » du 27 avril nous en apprend de belles à ce sujet. Le journal du dimanche qui publie ces chiffres consacre pas moins de quatre pages (dont la une) à l’enquête. Et ajoute « Le Pen champion du vote ouvrier (…) c’est ce qui ressort de notre reportage à l’usine Renault de Sandouville ». Lecture faite sur dix prolos interrogés par le JDD, deux se prononcent pour le Front National. Le reportage fait donc (très scientifiquement) tomber la statistique à 20 %… Puis Le Canard met en garde : « La population d’ouvriers – issue de l’échantillon représentatif de 911 sondés réunis par l’Ifop est inférieure à 150 personnes. Ce qui affecte les résultats d’une marge d’incertitude de 7 ou 8 points. » On pourrait aussi rajouter que les chiffres bruts n’étant pas connus il est impossible de savoir combien de personnes ont réellement répondu ni comment l’échantillon a été « redressé ». C’est un publi-sondage en quelque sorte. Tout pour la gloire du FN. Par n’importe quel moyen. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse.
Quand cette tambouille est servie à propos du vote ouvrier attribué au FN, les cuisiniers oublient toujours de mentionner qu’ils ne parlent que des ouvriers qui votent. Mais 70 % des ouvriers ne votent plus dans la plupart des scrutins. Si l’on ramène le score du FN à l’ensemble des ouvriers inscrits et pas seulement à ceux qui votent, on n’est pas à 30 % mais à 10 % voire moins. La démonstration est particulièrement claire quand on regarde les résultats des élections régionales de 2010. 69 % des ouvriers s’y sont abstenus. Parmi ceux qui ont voté, 22 % ont choisi le FN. Cela représente donc en fait que 6 % des ouvriers inscrits sur les listes électorales qui ont voté FN. Vous avez bien lu : 6 % pas 36 % ! C’est la réalité du vote effectif qui le dit ! Mais on peut bien sûr préférer la boule de cristal !
Comment comprendre ce qui se passe alors ? Dans ce qui est dit, tout serait montage ? Non, bien sur. La campagne des pavloviens ne tiendrait pas une heure si elle ne rencontrait pas un terrain favorable. Elle peut du coup l’amplifier à l’extrême, faute de résistance. Le tableau mis en scène a sa cohérence. Mais il ne faut pas se tromper de sens de lecture. La dynamique de l’extrême droite se vérifie certes dans le fait que ses adeptes sont aujourd’hui décomplexés et unis. Cette confiance en soi et cette ostentation se nourrissent de l’anémie du corps politique environnant. D’abord à cause de notre faiblesse à nous, l’autre gauche, toujours clouée au sol par notre division. Les sondages, puisque c’est à eux que se réfère l’imaginaire collectif, nous situent tout le temps entre dix et quinze pour cent des « intentions de vote » au total en additionnant Front de Gauche, NPA et LO. Mais nous sommes en miettes, à la limite chacun de la ligne de flottaison des cinq pour cent. Nous sommes donc incapables de ramener à gauche le centre de gravité du discours politique. Et ce n’est pas le PS qui le fait, Et pour cause. Il est frappant de voir à quel point il ne capte rien de la radicalité du moment. Son discours l’en coupe totalement. L’ancrage au centre droit du PS, résumé par le duel Hollande – Strauss-Kahn, va amplifier la pente. Dès lors, tout le champ politique est déséquilibré vers la droite, dans un océan d’abstention. Et à droite, la crise de l’UMP alimente directement les rangs de l’extrême droite. Voilà la dynamique globale du moment politique que nous vivons. La décrire c’est trouver le remède.
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