En direct de la Puerta del Sol, Madrid du 23 au 28 mai 2011

samedi 4 juin 2011.
 

Lundi 23 mai, aprés-midi

"L’apprentissage de la démocratie réelle, ce n’est pas simple. Lundi soir, l’assemblée de politique à long terme met du temps à commencer. Beaucoup ici organisent ce genre de réunion pour la première fois de leur vie. Des cours de modération de débats sont prodigués mais il faut improviser un peu. Nous sommes plus de 400, la modératrice élue a à peine 20 ans. Chacun-e l’encourage chaleureusement. Ca marche plutôt bien. On traite pourtant d’une question particulièrement complexe : le système des assemblées. Le mouvement du 15 Mai dispose désormais d’une assemblée générale, de commissions et de groupes de travail qui font des propositions et d’assemblées de quartier. Ces dernières sont celles qui suscitent le plus vif intérêt. Elles sont une centaine à ce jour dans Madrid. Toute la difficulté est désormais de mettre en place un processus décisionnel adapté. Après deux longues heures de débats entre confusion, exaspération, sérieux et éclats de rires, on en vient à formuler une proposition. Les assemblées de quartier devraient prendre souverainement des décisions concernant les questions propres à leur quartier. Par contre, toutes les questions qui relèvent de l’intérêt général devraient relever de l’assemblée générale.

A toute heure de la journée, sur la fontaine, un mégaphone est disponible pour qui veut prendre la parole. On appelle ça le « parlement populaire ». Ce lundi soir, comme tous les soirs, une foule immense est amassée autour de la fontaine pour écouter les intervenants. Ils sont nombreux à vouloir s’exprimer, souvent pour la première fois de leur vie. Ils sont tous très différents. Il y a ce cinquantenaire qui évoque la résistance contre Franco et appelle, les larmes aux yeux la « jeunesse vaillante à libérer la patrie des nouveaux dictateurs ! ».

Il y a cette jeune femme qui a écrit son texte parce qu’elle a peur de ne pas réussir à parler et qui lit d’une voix vibrante : " Moi ce que je sais, c’est que cette flamme qui s’est allumée dans chacun d’entre nous, personne ne pourra plus l’éteindre !". Ou encore ce jeune homme qui explique : "je ne suis presque jamais allé voter et depuis que je suis ici je n’ai pas raté une seule occasion de le faire, parce qu’ici ma voix compte. Voter, voter et encore voter, voter tous les jours s’il le faut, voilà ce que je veux faire !". Et tant d’autres… La foule les écoute, les soutient, les encourage, se désolidarise de toute provocation et de toute insulte en en appelant au respect. Quand on crée un outil citoyen, on le respecte ou on dégage !"

Mardi 24 mai, matin

"Mardi matin, on attendait peu de monde pour l’assemblée générale convoquée plus tôt qu’à l’accoutumée. Erreur ! Une fois de plus, la place est comble ! Les employé-e-s des services de propreté de la ville de Madrid on fait parvenir un message à l’assemblée. "Nous vous remercions pour tout ce que vous faites et pour votre collaboration. Nous nous sentons représentés par vous. Nous avons un travail mais nous sommes précaires. Nous n’avons pas le droit de venir prendre la parole dans vos assemblées générales parce que nous sommes en uniformes. Mais nous tenions à vous dire ceci : merci, merci, merci !" Le message a été reçu par des cris et des applaudissements appuyés de l’assemblée générale.

Un autre sujet a remué toute l’assistance. La commission extension, qui coordonne l’extension du mouvement en Espagne et partout dans le monde, annonce l’expulsion des 300 personnes du campement de Lyon la veille au soir par les forces de police. Un tonnerre d’applaudissements a salué la décision des camarades de Lyon de retourner place Bellecour le soir même. On s’est même mis d’accord sur un communiqué de soutien, envoyé sur le champ aux indignés lyonnais. Le voici : "Nous, depuis la Puerta del Sol, dénonçons l’expulsion du campement de Lyon par les forces de police qui a eu lieu cette nuit. Nous voulons transmettre à nos amis et amies de Lyon tout notre soutien. Nous serons particulièrement attentives et attentifs à ce qui se passera durant votre rassemblement de ce soir place Bellecour. Fuerza Lyon ! Que no ! Que no nos vamos !"

La principale décision de l’assemblée générale de ce mardi sera la rédaction, dans les plus brefs délais, d’un « Manifeste de la Puerta del Sol ». Les commissions, groupes de travail, assemblées de quartier sont conviées à travailler à des propositions concrètes. De longues heures de débats en perspectives. Mais qu’importe ! Comme on ne cesse plus de le dire sur la place de la Puerta del Sol : « On n’est pas fatigués ! »"

Mardi 24 mai, aprés-midi

"Suite au communiqué des indignés de la Puerta del Sol en soutien aux indignés de Lyon, expulsés lundi soir par les forces de police, le collectif lyonnais a souhaité transmettre ses remerciements. Le message sera transmis en direct. Sur place, au micro, on traduit :"Chers camarades, depuis Lyon, en France, nous voulons vous remercier mille fois pour votre soutien. Nous allons continuer à lutter. Continuez, vous aussi ! Que no ! Que no nos vamos !" Le campement a prêté attention et reçu ces remerciements avec cris et applaudissements.

Cette minute d’émotion passée, tout le monde retourne à ses travaux. Il est 20H, les groupes de travail se réunissent dans les places alentour. A Pontejos, comme chaque soir depuis le samedi 21, le groupe de travail de politique à long terme se réuni en assemblée. Les réunions sont parfois un peu chaotiques. Les modérateurs et modératrices élu-e-s sont très jeunes. Ils n’ont jamais fait ça auparavant. Ce mardi, on fait face à un nouvel impératif : l’assemblée générale du matin a décidé de rédiger un "Manifeste de la Puerta del Sol" avec les points qui font consensus entre toutes et tous. Selon un jeune journaliste précaire, il y a urgence : " Maintenant que les élections sont passées, le PP et le PSOE, les médias, ils vont tous se concentrer sur ce qui peut nous diviser pour tuer le mouvement". Place aux propositions communes concrètes donc."

Mercredi 25 mai, matin

"Contrairement aux rumeurs lancées par les médias, le mouvement ne faiblit pas. C’est même l’inverse. Le campement grossit de jour en jour. Tellement que d’un jour à l’autre il est difficile de retrouver son chemin sur la place. A 11H, chacun peut abandonner son poste pour assister à l’assemblée générale. Il y a une commission dont on parle peu mais qui a rôle crucial dans le mouvement. C’est la « commission légale ». Des avocats se relaient sur le campement. Ils sont une centaine à soutenir le mouvement. Il y en a toujours au moins trois de garde. Si la police cherche un interlocuteur, elle doit passer par eux. En cas d’expulsion, un protocole existe. Il faut « rester calmes, s’asseoir et prendre son voisin par le bras". Durant l’opération, les avocats de garde donneront leurs noms au micro et appelleront la centaine d’avocats qui soutiennent le mouvement. Tous viendront avec un panneau « avocat indigné ». De quoi démentir les accusations de la droite qui laissent entendre que ce mouvement n’est constitué que de « jeunes punks »."

L’urgence depuis hier, et face aux multiples tentatives de déstabilisations, ce sont les travaux d’élaboration du Manifeste de la Puerta del Sol. Ils avancent peu à peu. L’assemblée générale du lendemain sera amenée à se prononcer sur plusieurs points qui font consensus dans la plupart des groupes de travail et les assemblées de quartier interrogées : la réforme de la loi électorale pour plus de participation citoyenne, la lutte contre corruption et transparence, la séparation des pouvoirs judiciaire et politique et la mise en demeure des responsables de la crise d’en assumer les conséquences. Il faut aussi trouver un logo au mouvement. Une proposition est avancée. Il s’agit d’un dessin du monde se transformant en soleil, en allusion à la Puerta del Sol. La révolution citoyenne espagnole embrasant le monde en quelque sorte. L’idée plaît assez. Il est proposé que la « commission des arts » y travaille. Vivement qu’on voie le résultat !"

Mercredi 25 mai, aprés-midi

"Il est 17H30 et le soleil tape très dur. Certain-e-s font la sieste à l’ombre des tentes. Du côté du Parlement populaire, pas de pause. Les gens défilent les uns après les autres. Ils ont de quinze à plus de 80 ans. Des femmes, des hommes, des espagnols, des immigrés (latino-américains surtout), des touristes… Ils viennent crier leur rage : "Y’en a marre des banquiers voleurs !", "On veut un vrai démocratie maintenant, comme celle qu’on crée ici ! On veut être écoutés !" "Ça c’est notre Révolution française et elle ne va pas s’arrêter !", "Elle est où la putain de presse ? Dans ce parlement on s’exprime ! Évidemment là où est la démocratie la presse est absente !" Ils viennent expliquer leurs problèmes : "Je n’en peux plus de payer la banque !", " J’ai un job, j’ai de la chance mais je ne vais pas considérer qu’avoir un job qui me permet juste de faire manger est un privilège","on nous éduque depuis toujours dans la peur et la compétitivité, mais personne ne change l’éducation. On nous enchaine à ça. Il faut que change"

Ils viennent donner leur point de vue sur le mouvement : "Il faut dire au gens de venir, de ne pas croire ce que dit la télé moi j’avais un peu peur de ce que j’allais trouver ici mais en fait c’est extraordinaire", "Ici on leur montre qu’on sait encore faire usage de notre liberté", "Je suis né en 1941, j’ai lutté contre le franquisme, je suis fier de vous ! Adelante, siempre adelante !", Ici c’est plus qu’une révolte. On construit un vrai pouvoir populaire. Ici on a commencé la révolution !"

Et une jeune fille frêle est venue donner un témoignage qui est à lui seul tout un symbole : "Je viens de sortir de l’hôpital mais j’ai tout de suite venir à Sol pour me battre pour mon futur ! Un truc pareil ça n’arrive qu’une fois dans une vie !" Et il y en a encore qui croit qu’un mouvement pareil peut s’éteindre ? Qui croit encore pouvoir nous faire taire ?"

Mercredi 25 mai, soirée

"Au campement de la Puerta del Sol, il y a un incontournable. C’est le Parlement populaire. Au pupitre en bois dont la maxime, écrite en gros au feutre, est « Le seul vrai délit c’est de se taire », les gens. Il y a de tout : des (parfois très) jeunes comme des (parfois très) très vieux, des femmes comme des hommes, des espagnols, des immigrés, des touristes. Ils sont là pour crier leur rage ( : "Elle est où la putain de presse ? Dans ce parlement on s’exprime ! Évidemment là où est la démocratie la presse est absente !"), pour expliquer leurs problèmes (Je n’en peux plus de payer la banque ! Ils ont hypothéqué ma vie ! ») ou pour donner leur point de vue sur le mouvement (« Ici c’est plus qu’une révolte. On construit un vrai pouvoir populaire. Ici on a commencé la révolution !"). Du côté des médias, du PSOE et du PP ont fait tout pour étouffer le mouvement. Mais qui croit encore pouvoir faire taire les gens ? La rage est trop grande !

Du côté de l’extension du mouvement, on travaille dur. On essaie d’organiser une connexion par skype avec les assemblées de Grenade, Alicante, Séville, La Corogne, Tenerife, Bilbao, Santander, Salamanca, Jaén, Paris, Lyon et Toulouse. Pas simple. Le wifi le la place de la Puerta del Sol est faible. Les capacités électriques aussi. Après une tentative infructueuse de connexion mercredi soir, on est convenu d’un rendez-vous avec Lyon jeudi soir à 21H et vendredi soir avec Toulouse (20H) et Paris (21H). Espérons que ça marche ! Ici, tout le monde à envie de voir le mouvement prendre de l’ampleur en France. Beaucoup voient là le vrai moyen de réussir cette révolution citoyenne."

Mercredi 25 mai (autre témoignage)

Le campement grossit de jour en jour. Ce matin, c’est plus impressionnant que jamais. Il est 9H. Le bruit des marteaux résonne. Les nouveaux arrivants montent des "tentes" en dur sur la place. La physionomie des lieux évolue tellement que je n’arrive plus à retrouver le chemin de la commission extension dans laquelle je travaille !

Une fois à mon poste, les copains m’assaillent de questions. "Alors ? Comment ça c’est passé à Lyon hier soir ?". Je peux leur répondre avec le sourire. Malgré les menaces, il y avait beaucoup de monde place Bellecour hier. La police n’a rien fait. Visiblement les vidéos de l’expulsion de lundi soir et le communiqué de la Puerta del Sol ont refroidi les ardeurs de la police. La nouvelle est accueillie avec joie. On décide d’appeller à Lyon et à Paris. C’est Antonio, un camarade de la commission qui appelle. Au téléphone, l’émotion est palpable. "Merci pour tout ce que vous faites. Vous nous donnez beaucoup de force et mine de rien on en a besoin. Fuerza, hein ?!!!"

La communication rapprochée s’organise. Ce soir, une réunion par skype est prévue à 21H avec toutes les villes espagnoles + Lyon + Paris ! "C’est important qu’on se voie, qu’on se sentent réunis en même temps" explique Antonio, très ému. Il n’a pas dormi de la nuit. Il tient à peine debout. Mais il tient à faire le lien avec la France. "C’est super important que ça bouge en France !", s’exclame-t-il.

Un événement commence à prendre de l’importance : l’appel du 29 Mai. On essaie de se coordonner partout à l’international, à 12H. En France, la date a son importance : c’est l’anniversaire du non à la Constitution européenne. "Il faut qu’on s’en serve !" disent les copains ici. En Espagne, on n’a pas demandé son avis au peuple. Le non des français, pour beaucoup, les a représentés.

Alors la France : adelante ! Faites du 29 Mai la journée du "qu’ils dégagent tous !"

11H. L’assemblée générale commence.

L’eau, les parapluies et la crème solaire circulent comme toujours. Les copains et copines se relaient pour brumiser l’assistance."Buvez les copains s’il vous plaît ! Vous allez choper une insolation si vous ne le faite pas" avertit la modératrice.

C’est la commission légale qui prend la parole la première. Le système mis en place est impressionnant : des avocats se relaient en permanence au stand de la commission. La police peut venir au stand si elle veut des interlocuteurs. "Des interlocuteurs, pas des représentants" précise un des avocats. Il répète : "En cas d’expulsion, restez calmes, asseyez-vous et prenez vos voisin-e-s par le bras". "Nous vous donnerons les noms des avocats de garde depuis le micro central. Si on vous arrête, donnez un de ces noms. Nous appelerons la centaine d’avocats qui soutiennent le mouvement et tous viendront avec un panneau ’avocat indigné’. Nous sommes avec vous, nous sommes avec cet espoir, ne vous inquiétez pas !" "Bravo !", "Gracias !". Les avocats sont applaudis à tout rompre. Il y a de quoi !

Comme à chaque début d’AG, les commissions et groupes de travail défilent au micro. Plusieurs propositions sont adoptées suite aux débats de la commission qui travaille sur les questions animales. L’AG décide d’accepter les propositions suivante :

- interdire les spectacles qui mettent en scène la souffrance des animaux (principalement visée : la tauromachie),

- mise en place de menus végétariens dans les entreprises publiques,

- investissements dans la recherche pour les alternatives aux expérimentations animales.

Les tentatives de division sont sur toutes les lèvres. A l’extérieur mais aussi parfois de l’intérieur (le mouvement est ouvert à toutes et à tous), les tentatives de destabilisation sont nombreuses. Mais la technique de consensus et de la transparence permet d’y faire face sans problème pour le moment. "Ne laissons personne nous diviser. On fait ça pour nos enfants, pour notre planète, pour le monde. Unid@s’podemos !" crie un intervenant.

Les travaux d’élaboration du Manifeste de la Puerta del Sol avancent peu à peu. L’AG de demain se décidera sur les points suivants qui remontent des quartiers et des autres villes d’Espagne :

- réforme de la loi électorale pour plus de participation citoyenne,

- lutte contre corruption et transparence,

- séparation des pouvoirs judiciaire et politique -que les responsables de la crise en assument les conséquence.

Moment fort sur la place : les informations concernant les autres villes :

En France le retour sur la place Bellecour des copains de Lyon, et aussi à Toulouse après une tentative d’expulsion par la police, et l’annonce du nombre croissant d’indignés à la Bastille à Paris !

En Grèce, on annonce la création du mouvement du 25 Mai, sur l’exemple du mouvement espagnol, à Syntagma (place du Parlement à Athènes).

Une jeune fille arrive tout juste du campement de Cáceres : "Surtout ne cédez pas, restez là, vous être notre exemple et notre inspiration. Si vous cédez, tout tombera à l’eau. Fuerza ! On compte sur vous !"

Un monsieur débarque tout juste des Asturies : "Je viens recharger les batteries ici. Dans les coins plus petits c’est plus dur. Vous savez, j’ai 73 ans et c’est la première fois que je vois des assemblées dans la rue ! On ne doit surtout pas arrêter ça ! On va tout changer !"

Ici, c’est l’euphorie ! Toute la fatigue de ces derniers jours s’est effacée d’un coup !

Une action est en débat : dans les 650 villes d’Espagne et à l’international, à 20H, dimanche 29 Mai, on pourrait tous faire une minute de silence puis on lancera un cri à l’air. Ou une autre action brève en commun. Attention en France : n’oubliez pas l’heure et filmez !

On se penche sur une question plus technique. Il faut créer un logo du mouvement. L’idée est de dessiner le monde se transformant en soleil, le monde se transformant en la place de la Puerta del Sol. La commission des arts va s’y atteler.

Tandis que la commission communication met en ligne la révolution espagnole en direct sur tomalaplaza.net malgré les coupures de wifi de la police.

Il est 17H30 et le soleil tape très dur. Certain-e-s font la sieste à l’ombre des tentes. Du côté du Parlement populaire, pas de pause. Les gens défilent les uns après les autres. Ils ont de quinze à plus de 80 ans. Des femmes, des hommes, des espagnols, des immigrés (latino-américains surtout), des touristes...

Ils viennent crier leur rage : "Y’en a marre des banquiers voleurs !", "On veut un vrai démocratie maintenant, comme celle qu’on crée ici ! On veut être écoutés !" "Ça c’est notre Révolution française et elle ne va pas s’arrêter !", "Elle est où la putain de presse ? Dans ce parlement on s’exprime ! Évidemment là où est la démocratie la presse est absente !"

Ils viennent expliquer leurs problèmes : "Je n’en peux plus de payer la banque !", " J’ai un job, j’ai de la chance mais je ne vais pas considérer qu’avoir un job qui me permet juste de faire manger est un privilège","on nous éduque depuis toujours dans la peur et la compétitivité, mais personne ne change l’éducation. On nous enchaine à ça. Il faut que change".

Ils viennent donner leur point de vue sur le mouvement : "Il faut dire au gens de venir, de ne pas croire ce que dit la télé moi j’avais un peu peur de ce que j’allais trouver ici mais en fait c’est extraordinaire", "Ici on leur montre qu’on sait encore faire usage de notre liberté", "Je suis né en 1941, j’ai lutté contre le franquisme, je suis fier de vous ! Adelante, siempre adelante !", Ici c’est plus qu’une révolte. On construit un vrai pouvoir populaire. Ici on a commencé la révolution !"

Et une jeune fille frêle est venue donner un témoignage qui est à lui seul tout un symbole : "Je viens de sortir de l’hôpital mais je suis tout de suite venue à Sol pour me battre pour mon futur ! Un truc pareil ça n’arrive qu’une fois dans une vie !"

Et il y en a encore qui croit qu’un mouvement pareil peut s’éteindre ? Qui croit encore pouvoir nous faire taire ?

Le soir. Au stand de la commission communication, c’est l’ébullition. Depuis ce matin, on essaie d’organiser une connection par skype avec les assemblées de Grenade, Alicante, Séville, La Corogne, Tenerife, Bilbao, Santander, Salamanca, Jaén, Paris, Lyon et Toulouse. Des heures de boulot des deux côtés des Pyrénées, mais se voir et se transmettre l’énergie de la lutte en direct n’a pas de prix !

A 20H30, bonne nouvelle : Pablo et Juliette, qui font respectivement le lien avec Paris depuis Toulouse et Paris, ont trouvé un moyen de se connecter. A Lyon, c’est plus compliqué. Pas de wifi à Bellecour et sur place personne n’a d’iphone pour se connecter à Skype. Partie remise pour Lyon donc.

Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. 21H, heure supposée de la connection. L’électricité ne marche plus à communication. Kalambre, le camarade qui fait la connection ici, essaie de rester calme. Ça arrive souvent...

Tout le monde trépigne, Kalambre le premier. "Putain putain ! On va avoir les copains de Paris en direct !" s’exclame-t-il. "Qu’est-ce que ça donne en France ?" me demande Jau. Aux dernières nouvelles, il y a 200 personnes à Toulouse, 300 à Lyon et 650 à Paris ! "Putain trop bien ! En France vous savez y faire ! Si ça monte comme ici, ensemble, on va casser la baraque ! Mais brûlez pas de voitures, hein ?!!!!"

Je crois que pour la première fois de ma vie je ne sens plus les contradictions franco-espagnole. Elles sont loin les brimades "espingouines". Aujourd’hui j’ai vu des touristes français célébrer les luttes espagnoles, j’ai entendu mes amis franco-espagnols me dire des larmes dans la voix que j’ai trop de chance d’être sur place, j’ai vu mes camarades du temps tout faire pour se connecter avec la France. On va la faire cette révolution ensemble !

Ca y est ! Ça marche ! "Venez les gens ! On va parler avec Paris !" Ça s’attroupe ! Alleeeez ! Et non...ça veut pas ! Pétage de plombs ! Kalambre veut y croire : "ça va marcher, si si je te dis ça va marcher !"...

Au bout d’une heure et demie d’efforts, on a réussi à entendre Paris. Pas à les voir. Rendez-vous est pris avec Paris pour vendredi à 21H. Pour Lyon et Toulouse ce sera demain à 21H.

Entre fatigue, agacement, éclats de rire et nouvelles amitiés révolutionnaires, l’équipe des acharnés du skype vous salue !

Le camp a encore grandi. C’est étrange de vivre dans un environnement aussi changeant. Ce qui la veille était ton chemin-repère qu’on est devenu un cul de sac.les frontières n’existent pas. Le campement déborde partout !

Surprise : un cinéma en plein air trône désormais au bout de la place, près de la calle del Arenal et ses grands magasins ! Ce soir, on diffuse un documentaire sur les luttes ouvrières en Espagne. Il y a beaucoup moins de monde que du côté du Parlement populaire, mais ils sont plusieurs à suivre. Et surtout, les badauds s’arrêtent et écoutent.

Je me fraye un chemin jusqu’au mégaphone pour dire aux copains d’annoncer qu’il y avait 650 personnes à Paris ce soir et que demain un camapement se monte place du Capitole à Toulouse. "Viva","Vamos Francia !" crie-t-on dans le camp. "C’est génial !" Me glisse une jeune fille de 20 ans.

Minuit. Le camp se tait pour la minute de silence habituelle. Toujours aussi impressionante. Puis les rires, les discussions, le film, les lectures et les chants reprennent. La nuit commence sur la Puerta del Sol.

Jeudi 26 Mai, Madrid, Puerta del Sol

Matin, le campement se réveille doucement, un peu plus doucement chaque jour. Un jeune homme attrape le micro central : "Mes amis, ça fait une semaine qu’on est là ! On se bat et on est toujours indignés. N’oublions pas qu’on est devenu un exemple suivi dans toute l’Espagne et l’Europe. On n’a pas le droit de baisser les bras ! On ne se rendra pas ! Continuons la lutte !". "ViiiivaaaA !" répond le campement. Allez, on se réveille ! Au boulot !

Petit rappel au micro au cas où : "On vous rappelle que la page web du mouvement c’est madrid.tomalaplaza.net ! Invitez les gens à aller voir !" Ça marche !

Ici, à la commission extension, on cherche les contacts fiables à l’international. Mon forfait va exploser ! Tant pis ! Le jeu en vaut la chandelle ! Principale cible : la France. Les contacts arrivent peu à peu. De Bordeaux, de Lille, de Nancy... Ça bouge ! A la commission extension on a le sourire !

Il n’y a pas d’assemblée générale ce matin. Il fait trop chaud. Elle sera convoquée ce soir à 21H, après la manifestation contre l’augmentation de l’âge de la retraite. Aujourd’hui, le Congrès devrait approuver la loi permettant cette nouvelle infamie.

La manifestation de ce soir ici s’intitule "Retraite à 67 ans. Vous nous avez posé la question ?" En France, non. Ici non plus. Ceux qui votent ces loi de casse sociale ne nous représentent pas. "Que no, que no nos representan ! Que no, que no nos representan !"

Mon amie Leila est arrivée. Elle est épatée par le campement et son organisation. Le hasard faisant parfois bien les choses, on rencontre Javier et Jorge, deux jeunes activistes qui ont décidé de monter des actions semblables à celles de l’Appel et la pioche (http://lappeletlapioche.org/). "On est le commandos clown du campement" expliquent-ils.

Par exemple, dans les jours à venir, ils vont se déguiser en cuisiniers et aller griller du chorizo sur un car de police. Ici un "chorizo" c’est aussi un voleur. Et c’est surtout le surnom qu’on donne aux banquiers et aux deux grands partis espagnols ! Extra ! On décide d’échanger des idées, des vidéos de nos actions etc. L’originalité militante ne manque pas dans cette révolution !

La police resserre de plus en plus sa présence autour du campement. Ils sont désormais postés à toutes les entrées. Et bien évidemment, il y a des taupes au sein du camp. Certains sont nerveux, surtout les plus jeunes. Mais des jeunes, ici, il y en a beaucoup. Il font donc parer aux possibles paniques, etc.

La commission de permanence passe dans les différentes commissions et groupes de travail pour indiquer quelle est sa proposition :"On ne partira pas avant que notre mouvement soit assez fort. D’ailleurs on ne s’en ira pas sans l’approbation des assemblées de quartier" le représentant de la commission précise : "par contre, on doit faire évoluer le campement, comme on est là, on ne tiendra pas". Il insiste sur une possible expulsion après dimanche : "dans ce cas, on fera un rassemblement tous les dimanche sur la Puerta del Sol".

Le tout nouveau groupe de travail "coordination externe" est réuni sur la plaza del Carmen. Ici on discute de la mise en place d’un outil internet pour pouvoir toutes et tous nous informer et rendre les travaux les plus participatifs possibles. Sur le site web, les "actes" des groupes de travail, commissions et assemblées seront disponibles. Les autres villes d’Espagne et les villes à l’internationale ne sont pas oubliées. Un outil va être mis en place pour qu’elles aussi puissent transmettre leur "actes".

La révolution citoyenne sera internationaliste ou ne sera pas !

19H40, la manifestation retraites commence. Ce matin, le PSOE et le PP ont une fois de plus montré leur mépris absolu du peuple et de ses revendications en approuvant la loi dite du "pensionazo". Celle-ci augmente l’age de la retraite de 65 à 67 ans ! Voter une loi pareille alors que la révolution gronde, c’est une vraie déclaration de guerre ! Un crachat à la gueule du peuple ! Pour la souveraineté on repassera !

Sur les pancartes, les slogans sont clairs : "Je veux une pension digne et je la veux vivant", "L’austérité pour les riches d’abord", "Des retraites justes maintenant !", etc.

Les mots d’ordre chantés sur place aussi : "Qu’ils travaillent eux jusqu’à 70 ans pour voir !", "Touche pas à ma retraite !", "Ma retraite c’est pas un jouet", "Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé ils l’appellent démocratie mais ce n’en est pas une ! Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé c’est une dictature voilà ce que c’est !", "La crise que les capitalistes la paient, cette crise on ne la paiera pas !", "C’est pas l’argent qui manque, c’est les voleurs qui sont trop nombreux !", "On veut la même retraite que le roi Bourbon !"

Un vieux monsieur prend le mégaphone : "Allez, allons toutes et tous au Congrès pour leur dire qu’ils ne nous représentent pas et les inviter à notre assemblée générale de 21H !" La réponse de la foule est unanime "Eso eso eso, nos vamos pa’l Congreso !!!!". On part donc tous en chantant "Non, non, ils ne nous représentent pas !" ("Que no, que no, que no nos representan !"). Sur notre passage, les taxis klaxonnent en d’appui.

Dans les rues, on regarde notre cortège les yeux écarquillés. "Ne restes pas à nous regarder ! Rejoins-nous !"

On arrive au Congrès. On nous interdit d’approcher. "On nous interdit de nous approcher du Congrès ! On le paie avec nos impôts ! Il est censé nous représenter ! On veut juste aller jusqu’à la porte le leur rappeler". Cinq minutes et on négocie toujours ! "Elle est belle la démocratie !" crie notre négociateur dans le mégaphone. On scande tous : "Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé ils l’appellent démocratie mais ce n’en est pas une ! Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé c’est une dictature voilà ce que c’est !", "Que no, que no, que no nos representan !"

On nous annonce qu’il faut attendre 10 minutes de plus. On a décidé de ne pas être violents. On attend. Un message nous arrive de Paris : "Courage ! Tenez bon !" Message transmis en direct devant le Congrès !". Applaudissements à tout rompre ! "Vive la France !" crie un manifestant. Finalement on nous refuse le passage. Les gens s’énervent : "Vous aussi vous êtes hypothèqués !" Mais on repart. Révolution non violente on a dit... Sur le retour ça hurle "La rue est à nous, pas à la police !", "Aqui estamos, la calle nos tomamos !"

On est pacifiques ici mais franchement on a la rage !

Certains médias disent qu’on est de moins en moins nombreux. Qu’ils viennent voir ! La place est plus comble que jamais ! Et pourtant, certains sont encore en marge de la place, dans les rues, à crier leur rage ! Il faut dire que la loi du "pensionazo" et le mépris exprimé ce soir par le Congrès est impensable, débectant ! Il faut pourtant retourner au débat, à la démocratie, au respect... Malgré cette rage sourde qui bouillonne dans nos veines. Ce soir, nous avons un invité de marque : Agustín García Calvo, philosophe et poète, figure de la lutte contre Franco. Il avait pris parti pour les étudiants lorsque ceux-ci avaient décidé de manifester contre Franco en 1965. Aujourd’hui, il est venu soutenir le mouvement révolutionnaire. "Souvenez-vous qu’en chacun d’entre nous dort un réactionnaire mais aussi un révolutionnaire. La partie réactionnaire naît de la peur pour notre futur. La partie révolutionnaire naît de la rage et de l’enthousiasme ! Gardez cette rage et cet enthousiasme et oubliez la peur !" Message entendu. La foule donne rendez-vous à Agustín jeudi prochain. Agustín s’y engage sous un tonnerre d’applaudissements. Les débats reprennent sous les chants, lancés par un très vieux monsieur qui donne le ton : "Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé ils l’appellent démocratie mais ce n’en est pas une ! Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé c’est une dictature voilà ce que c’est !"

La place est largement plus remplie que lors des assemblées générales du matin. Il faut dire que tous les travailleurs et toutes les travailleuses peuvent venir. L’assemblée rentre presque jusque dans les magasins autour de la place. On pourrait être beaucoup plus. Les groupes de travail sont réunis au même moment. Ce sont donc des centaines de personnes manquent donc l’assemblée générale.

La commission infantile annonce le soutien d’une écrivaine brésilienne qui fait don d’une centaine d’exemplaires de son denier livre. Parmi les revendication que la commission débat, il y a, entre autre, l’accueil public, gratuit et de qualité des enfants de 0 à 3 ans.

La commission éducation et culture a envoyé ses proposition. On demande entre autre d’avoir une université publique gratuite, de lutter contre la précarisation croissante des étudiants et des personnels de l’université, d’avoir une école publique, gratuite et laïque et de rendre obligatoire l’usage de l’argent public exclusivement pour les écoles publiques.

Un débat est lancé. Faut-il quitter le campement après dimanche ? Certains pensent que oui pour permettre une plus grande décentralisation et s’étendre. "C’est dans les quartiers que l’esprit de Sol doit arriver". D’autres pensent que non : "il faut maintenir Sol comme point de référence". Colère d’un jeune homme : "On a dit que les assemblées de quartier devaient en discuter et que dimanche on prenait la décision". Une jeune femme fait une proposition plus adaptée : "Maintenir le campement c’est dur, c’est sûr. Mais en tous cas, si on doit partir, il faut absolument qu’on fasse des assemblées à Sol chaque semaine pour maintenir le symbole vivant". Un jeune homme s’eclame au micro : "Tout ce qu’on a réussi c’est aussi et surtout parce qu’on a Sol. Ne mettez pas de date de fin du camp, s’il vous plaît !". On discute quand même d’un après Sol, au cas où.

Tout le monde craint l’expulsion. On espère, bien súr, qu’on pourra lever le camp quand on le voudra et La commission permanente propose qu’on célèbre de grandes assemblées générales tous les 15 du mois (anniversaire du 15 Mai) et qu’on convoque une grosse manifestation le 15 Juin. Un ultimatum est aussi proposé : "si le 15 Octobre, les banquiers et les politiques n’ont toujours rien fait, on reprend la rue, on reprend la place et on propose la grève générale". Un projet de slogan est lancé : "On connaît le chemin du retour à Sol". Le slogan plaît. On parle du Manifeste de la Puerta del Sol. Un jeune homme indique que ce Manifeste doit aller ensuite dans les mains de tous les citoyens et toutes les citoyennes. C’est à tous les citoyens et toutes les citoyennes de décider ce qu’il adviendra de ce Manifeste. Demain, à 20H, l’Assemblée générale doit discuter les principaux axes du Manifeste proposés par les groupes de travail. Un grand moment en perspective !

Vendredi 27 Mai, Madrid el Sol, Puerta del Sol

Ce matin ça sent l’eau de Javel sur le campement. Partout les copains s’activent armés de balais et de sceaux d’eau. Avec Leila on hallucine. C’est déjà propre et organisé d’habitude mais là..."On dirait plus un campement !" s’exclame Leila.

On comprends assez vite ce qui se passe. Ce matin, on passe un contrôle sanitaire.

"Attention, attention ! Grande nouvelle ! On vous annonce qu’on a passé le contrôle sanitaire avec succès ! No nos vamoooos !" nous annonce-t-on au micro. Les applaudissements et les cris de joie retentissent dans tout le campement.on félicite les coapins qui ont bossé comme des fous et on commence à chanter. "Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé ils l’appellent démocratie mais ce n’en est pas une ! Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé c’est une dictature voilà ce que c’est !"... et tant pis pour celles et ceux qui dorment encore !

A Barcelone, les copains du campement de la Plaça de Catalunya n’ont pas eu cette chance. A cette heure, sous prétexte la police bloque plus de 1000 personnes dans un coin de la place. Les copains peuvent sortir mais pas rentrer. Ça accourre d’un peu partout pour appuyer le campement. On nous rapporte des violences policières. La police a reçu des ordres clairs : dimanche, il y a match de foot (Champions League). Il ne doit plus y avoir personne sur la place. Un seul mot pour décrire tout ça : INDIGNANT ! 13H45, c’est la panique sur le campement. Une pluie battante d’abat sur nous. Le campement fait de bric et de broc tiendra-t-il ? On met en vitesse le matériel électronique à l’abris. On ouvre les parapluie. On écope. On fait tomber l’eau des toitures en tissu plastique.

Après 5 minutes, la pluie d’arrête. Le campement a résisté ! Ouf ! Tout les monde chante pour célébrer cette victoire. "Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé ils l’appellent démocratie mais ce n’en est pas une ! Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé c’est une dictature voilà ce que c’est !"

Il a finalement plu toute l’après-midi sur le campement. Il a fallu protéger, plastifier toute les installations, se passer délectricité, évacuer l’eau qui stagne facilement, et garder son calme... Pour se donner du courage, on a crié dans les mégaphones (plus de micro, on n’a plus d’électricité) : "Qu’est-ce qu’on est bien ici !", "Demain on aura des tomates et des laitues !", "un peu d’eau ça fait du bien", "No nos moverán ! No nos moverán !"

Leila a profité de ce moment d’inactivité relative pour interviewer des copains de lutte. Avec eux, elle parle précarité, faillite de la social démocratie et perspectives de la révolution espagnole.

Entre deux questions des curieux et des nouveaux arrivés dans le camp, on nous annonce que le camp de la Plaza de Catalunya se reconstruit. "On est plus nombreux qu’eux ! Ensemble on est les plus forts ! No nos moverán !"

19H, comme convenu, on se rassemble tous sur la place avec nos fleurs en soutien à nos copains de Barcelone aux cris de "In-dig-na-dos, In-dig-na-dos" et de "Barcelone tu n’es pas seule !"

Les slogans fusent, on dresse des fleurs au ciel : "On n’est pas des délinquants, on est des citoyens", "On n’en a rien à fotre de votre putain de football !", "Solidarité avec Barcelone !", "La voix du peuple n’est pas illégale", "Non, non, on n’a pas peur !", "Non à la violence !", "Les mercenaires, c’est pas des fonctionnaires !" Et tant d’autres...

On entonne cette chanson qui restera à jamais dans nos mémoires : "Lo llaman democracia y no lo es (NO LO ES ! ), lo llaman democracia y no lo es(NO LO ES ! ) ! Oéé Oéé Oééé, Oééé Oéé Oéé, lo llaman democracia y no lo es ! Es una dictatura eso es (ESO ES !), es una dictatura eso es (ESO ES ! ), Oéé Oéé Oéé, Oééé Oéé Oéé es un a dictatura eso es !"

Et de terminer sur un vibrant "Nous sommes tous Barcelone" !

La révolution citoyenne pacifique se renforce face à la répression policière.

Messieurs les oligarques, vous ne nous ferez plus taire !

En honneur aux victimes de la répression policière à Barcelone, on respecte une minute de silence. Bruissement de mains. Ici, on est 10 000 et tout le monde appelle les gens à s’unir au mouvement ! "Demain 12H dans ton quartier !", "Rendez-vous demain dans les assemblées !"

A vouloir déloger le campement de Barcelone, ils ont réussi à renforcer plus que jamais la révolution espagnole !

Et on crie :

"Et après vous direz, qu’on est huit ou neuf !"

"Votre crise on ne la paiera pas !"

"Barcelona tu n’es pas seule !"

"Éteints ta télé et viens à Sol !"

"Non, non, on n’a pas peur !"

"El pueblo unido jamás será vencido"

"On s’est réveillés, les choses ont changé"

C’est le plus long et le plus intense des rassemblements que j’ai vécus vie ! On n’arrive plus à partir ! On a tous juste envie de crier ensemble !

Et on chante : "Lo llaman democracia y no lo es (NO LO ES !), lo llaman democracia y no lo es (NO LO ES ! ) ! Oéé Oéé Oééé, Oééé Oéé Oéé, lo llaman democracia y no lo es ! Es una dictatura eso es (ESO ES !), es una dictatura eso es (ESO ES !), Oéé Oéé Oéé, Oééé Oéé Oéé es un a dictatura eso es !"

Et après on dira que la révolution citoyenne n’est pas en marche ! Une assemblée générale sous le signe de la ferveur. La place ne désemplit pas pas. Les mots d’ordre sont aussi nombreux que les problèmes de la population.

A plusieurs reprise, on assiste à la scène suivante :

Tout le monde crie le poing ou les mains levés : "No tenemos casa, nos quedamos en la plaza ! " (On n’a pas de maison, on reste sur la place).

Puis tout me monde lève ses clés et les secoue dans un immense silence.

Enfin, tout le monde pousse un grand cri : "Estas son las llaves de la casa de mis padres" (Ces clés ce sont celles de la maison de mes parents).

Ici, les jeunes, et même parfois les moins jeunes, n’ont pas les moyens de se payer un logement et doivent aller vivre chez leurs parents.

L’assemblée, plus nombreuse que jamais, vient de s’asseoir. Toutes et tous ses membres croient "Cette assemblée au moins elle me représente" et "on est sur la place et on n’en partira pas !" Le modérateur du jour donne le signal du début des travaux de l’assemblée en lançant un "Fuerza Cataluña !". Les 10 000 (ou plus) présent-e-s applaudissent à tout rompre. On dirait que même les murs applaudissent ! :)

Puis une annonce : la police a promis qu’il n’y aurait aucune intervention demain pendant les assemblées de quartier "à condition qu’il n’y ait pas de troubles à l’ordre public".

Les propositions d’axes programmatiques des groupes de travail sont salués.

Certaines plus que d’autres. C’est notamment le cas des propositions suivantes :

- fonds publics uniquement pour l’éducation publique,

- des contrats et des bourses pour éradiquer la précarité des employés de l’éducation publique et des étudiants,

- la réquisition des logements vides,

- l’abolition du système bancaire actuel,

- l’adoption du slogan "Nous connaissons le chemin du retour à Sol",

- l’abrogation de la loi d’immigration (tout le monde crie "aucune personne n’est illégale !"),

- l’asile pour les victimes de traite sexuelle,

- le combat contre l’homophobie, la lesbophobie, biphobe et la transphobie et l’interdiction du financement public des institutions du promeuvent ce genre de comportements,

- la suppression de la transexualité de la liste des maladies,

- la souveraineté au peuple pas au roi,

- un référendum sur la loi sur les retraites et les réformes du travail,

- un moratoire immédiat sur les expulsions de logement,

- l’augmentation de la progressivité de l’impôt en vue d’augmenter les recettes de l’Etat,

- la transparence et le contrôle démocratique des banques publiques et privées.

Les débats ont été interrompus un instant. On nous annonce qu’un des indignés blessés de ce matin par les CRS est entre la vie et la mort. Les balles à blanc de la police lui ont perforé les poumons. On fait une minute de silence. Le modérateur crie un solennel "Viva" rempli d’émotion. "Viva" repris par l’assemblée tout entière avez la même émotion et la même solennité.

Une demie heure plus tard une information arrive : les copains et copines remercient Madrid pour son soutien ! :)

Malheureusement, comme pour Paris avant hier, la tentative de communication en direct via skype a échoué. On espère que ça marchera vite ! Un jeune homme demande la parole. "A Barcelone, il n’y a pas eu d’expulsion mais une tentative d’expulsion. Le peuple a vaincu face aux charges des forces de police. Respect pour la résistance de Barcelone !"

Autre moment d’émotion, un jeune homme arrive avec une pancarte "Segur que tomba tomba tomba". Ce sont les paroles de l’Estaca de LLuís LLach, un chant de lutte contre le franquisme devenu un symbole de lutte contre l’oppression et pour la liberté. En ce jour où Barcelone a du lutter contre la répression violente de la police, le symbole est fort. L’assemblée applaudit.

Les travaux reprennent. Un représentant de la commission légale propose un communiqué revenant sur les charges policières de Barcelone. Une phrase de ce communiqué m’a rappelé la révolution citoyenne équatorienne : "Les citoyens et les citoyennes de ce pays ont désormais pris conscience qu’ils étaient capables d’analyser la situation et de participer à la vie politique sans nécessité d’intermédiaires".

Arrive minuit. On respecte la minute de silence. Les douze coups de minuit résonne sur la place silencieuse. Puis tout le monde applaudi. Une place de 10 000 personnes s’exclame d’une seule voix : "el pueblo unido jamás será vencido !" sur une musique conquérante. Cette nuit, la minute de silence était dédiée aux détenus mais aussi aux victimes de la répression policière á Barcelone. Plus impressionnant encore que les autres soirs. L’émotion et la ferveur sont à leur comble. "No tenemos miedo !" crie l’assemblée.

Il est minuit passé. Nous sommes toujours aussi nombreux sur la place. On a réussi a établir la connection skype avec la plaça de Catalunya. Le son ne marche pas mais on se voit ! : "Mettez nous des sous-titres" crie l’un d’entre nous ! On aura au moins pu se saluer ! Et se voir les un-e-s les autres comme ça, pouvoir se sentir uni-e-s à ce point, c’est déjà beaucoup !

Samedi 28 Mai, Madrid, Puerta del Sol

A 12H20, après une réunion de travail à la commission extension, Leila et moi arrivons, à l’assemblée de quartier de Lavapiés. Lavapiés est un quartier populaire du centre de Madrid, à 10 minutes un quart d’heure de Sol. Ici, on n’attendait pas autant de monde. On avait prévu plusieurs dizaines de chaises et un cercle restreint pour que les gens s’asseyent par terre. Il a fallu élargir le cercle de plusieurs dizaines de mètres. Derrières les chaises il y a bien 400 personnes debout. Nous sommes plus de 1000 sur la place !

La modératrice explique le fonctionnement des assemblées (les tours de paroles, les approbations, rejets etc par signes, les normes de respect, la technique du consensus etc). Deux jeunes femmes se proposent pour prendre les tours de paroles. Ici aussi, tout est traduit en langage des signes en simultané. Incroyable d’organisation !

La modératrice nous annonce aussi qu’un site web a été créé : lavapies.tomalosbarrios.net

Elle demande que des volontaires se proposent à la fin de l’assemblée pour assurer le suivi de la page web.

L’assemblée commence ses travaux.

On parle de la décentralisation du campement de Sol. On ne sait pas encore si le campement de Sol va se transformer à partir demain ou à plus long terme. L’idée, de toutes façons, est que les assemblées de quartiers doivent prendre tout leur poids et être alimentée en matériel depuis Sol. Le campement de Sol devrait se transformer à long terme en point d’information. Il se maintiendrait de façon symbolique et resterait ainsi le coeur du mouvement à Madrid. "Que no, que no nos vamos !"

Un vieux monsieur prend la parole. "Le campement de Sol doit demeurer tel qu’il est. On y vit en dehors du capitalisme, on y a abolit la mercantilisation, l’argent, la concurrence. C’est un exemple pour tous. C’est un fait par une idée. Maintenons-le comme campement". Une jeune fille est plutôt favorable à la proposition de faire un point d’information. Mais elle précise : "si on démonte le campement pour aider les assemblées de quartier, il faut que ce soit une grosse fête qui galvanise les assemblées de quartier pour la suite des événements !"

Une chose est sûre en tous cas : à Puerta del Sol on reçoit plus de matériel que nécessaire. De l’avis de toutes et de tous, ici comme à Puerta del Sol, ce matériel doit aller d’urgence aux assemblées de quartier.

L’assemblée de Lavapiés se fixe un premier objectif : "Plus personne à Lavapiés ne doit avoir faim. Organisons-nous comme à Sol pour que tout le monde ici puisse manger à sa faim". A Sol, tout est gratuit, les boissons sont à dispositions 24H/24, on organise les repas à heures fixes, et même si c’est souvent frugal, on ne meurt pas de faim.

Une femme d’un certain âge prend la parole "Ceci n’est que le début d’un processus ! L’esprit de Sol doit se répandre dans tous les quartier !". Un monsieur d’un certain âge aussi prend le micro et s’exclame "Nous pouvons plus qu’eux, quoiqu’en disent les médias ! Nous pouvons même beaucoup plus que ce qu’on imagine !"

Reste à trouver le lieu où réunir l’assemblée et la périodicité des réunions. On discute : une fois par semaine ? deux fois par semaine (une le soir en semaine, une le week-end en journée) ? une fois par mois ? tous les jours ? Ça se décidera la semaine prochaine mais on se dirige vers une à deux réunions de l’assemblée par semaine.

Mais où ? Sur une place ? Dans un parc ? Le parc du Casino de la Reina est choisi pour la samedi prochain. Toutes les places sont occupées par des événements culturels.

Mais à quelle heure ? 12H ? "Mais le soleil tape !" 19H ? "C’est mieux !" Problème : il ne faut pas que les assemblées se télescopent avec l’assemblée générale de Madrid. Rendez-vous est donc de 12H à 14H samedi prochain.

L’assemblée se termine en réaffirmant son soutien au maintien de Sol. Sous un forme qui répond au moins aux minima suivants :

- assurer un roulement des indignés de Sol pour celles et ceux qui ont déjà beaucoup donné et sont fatigué-e-s,
- irrigation en matériel et en membres des assemblées de quartier et respect de leur autonomie.

On se quitte en criant "Que no, que no, qu’no nos representan" (Non, non, vous ne nous représentez pas).

La révolution citoyenne prend les quartiers !

Samedi après-midi. Les madrilènes se bousculent dans les couloirs du camp. Ils sont venus discuter avec les indigné-e-s du camp. Ils se montrent très intéressés et posent beaucoup de questions. Les débats argumentés se multiplient à tous les stands de toutes les commissions et groupes de travail.

Avec les copains et les copines de la commission extension, on a décidé ce matin d’enregistrer des petits clips de soutien à la manifestation parisienne de demain. Cet après-midi, pendant que Leila poursuit ses interviews, Kike, Laura, Clara, Oskar et d’autres se sont plié-e-s à l’exercice. On a enregistré tout ça entre fous rires et envie de voir Paris se bouger comme il se doit ! Pour cette dernière journée ensemble, enregistrer des vidéos c’est juste parfait ! Un moment de complicité de plus !

20h Le parlement populaire est réuni, comme tous les jours, autour de la fontaine. Les participants sont toujours aussi attentifs. Les témoignages, toujours aussi émouvants. Certain-e-s sont là pour la première fois. C’est leur indignation face aux violences policières de barcelone qui les a poussé à sauter le pas et à venir. Et ne veulent plus partir.

Voici quelques uns des témoignages, cris de rage ou d’enthousiasme, entendus ce soir au parlement populaire de la Puerta del Sol.

"Nous sommes les rayons du Soleil (Sol) et nous allons illuminer les consciences", "On ne peut plus supporter le fossé toujours plus grands entre les riches et les pauvres ! On ne veut pas du chemin qu’ils ont nous ont tracé pour nous ! On sait ce qu’on veut ! On veut une répartition juste des richesses !" (Cri d’un jeune homme)

"On peut avoir soixante ans et ne pas être pas être majeur, on n’est pas majeur tant qu’on n’a pas compris qu’on pouvait changer la réalité" (déclaration d’une lycéenne)

"Notre principal problème ce sont les inégalités. Les pauvres ne peuvent plus rester pauvres. Les riches ne doivent plus piétiner les autres pour rester riches" (cri d’un trentenaire)

"Nous sommes très dangereux pour le pouvoir. Nous devons nous organiser pour être fort quand les puissants tenteront de nous détruire" (explication d’un vieux monsieur)

Ou encore, cet adolescent qui prend la parole en tremblant. Il se revendique de la Révolution française et veut citer Victor Hugo : "Rien n’a plus de force qu’une idée dont l’heure est venue".

Ou aussi ce lycéen prend le micro : "Venez parler s’il vous plaît ! Même si vous avez peur ! Je viens vous écouter tous les jours et franchement c’est magnifique tout ce qu’on se dit ici !"

Ou ce père de famille qui est venu citer sa mère : "Mon fils, les riches sont riches parce qu’ils mangent notre pain, jamais le leur".

Et cette jeune femme qui campe sur le camp depuis une semaine vient témoigner : "vous avez toutes et tous une banques ? Moi aussi j’avais une banque. Ils m’ont dit que je pouvais utiliser la carte de crédit sans problème, sans payer de commissions. Cette banque m’a ruinée. Je suis indignée. Je ne veux plus entendre parler de ces banquiers !"

Il va être l’heure de l’assemblée générale. On hésite à rester. Ici les témoignages et les cri de rage et d’enthousiasme continuent. Magnifiques de sincérité dans un respect sans pareil. Juste magnifique !

Nouveau succès pour le mouvement ! Une fois encore la place est comble ! Nous sommes aussi nombreux qu’hier ! Plus nombreux peut-être ! Les intervenant-e-s sont très impressioné-e-s. Certains le sont tellement qu’ils n’arrivent même pas à parler !

Une jeune femme, Xema, est invitée par l’assemblée à venir parler. Elle vient tout juste d’arriver de Barcelone. Elle tremble. Elle n’avait pas prévu de parler devant 10000 personnes ! Elle raconte la résistance pacifique et les coups de policiers, la peur et les blessures des résistant-e-s. "Il y avait beaucoup de sang, des gens avec des blessures craniennes, des tonnes de coups". Elle est émue aux larmes et très marquée par ces violences. Elle finit en disant "Leurs coups ne nous diviseront pas, ils nous unissent. Et je suis très heureuse de voir que nous sommes plus unis que jamais."

Une jeune barcelonaise demande la parole pour témoigner elle aussi : "Je voulais vous dire que les copains et les copines ont été impressionnants. Ils ont tout reconstruits en un après-midi !" Elle termine en nous disant en "Vous savez, à Barcelone on commence à dire partout que l’on est comme l’eau. Rien ne peut arrêter l’eau quand le courant est fort !"

La première commission à prendre la parole ce soir, c’est la commission extension.

C’est Oscar qui prend la parole. Il salue la foule en disant "Il faut que je vous dise, la Bastille est presque prise ! Demain les copains de Paris font une grosse manifestation. On est en contact permanent avec eux !" Applaudissements ! Moment étrange. Il y a une coupure d’électricité. Les intervenants doivent parler dans un mégaphone. Pour que tout le monde puisse entendre, la foule répète chaque phrase des discours. C’est très impressionnant.

C’est un très jeune homme qui prend la parole : "Nous espérons que ce mouvement marquera un tournant dans la vie démocratique de notre pays (...) Mai a vu naître beaucoup de révolution. Qu’il en soit ainsi ce mois de Mai-ci !"

La commission propositions nous informe. Au quatre coins du camp, des urnes sont disposées. Elles permettent à celles et ceux qui n’osent pas prendre la parole ou qui sont de passage de faire leurs propositions. Toutes les propositions déposées seront publiées en tant que telles sur la page web (madrid.tomalaplaza.net)

Arrive un représentant de la commission d’extension aux quartiers. Elle nous annonce une bonne, une excellente nouvelle : "La convocation des assemblées de quartier a dépassé toutes nos expectatives ! plus de la moitié des assemblées de quartier, il y avait plus de 1000 personnes !" Lavapiés n’était pas une exception !"

Le groupe de travail éducation, université et culture arrivent avec des propositions acceptée par tout le groupe de travail :

- "nous voulons une éducation publique, gratuite et laïque à tous les niveaux" (approbation de l’assemblée). A noter : la laïcité et l’abolition du concordat ont suscité beaucoup d’applaudissements !

- augmentation de l’investissement dans l’éducation publique et la culture (notamment en vue de l’éradication de la précarité des employés des écoles et de la culture)

- éducation intégrale et inclusive

- démocratisation par une représentation proportionnelle au sein des structures universitaires et culturelles.

Malheureusement une très très petite minorité s’est exprimée contre ces proposition. Il a été impossible d’arriver au consensus... Au désespoir de la majorité, les travaux sur ces points devront reprendre au sein du groupe de travail. Le consensus c’est franchement pas facile...

Il est tard. Les débats reprendront demain.


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