Scandale des écoutes du News of the World en Grande Bretagne

mardi 26 juillet 2011.
 

Le scandale des écoutes téléphoniques du journal anglais The News of the World a mis en lumière la révoltante culture de collusion et de corruption qui lie les politiciens britanniques, la presse et la police et dont l’existence a peu de chance de surprendre ceux qui connaissent quelque peu ces institutions. Cela n’étonnera pas non plus les centaines d’employés de News of the World qui vont maintenant perdre leur travail à cause des crimes et des erreurs commis par les directeurs de News International. News International considère de toute évidence ses employés et les victimes des écoutes comme des proies idéales. En fait, s’il est vrai que le scandale des écoutes du News of the World représente un terrible revers pour Rupert Murdoch, cela donne en même temps au Roi Soleil, comme on le nomme, l’occasion de rationaliser son empire de presse au moment où le rentabilité des tabloïdes diminue.

Dans un article du magazine de droite britannique The Spectator intitulé "Ce que les journaux ne disent pas", le journaliste Peter Oborne reproche aux politiciens et aux médias de ne pas faire le lien entre le scandale et l’ambition de Murdoch de prendre le contrôle de BSkyB. Oborne pose une question qui selon lui n’a pas été posée : "Est-ce que le propriétaire de News International est encore ’digne’ d’une fonction aussi importante dans les médias britanniques et ’apte’ à l’occuper ". On se pose certainement la question de l’aptitude morale de Murdoch pour le rôle de super magnat de la presse, surtout dans la partie des médias dominants qu’il ne possède pas (comme The Spectator), d’ailleurs Murdoch a été forcé de renoncer à s’approprier BSkyB, du moins pour le moment.

Si Oborne veut faire du ski hors piste, voilà les questions qui ont été ignorées par les médias dominants : Lequel des nombreux ennemis de Murdoch "a appuyé sur le bouton" des écoutes téléphoniques ? Et pourquoi maintenant ? Pour des raisons évidentes il est difficile d’obtenir des réponses définitives, mais il n’y a aucun doute qu’il y a en Angleterre des éléments qui sont hostiles à la position pro-américaine de Murdoch et qui ne voient pas d’un bon oeil l’éventuelle domination de Murdoch sur les médias britanniques.

Et voici une autre question largement négligée : étant donné que les médias "respectés" comme la BBC britannique induisent systématiquement en erreur le public (pour ne prendre qu’un exemple, la BBC fait en ce moment l’impasse sur les mouvements populaires d’Espagne et de Grèce), pourquoi nous indignons-nous seulement de ce que fait la presse de Murdoch ? Il faut se souvenir , après tout, que du point de vue de leur engagement idéologique profond, les services publics de radio et de télévision et Murdoch sont du même bord. De fait, les gens de gauche qui se plaignent des "conglomérats" médiatiques et du "néolibéralisme" sous estiment trop souvent les profondes manipulations idéologiques auxquelles se livrent la presse libérale et les services publics de la radio et de la télévision.

L’inapte régulateur de la presse, la Commission des plaintes contre la presse (Press Complaints Commission) n’y survivra peut-être pas et des règles plus strictes seront imposées à la presse. Mais il y a toutes les chances pour que ce scandale ne réussisse finalement qu’à renforcer le pouvoir de l’état britannique et de son système de propagande. D’une manière qui rappelle la récupération par la classe dirigeante du scandale des notes de frais des membres du parlement anglais en 2009, l’indignation publique contre les fautes professionnelles du News of the World est exploitée par les pouvoirs politiques et médiatiques pour augmenter leur capital éthique en se félicitant mutuellement d’avoir sorti quelques pommes pourries du tonneau. Même si nous considérons ce scandale comme une "crise" authentique et spontanée et non comme une liquidation bien planifiée, la crise a déjà été utilisée par la classe dirigeante pour rassurer le public sur la solidité fondamentale du système politique et médiatique britannique.

Dans leurs réactions au scandale de News of the World, la plupart des universitaires libéraux ont le plus souvent considéré aussi le scandale des écoutes téléphoniques comme une aberration, en soulignant le besoin d’un journalisme éthique et courageux qui remplisse le rôle qui lui revient à savoir remettre en question le pouvoir et promouvoir le débat démocratique. Mais cet argument repose sur l’assomption que la démocratie libérale (ou même, selon l’expression nationaliste éculée "notre démocratie") est une Bonne Chose -et que le rôle principal des journalistes est de la promouvoir.

Ces idées toutes faites sur la démocratie et le rôle du journalisme peuvent réconforter ceux que ces récentes révélations ont à juste titre écoeuré. Cependant d’un point de vue plus radical, on peut les considérer comme "des stratégies du containment" (endiguement) comme dit Fredric Jameson qui servent à bloquer la réflexion critique sur les contradictions du capitalisme et les opérations macro-idéologiques des médias d’information. On est dès lors amené à se poser des questions plus vastes : peut-on vraiment appeler démocratie une société où les politiciens et les médias oeuvrent inlassablement à l’oppression de la classe laborieuse ? Et l’ultime fonction du journalisme politique de la pensée dominante est-elle vraiment de servir la démocratie - ou plutôt comme dirait Noam Chomsky, de la saboter ?

Stephen Harper

Dr Stephen Harper est maître de conférence en études des médias à l’Ecole d’Arts Créatifs, Films et Médias de l’université de Portsmouth.

Pour consulter l’original : http://dissidentvoice.org/2011/07/t....

Traduction : Dominique Muselet pour LGS


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