Les responsables de la crise doivent en supporter les coûts (Cayo Lara, Izquierda Unida)

dimanche 19 juin 2011.
 

Il y a un mois une manifestation contre la crise et en faveur d’une démocratie réelle s’est muée en un mouvement social, celui des Indignados qui a débattu politique sur les places publiques. Comment Izquierda Unida (IU) l’analyse-t-il  ?

Cayo Lara. Nous l’avons reçu comme une bouffée d’air frais face au système. Ce mouvement n’est pas spontané. Il a grandi avec la crise que nous subissons depuis 2008. Depuis que le chômage s’est emballé au point d’atteindre aujourd’hui 5 millions de personnes. Il touche 43 % des jeunes de moins de 25 ans. Le taux de précarité est l’un des plus élevés de l’Union européenne. Cela a eu pour conséquences une multitude de drames comme celui du logement.

Les gouvernements ont refusé de développer une politique de logement public. L’économie de marché s’est concentrée sur ce secteur, avec une production d’environ 800 000 logements par an. Les prix de vente ont triplé. Pour rappel, la précédente génération, avec le salaire moyen de l’époque, acquérait des logements en une quinzaine d’années. Les banques ont vendu des crédits sur quarante ans, voire cinquante ans. Des millions de familles se sont endettées à perpétuité. Il suffit juste d’imaginer les conséquences lorsqu’il y a perte d’emploi dans un foyer.

Cette année, près de 300 000 expulsions de familles sont déjà programmées contre 98 000 l’an dernier. Et fondamentalement ce sont les banques qui récupèrent ces logements. Cela a généré un sentiment de révolte et une colère spécifique des jeunes à l’encontre de ces choix politiques et de la faiblesse de la démocratie.

Car la souveraineté populaire ne se retrouve pas reflétée dans le Parlement en raison d’une loi électorale injuste. Un exemple  : IU, pour élire un député, doit obtenir quatre fois plus de voix que le PSOE (Parti socialiste) ou le Parti populaire (PP, droite). Bref, tout cela a provoqué de l’indignation alimentée par des mouvements de jeunes comme Democracia real ya (DRY) ou Jeunes sans futur, qui sont à l’origine de la manifestation du 15 mai. Sur le fond, il s’agit d’une contestation du système et de certains aspects de la transition espagnole.

Quelle place a prise IU dans la montée en puissance de cette colère  ?

Cayo Lara. Nous avons contribué à la maturation de la réflexion sur les raisons de la crise du néolibéralisme en Espagne et en Europe. Nous subissons deux crises  : la crise financière mondiale et la crise liée à notre propre modèle de développement basé sur le ciment et la brique. Face aux politiques d’ajustements et de coupes budgétaires dans les droits et les services, nous avons avancé l’idée que les responsables de la crise doivent en supporter les coûts. Le gouvernement s’est couché devant le patronat, les banques, les spéculateurs financiers, les marchés et le Fonds monétaire international. C’est pourquoi d’ailleurs la crise ne s’est pas résolue mais aggravée, entraînant une sévère détérioration sociale qui a frappé de très nombreux foyers.

Assiste-t-on au vacillement de l’édifice démocratique et économique de la transition, pourtant érigé en modèle par l’Union européenne  ?

Cayo Lara. Oui. On a présenté ce pays comme un pays modèle, celui du chômage zéro avec l’explosion de l’emploi dans le secteur de la construction. Les jeunes ont vécu dans un château de sable. Une sorte de bulle qui ne prendrait jamais fin, où le capitalisme paraissait comme le moindre mal, n’a cessé d’enfler.

Après les chutes du mur de Berlin et des pays dits du socialisme réel dans les années quatre-vingt-dix, c’est ce château de sable qui s’est écroulé, ouvrant la voie au développement de la crise. Concernant la démocratie, c’est le bipartisme qui est critiqué, PSOE et PP étant coresponsables de la loi électorale irrespectueuse de la démocratie représentative. Mais l’élément le plus important est l’offensive du capitalisme. Sa feuille de route néolibérale a cogné l’État social, ses services publics de qualité… En Espagne, c’est flagrant. Depuis ces années-là, les politiques d’État ont été fragilisées. Les services publics ont été privatisés. Les impôts des couches les plus riches ont été réduits tandis que ceux sur la consommation et les salaires ont augmenté.

Cette détérioration du rôle de l’État s’est traduite par un questionnement de la démocratie  : ce ne sont plus les institutions qui contrôlent les pouvoirs financiers et les marchés mais l’inverse. En mars 2010, le président du gouvernement espagnol, José Luis Zapatero, est monté à la tribune du Parlement pour demander un plan d’ajustement antisocial connu comme le tijeretazo (le coup de ciseaux – NDLR). Puis il a lancé la réforme de l’emploi qui revient à assouplir les conditions de licenciement et ses coûts, puis la réforme des retraites, qui n’a pas encore été votée, préconisant de rallonger l’âge de départ à 67 ans. Bref, le gouvernement a fait le choix de contenter les marchés. Il a agenouillé la démocratie devant les pouvoirs financiers.

Vous évoquez la réforme des retraites. Sa ratification par les centrales syndicales et singulièrement par 
les commissions ouvrières (Ccoo) 
a soulevé de vives critiques chez ses adhérents. Ce choix est fortement contesté dans les rassemblements actuels. Comment réagi IU  ?

Cayo Lara. Nous avons une position différente de celle des syndicats. Pour nous, cette réforme n’a pas lieu d’être, sauf à vouloir pousser les gens vers les fonds de pension privés. Elle est d’autant moins nécessaire que les comptes de la Sécurité sociale sont excédentaires. Nous respectons la décision des syndicats mais nous défendons notre opposition.

Les opinions critiques émises contre cette réforme doivent s’exprimer au sein des syndicats et, souverainement, les adhérents doivent dire si leurs directions ont agi correctement ou non. Mais à nos yeux le principal responsable est le gouvernement puisque c’est lui qui a décidé de réformer les retraites. Nous avons présenté un amendement contre l’ensemble de cette réforme qui a été rejeté par le PSOE et le Convergencia i unio (parti nationaliste catalan conservateur). Et nous continuerons de défendre l’idée qu’il n’y a pas besoin de réformer le système des retraites.

Vous déclarez que le président 
du gouvernement socialiste a abdiqué devant les marchés financiers. 
Cela n’est-il pas aussi révélateur 
de la crise idéologique de la social-démocratie en Europe  ?

Cayo Lara. Oui. La social-démocratie a réduit le rôle et la force de l’État. Un exemple révélateur  : le FMI a déclaré que 40 % du déficit des comptes de l’État correspondent aux baisses successives des impôts des plus hauts revenus décidées, durant ces 15 dernières années, par les gouvernements du PP et du PSOE. En Europe, elle a décidé de ne plus affronter le pouvoir économique. Pis, elle suit la feuille de route tracée par le néolibéralisme. D’où le fait qu’elle entre en collision avec son propre électorat. Et ce dernier ne se retrouve pas encore dans les partis de la gauche alternative.

Ce phénomène est à l’œuvre dans toute l’Europe. Les derniers résultats électoraux en Espagne et au Portugal en attestent. On assiste à un basculement vers la droite mais également à une hausse de l’abstention. Plus grave, les partis xénophobes et racistes creusent leur trou, en développant le discours selon lequel l’ennemi serait l’immigré.

Le mécontentement se traduit 
ainsi électoralement par le vote blanc et nul…

Cayo Lara. En effet, les premières forces sont le PP et le PSOE, suivies d’Izquierda Unida avec 1,7 million de voix, puis le vote blanc et nul avec environ 900 000 suffrages, c’est-à-dire 4,24 % des votes sur les 22,8 millions d’inscrits. Nous parlons de personnes qui veulent voter mais ne trouvent pas l’espace politique pour le faire. C’est le vote colère, et il a progressé d’environ 300 000 voix par rapport aux dernières élections.

Cela n’interpelle-t-il pas IU  ?

Cayo Lara. Bien sûr. IU revient d’une longue période de baisse électorale constante. Lors des dernières élections, nous avons amorcé une remontée de 1 % alors que le contexte européen est défavorable. Il nous faut travailler à capitaliser une grande partie du vote de colère et celui de la gauche du Parti socialiste, les deux se sentant floués par ces politiques. Cela veut dire plus de cohésion sociale et politique. Sur le plan médiatique, c’est l’horreur. Une étude en Andalousie a démontré qu’IU ne représente que 2 % du traitement médiatique consacré aux forces politiques. Dans les médias privés, il tombe à 0,7 %.

Nous avons porté plainte contre ce manque de respect du temps qui nous est imparti en tant que troisième force politique du pays. Je ne veux pas dire qu’il s’agit là de la seule raison mais elle est importante. Car notre discours est crédible. Il porte une alternative face à la résignation ambiante et les politiques contre les dépenses publiques que l’on présente comme inévitables. Mais ce discours n’atteint pas l’ensemble du territoire, faute d’instruments pour notre organisation et en raison de la crise interne dont nous avons souffert de 1999 à 2008.

Le gouvernement socialiste 
et les autonomies annoncent d’importantes coupes budgétaires. 
Le débat est toujours vif concernant les réformes de l’emploi, des retraites 
et sur les conventions collectives. 
Comment IU aborde-t-elle la période  ?

Cayo Lara. Nous affrontons une offensive néolibérale, en vertu des accords européens de Lisbonne. Le gouvernement a décidé de réajuster les comptes en coupant dans les budgets et les investissements de l’État, en diminuant les salaires des fonctionnaires, en gelant les pensions… Dans l’emploi public, seul un départ sur dix à la retraite sera remplacé. Tout cela va signifier une baisse du pouvoir d’achat des Espagnols. Cette atonie de la consommation conduit à une baisse des ventes des entreprises. Et nous voilà pris dans la spirale du serpent qui se mord la queue.

Mais l’Espagne est le pays européen où la fraude fiscale est la plus importante. Le manque à gagner est de 5 000 millions d’euros par an. La baisse des impôts sur les sociétés et la suppression de l’impôt sur le patrimoine dont s’acquittaient les grandes fortunes représentent 2 200 millions d’euros en moins dans les caisses publiques. Le gouvernement a par ailleurs diminué l’impôt sur les salaires élevés (60 000 euros annuels).

Il faut, à l’inverse, une réforme fiscale progressive qui revienne sur ces choix. Il faut affronter le pouvoir des banques. Et pousser à l’investissement public dans l’emploi, la santé, l’éducation, la recherche et le développement. Nous défendons la proposition d’une banque publique face à la privatisation des caisses d’épargne du gouvernement. Le crédit doit favoriser les PME mais également promouvoir un nouveau modèle productif. Un exemple  : en pleine crise, la banque de Santander présente 35 000 millions de bénéfices sur ces quatre dernières années. Les actionnaires se sont partagé 19 000 millions. Les propos du président de la banque, Botin, résument parfaitement le nœud gordien lorsqu’il déclare que son organisme est incontestablement le grand gagnant de cette crise. Telefonica (entreprise de télécommunications) a présenté des bénéfices de 10,1 milliards en 2010 mais elle va licencier 20 % de ses effectifs en Espagne. À nos yeux, il s’agit d’un délit. Voilà le visage de l’économie espagnole  : davantage de bénéfices pour les entreprises et pour la banque, plus d’impôts pour les couches populaires, un service public détérioré, voire privatisé, la fragilisation de l’État et de la démocratie.

Le Mouvement du 15 mai, Democracia Real Ya et d’autres appellent à des manifestations 
le 19 juin contre la crise, le pacte 
dit euro plus… IU en sera-t-elle  ?

Cayo Lara. Nous appuierons ces manifestations comme nous avons soutenu celles d’hier et comme nous serons demain de toutes les mobilisations contre la crise. Le 16 juin, les syndicats déposeront une demande d’annulation de la réforme de l’emploi qui a recueilli l’assentiment d’un million de signatures. Nous continuerons à nous opposer à la réforme des retraites, aux coupes budgétaires et à l’offensive patronale contre les conventions des négociations collectives.

Les Indignés de la Puerta del Sol ont levé, dimanche, le camp qu’ils avaient installé au cœur de la capitale espagnole. Durant quatre semaines, cette cité éphémère était devenue le symbole de la contestation des jeunes contre les effets de la crise économique et la représentativité politique. Lors de leur assemblée générale, les Indignados ont décidé de poursuivre leur mobilisation dans les quartiers de Madrid et des grandes villes, tout en conservant un point d’information sur la Puerta del Sol. Samedi, ils se sont invités aux prises de fonctions des maires et des présidents des communautés autonomes au cri de « ils ne nous représentent pas ». 
Le 19 juin, le mouvement du 15 mai, Democracia Real Ya et d’autres collectifs 
et organisations appellent à des manifestations dans les principales villes du pays.

Entretien réalisé par Cathy Ceïbe


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