Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) Un penseur aux origines de l’anarchisme

mardi 4 août 2020.
 

(33) Mots clés : Portraits de communards,

Par Mehdi Fikri

Philosophe, journaliste, élu, banquier, génial touche-à-tout, Pierre-Joseph Proudhon eut de nombreux disciples pendant la Commune. parmi eux, Varlin, Vallès, Malon, Courbet.

Sa « plus glorieuse campagne » fut 
un échec. En 1848, à l’aube de la IIe République, Pierre-Joseph Proudhon monte au front. Il ne prend pas les armes, non. Ce révolutionnaire pacifiste n’a jamais pensé la prise du pouvoir sur le mode insurrectionnel. Il se fait banquier. Son idée est d’utiliser l’économie comme levier pour changer la société. Le 10 mai 1948, il publie dans le Représentant du peuple un projet de constitution de banque d’échange, proposant un crédit mutuel et gratuit. Roublard, le journaliste engagé accompagne le texte d’une liste de noms de personnalités censées avoir accepté de participer au comité d’étude. Ce qui est complètement faux. Le 31 janvier 1949, la Banque du peuple est créée, Proudhon en est le gérant. Le capital de l’établissement est fixé à 5 millions de francs et 50 000 francs sont jugés nécessaires pour commencer l’entreprise. Près de 40 000 personnes souscrivent à l’établissement, mais ce ne sont que des petits porteurs. La Banque du peuple menace rapidement de péricliter. Coup de chance, avant la banqueroute, Proudhon est condamné le 28 mars 1849 à trois ans de prison pour attaque contre le président de la République. Contraint à l’exil, il liquide l’entreprise et sauve la face. Pour lui, l’opération est un succès  : il a semé dans les esprits l’idée du crédit gratuit et du mutuellisme. Un système d’échange où l’emprunteur ne rend que ce qu’il a consommé, en contradiction totale avec la loi de l’offre et de la demande.

Pierre-Joseph Proudhon n’est pas de ces penseurs qui ont pris la misère pour sujet conceptuel, du haut de leurs origines bourgeoises. Enfant de la pauvreté, il a très souvent admis au cours de sa vie que tout ce qu’il savait, il le devait au désespoir. Fils d’un tonnelier et d’une cuisinière, il est gardien de bœufs à cinq ans, garçon de cave à douze ans, puis ouvrier typographe, chômeur. Autodidacte, il publie en 1837 un premier écrit, Essai de grammaire générale. Remarqué par l’académie de Besançon, il reçoit en 1838 la bourse de la pension Suard. Devant le jury, le jeune homme, aux options politiques déjà bien affûtées, déclare que la bourse lui permettra de « travailler sans relâche, par la philosophie et par la science, avec toute l’énergie de sa volonté et la puissance de son esprit, à l’affranchissement de ses frères et compagnons ».

Très vite, il touche à tout  : l’économie, la morale, le théâtre, la peinture, la linguistique. Mais aussi la théologie, car cet ennemi de l’Église est fasciné par le christianisme. En 1840, il adresse à l’académie de Besançon un mémoire fameux, qui faillit lui valoir la suspension de sa pension  : La propriété, c’est le vol. Une formule choc, souvent mal comprise. La propriété dénoncée par Proudhon n’est que la propriété immobilière, celle de l’instrument de travail qui, selon lui, doit être accessible à tous. A contrario, il estime que la propriété privée individuelle garantit contre l’emprise de l’État. De même, Proudhon défend la concurrence, comme gage de stimulation, dans une économie socialiste. En parallèle, il développe une théorie politique foncièrement antigouvernementale, prônant le fédéralisme, via la constitution de réseaux horizontaux et l’autogestion de petites structures gouvernées par l’élection.

Dans une pensée faite de plis, d’allers-retours, Proudhon cherche une voie médiane entre le matérialisme et l’idéalisme. Et refuse la contradiction systématique entre bourgeoisie et prolétariat. Pour Karl Marx, cela fait de lui le complice objectif de l’écrasement de la classe ouvrière. Entre Marx, penseur systémique, et Proudhon, polémiste pragmatique, l’affrontement est rude. Le premier tacle l’aspect désordonné de la pensée du père des anarchistes, « le gauche et désagréable pédantisme de l’autodidacte qui fait l’érudit, de l’ex-ouvrier qui a perdu sa fierté de se savoir penseur ». «  Proudhon veut planer en homme de science au-dessus des bourgeois et des prolétaires. Il n’est que le petit-bourgeois, ballotté constamment entre le capital et le travail, entre l’économie politique et le communisme », écrit le philosophe allemand. Proudhon, de son côté, raille l’idée communiste d’une organisation globale de la société et dénonce le messianisme millénariste de la lutte des classes, condamnant le socialisme à « un perpétuel ajournement ». Sous le Second Empire, les deux hommes participent ensemble à la création de la Ire Internationale socialiste, qui sera le théâtre de leur division.

Parfois, Proudhon s’égare. Élu représentant de la Seine à l’Assemblée constituante de 1848, il se prononce contre le divorce et l’abolition de la peine de mort. Il y a plus rance encore. En accord avec le racisme de son temps, Proudhon fait preuve, notamment dans ses Carnets, d’un antisémitisme féroce. D’une dure misogynie aussi. Dans son ouvrage la Pornocratie, ou 
les femmes dans les temps modernes, il s’oppose à toute lutte féministe et toute égalité sociale 
de l’homme et de la femme.

Reste que les classes laborieuses lui sont 
reconnaissantes d’avoir été fidèle à son serment d’écrire pour elles. Ainsi, en 1851, le maire conservateur de Gonfaron explique au préfet du Var avoir refusé à plusieurs pères de famille l’inscription du prénom Proudhon qu’ils voulaient donner à leurs enfants. Après sa mort, ses idées réapparaissent, à intervalles réguliers. Lors de la Commune, six ans après son décès, les « fédéralistes » (Varlin, Vallès, Malon, Courbet) se réclament de lui. Le « proudhonisme » revient lors de la crise parlementaire du début du XXe siècle, dans celle des années 1940 et dans la vague protestataire de 1968. Selon la biographe Anne-Sophie Chambost, « si le dilettantisme de certains auteurs en fait des penseurs des époques de prospérité, la tension qui anime l’œuvre de Proudhon en ferait plutôt un auteur des temps de crise ». Souvent caricaturé et encore mal édité, Proudhon mérite d’être relu sereinement.

Mehdi Fikri


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