Entretien avec Michel Warschawski sur le mouvement social isréalien actuel

mardi 4 octobre 2011.
 

Inprecor : Depuis plusieurs semaines un mouvement social de grande ampleur exige la « justice sociale ». Penses-tu que ce mouvement est en train de changer la situation politique en Israël et au Proche-Orient ?

Michel Warschawski : N’exagérons pas ! Que la mobilisation sociale actuelle puisse enclencher des changements politique en Israël est une chose, mais affirmer qu’elle marque un tournant majeur au niveau régional est sérieusement exagéré. Au niveau régional, l’événement majeur reste l’Intifada arabe qui pèsera autrement plus lourd que ce qui se déroule actuellement dans la rue israélienne.

Ceci dit, et même si le lien n’est pas fait ouvertement, le mouvement social et ses revendications posent non seulement des questions pertinentes sur les choix sociaux économiques du gouvernement actuel, et en particulier le démantèlement des services publics, mais aussi celles des choix politiques : pour financer une nouvelle politique sociale, il faudra nécessairement couper dans les budgets militaires et le financement de la colonisation. Est-ce un hasard si les seules critiques ouvertes du mouvement populaire viennent des dirigeants des colons qui essaient de la décrire comme un Woodstock d’enfants gâtés des quartiers branchés du nord de Tel-Aviv ?

Inprecor : L’ampleur de l’actuel mouvement social et sa popularité (les sondages font état du soutien de plus de 80 % de la population) témoignent d’une prise de distance envers le régime actuel et le rôle joué par l’État — qui n’est plus un « État-providence ». L’ancien ministre et ancien dirigeant militaire des territoires occupés, Benjamin Ben Eliezer, a déclaré récemment craindre la pire catastrophe depuis la création de l’État d’Israël, car « les gens qui sont dans les rues aujourd’hui sont l’élite d’Israël » et qu’il y a « un lien entre ce public et la puissance nationale ». Serait-ce un signe d’un début de perte de légitimité du projet sioniste au sein de la population juive en Israël ?

Michel Warschawski : La aussi n’exagérons pas : le sionisme — comme projet colonial et comme idéologie — n’est pas remis en question, loin de là ! Au contraire, les porte-paroles du mouvement insistent lourdement sur « ni droite, ni gauche » et le caractère non politique de ce dernier. Lors des grands rassemblements à Jérusalem et à Tel-Aviv, la question du conflit israélo-arabe a été volontairement éludée... sauf par quelques artistes qui, contrairement aux porte-parole, ont, eux, fait le lien. Ce qui est remis en question, et c’est déjà très important, c’est le démantèlement de l’État providence et son impact désastreux sur l’éducation et la santé.

Ce qu’a souligné Benjamin Ben Eliezer c’est le fait qu’il ne s’agit pas d’un mouvement venant des couches populaires les plus pauvres, mais de classes moyennes, de couples qui travaillent, ont un niveau relativement élevé d’éducation, font leur période annuelle de réserve à l’armée et voudraient avoir leur part des fruits de la croissance économique actuelle d’Israël qui profite surtout à quelques milliers de familles dont le gouvernement actuel est le fondé de pouvoir. « Israël, c’est nous ! » disent-ils en substance et c’est ce message que Benjamin Ben Eliezer, mais surtout ceux qu’on appelle les oligarques, voudraient faire entendre à Netanyahou, car les profits gigantesques engrangés par ces derniers au cours de la dernière décennie sont liés à la stabilité politique et sociale d’Israël et celle-ci vaut bien quelques réformes du néolibéralisme débridé en faveur de ces couches moyennes.

Inprecor : Dans les manifestations on a pu voir des pancartes affirmant que « la place Tahrir est ici », sur le boulevard Rothschild il y a une tente 1948 qui rassemble des Juifs et des Palestiniens favorables à une souveraineté partagée dans un État pour tous ses citoyens, des campements de protestation druzes et palestiniens auraient vu le jour… Penses-tu que le mouvement du 14 juillet va contribuer à desserrer l’étau des nationalismes en Palestine et au Proche-Orient ?

Michel Warschawski : Les Palestiniens d’Israël ont imposé leur place dans le mouvement, y compris sur le boulevard Rothschild à Tel-Aviv, et leurs revendications sont aussi bien politiques que sociales. Ceci dit, des manifestants juifs ont, par exemple, arraché le drapeau palestinien qui était sur leur tente. Le défi actuel pour la gauche anticoloniale et les militants palestiniens reste toujours le même : faire le lien entre revendications sociales et revendications politiques.

Netanyahou nous aide dans ce sens, quand il appelle les jeunes couples en quête de logement à aller s’installer... dans les colonies, provoquant la colère de ceux qui veulent des réponses là où ils vivent, à Tel-Aviv, Haïfa ou Beer-Sheva, pas à Ariel ou à Ofra.

Inprecor : Les revendications de plus de 80 campements du mouvement et des centaines de milliers de manifestants visent un changement d’orientation politique et économique du pays. En même temps les principaux porte-paroles du mouvement insistent sur son caractère non politique. Comment expliques-tu cette contradiction ?

Michel Warschawski : Dans le jargon israélien, quand on dit « non politique », cela signifie sans exprimer de position sur le conflit israélo-arabe. En ce sens le mouvement est bien non-politique. Il est par contre éminemment politique dans son rejet sans équivoque du projet néolibéral

Inprecor : Depuis une décennie des tentatives de construire de nouveaux syndicats, combatifs et démocratiques, apparaissent en Israël (Koach La-Ovdim, Maan). Jouent-ils un rôle et si oui lequel dans l’actuel mouvement social ?

Michel Warschawski : Tous les acteurs du mouvement social sont présents dans le mouvement, y compris Koach la-Ovdim. Ce courant représente la première tentative réussie de briser le monopole de la Histadrout comme unique représentant des salariés. C’est une structure encore modeste, mais qui a cessé, dans certains secteurs, d’être marginale et avec laquelle il faudra de plus en plus compter.

Août 2011

* Michel Warschawski, journaliste et écrivain, militant antisioniste israélien, est co-fondateur et président du Centre d’information alternative (Alternative Information Center, AIC) de Jérusalem. Il a publié récemment : Les banlieues, le Proche-Orient et nous (avec Leila Shahid et Dominique Vidal, L’Atelier 2006), La révolution sioniste est morte — Voix israéliennes contre l’occupation, 1967-2007 (collectif, La Fabrique 2007), La guerre des 33 jours - La guerre d’Israël contre le Hezbollah au Liban et ses conséquences (avec Gilbert Achcar, Textuel 2007), Programmer le désastre — La politique israélienne à l’œuvre (La Fabrique 2008), Destins croisés — Israéliens-Palestiniens, l’histoire en partage (Riveneuve 2009), Au pied du mur, (Syllepse 2011).


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