Le très sérieux Sénat a commandé une émission télé couplée à un sondage sur " Les 100 plus grands Français de tous les temps".
Le résultat de cette enquête suggère que les références culturelles de la grande majorité des Français passent aujourd’hui, plus par le canal du petit écran que par l’école, l’engagement politique ou la lecture. Pourtant, cette liste recoupe la composition d’ensemble (acteurs, chanteurs, sportifs, animateurs télé) des exilés fiscaux qui appauvrissent le pays. L’idéologie actuelle du système pèse lourdement sur les consciences.
1) La moitié des nominés sont acteurs, chanteurs, sportifs, animateurs télé :
acteurs ( Coluche, Bourvil, Fernandel, De Funès, Gabin, Lino Ventura, Montand, Belmondo, Signoret, Jean Marais, Alain Delon, Brigitte Bardot, Serrault, Raimu, Luc Besson, Gérard Philippe, Catherine Deneuve, Gérard Depardieu)
chanteurs ( Piaf, Brassens, Balavoine, Gainsbourg, Aznavour, Hallyday, Claude François, Trénet, Sardou, Salvador, Goldman, Dalida, Cabrel, Renaud, Bécaud, Ferrat, Tino Rossi, Reggiani)
sportifs ( Zidane, Platini, Tabarly, Douillet, Noah, Aimé Jacquet, Poulidor)
animateurs télé ( Cabrol, Zitrone, Poivre d’Arvor, Michel Drucker)
2) « La société du spectacle, aspect essentiel de l’idéologie dans le mode de production capitaliste
Cette popularité des acteurs, chanteurs, sportifs prouve que l’abrutissement des citoyens par la société du spectacle marche bien.
Comme l’écrivait Guy Debord en 1967 :
Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles...
- Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.
Sous toutes ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante.
Le spectacle se représente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d’unification. En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé, il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience ; et l’unification qu’il accomplit n’est rien d’autre qu’un langage officiel de la séparation généralisée.
Le caractère fondamentalement tautologique du spectacle découle du simple fait que ses moyens sont en même temps son but. Il est le soleil qui ne se couche jamais sur l’empire de la passivité moderne. Il recouvre toute la surface du monde et baigne indéfiniment dans sa propre gloire.
La société qui repose sur l’industrie moderne n’est pas fortuitement ou superficiellement spectaculaire, elle est fondamentalement spectacliste. Dans le spectacle, image de l’économie régnante, le but n’est rien, le développement est tout. Le spectacle ne veut en venir à rien d’autre qu’à lui-même.
Le spectacle soumet les hommes vivants dans la mesure où l’économie les a totalement soumis.
La philosophie, en tant que pouvoir de la pensée séparée, et pensée du pouvoir séparé, n’a jamais pu par elle-même dépasser la théologie. Le spectacle est la reconstruction matérielle de l’illusion religieuse.
Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir. Le spectacle est le gardien de ce sommeil.
La séparation est l’alpha et l’oméga du spectacle. L’institutionnalisation de la division sociale du travail, la formation des classes avaient construit une première contemplation sacrée, l’ordre mythique dont tout pouvoir s’enveloppe dès l’origine. Le sacré a justifié l’ordonnance cosmique et ontologique qui correspondait aux intérêts des maîtres, il a expliqué et embelli ce que la société ne pouvait pas faire. Tout pouvoir séparé a donc été spectaculaire, mais l’adhésion de tous à une telle image immobile ne signifiait que la reconnaissance commune d’un prolongement imaginaire pour la pauvreté de l’activité sociale réelle, encore largement ressentie comme une condition unitaire. Le spectacle moderne exprime au contraire ce que la société peut faire, mais dans cette expression le permis s’oppose absolument au possible. Le spectacle est la conservation de l’inconscience dans le changement pratique des conditions d’existence. ... La réussite du système économique de la séparation est la prolétarisation du monde.
L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L’extériorité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représentent. C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout... »
L’imaginaire aliéné et la société du spectacle selon Guy Debord
Pour ce même Guy Debord, l’imaginaire de la société du spectacle contemporaine est intrinsèquement lié aux rapports marchands :
"Le spectacle, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant. Il n’est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée. Il est le coeur de l’irréalisme de la société réelle. Sous toute ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l’affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. Forme et contenu du spectacle sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du système existant. Le spectacle est aussi la présence permanente de cette justification, en tant qu’occupation de la part principale du temps vécu hors de la production moderne..." (Source : bibliothèque virtuelle : Livre numérisé : La société du spectacle, Debord).
3) L’autre moitié des nominés dans ce sondage du Sénat n’est pas contradictoire avec la popularité des acteurs du spectacle
L’autre moitié comprend en effet :
des militaires et grands conquérants (Napoléon, Charlemagne, Maréchal Leclerc, Louis XIV, Jeanne d’Arc),
quelques personnalités médiatisées comme Soeur Emmanuelle et Nicolas Hulot.
quatre présidents de la 5ème République,
des écrivains assez nombreux,
Les scientifiques (4) et artistes (2) sont presque oubliés.
4) Pour ceux qui veulent se faire une idée plus précise, voici la liste des 50 premiers (pour ne pas être trop long)
1) Charles de Gaulle
2) Louis Pasteur
3) Abbé Pierre
4) Marie Curie
5) Coluche
6) Victor Hugo
7) Bourvil
8) Molière
9) Commandant Cousteau
10) Édith Piaf
11) Marcel Pagnol
12) Georges Brassens
13) Fernandel
14) Jean de La Fontaine
15) Jules Verne
16) Napoléon Bonaparte
17) Louis De Funès
18) Jean Gabin
19) Daniel Balavoine
20) Serge Gainsbourg
21) Zinedine Zidane
22) Charlemagne
23) Lino Ventura
24) François Mitterrand
25) Gustave Eiffel
26) Émile Zola
27) Sœur Emmanuelle
28) Jean Moulin
29) Charles Aznavour
30) Yves Montand
31) Jeanne d’Arc
32) Maréchal Leclerc
33) Voltaire
34) Johnny Hallyday
35) Antoine de Saint-Exupéry
36) Claude François
37) Christian Cabrol
38) Jean-Paul Belmondo
39) Jules Ferry
40) Louis Lumière
41) Michel Platini
42) Jacques Chirac
43) Charles Trenet
44) Georges Pompidou
45) Michel Sardou
46) Simone Signoret
47 Haroun Tazieff
48 Jacques Prévert
49) Éric Tabarly
50) Louis XIV
Entre la 50ème et la 100 ème est-ce que Jean Jaurès (54ème) et Maximilien de Robespierre (72ème) sauvent l’honneur du panthéon oublié de la gauche ? J’en doute.
Jacques Serieys le 7 janvier 2007
Date | Nom | Message |