Devant les apparences et les idées reçues. Le pari de l’intelligence

vendredi 19 décembre 2008.
 

Nous observons toujours les choses d’un certain point de vue, socialement et culturellement déterminé, découlant aussi de notre situation. Pour nous, le soleil tourne autour de la terre. Il existe certes aussi des stratégies de manipulation. Tout groupe dominant produit un discours, une représentation du monde donnant les apparences du «  naturel  » à sa domination. Une classe ne triomphe que parce qu’elle est, d’une certaine façon, porteuse de valeurs universelles et parce qu’elle en convainc le monde.

Ces stratégies doivent être décryptées et mises à nu  : par exemple, le recours permanent aux statistiques qui permet de «  démontrer  » n’importe quel préjugé (le chômage est «  dû à  » l’immigration, etc.). Il faut étudier ces techniques à l’œuvre, cette éducation à la superficialité  : pseudo-argumentation, «  mathématiques  », psychologie, marketing. Souvent, il importe aux profiteurs «  que la question ne soit pas posée  », que le fond soit toujours esquivé par la forme, ou que l’attention soit portée ailleurs. Le monde journalistique excelle dans cet art, pas forcément de la façon dont on le croit ou par pur cynisme. Les journalistes façonnent des cadres d’interprétation, ils sont moins efficaces pour dire ce qu’il faut penser que ce à quoi il faut penser, et comment il faut le penser. Ils ne véhiculent pas tant des «  idées reçues  » que des routines d’interprétation des phénomènes sociaux.

Ces illusions artificielles et intéressées ont une histoire  : par exemple, dans la philosophie grecque, avec les sophistes, puis les sceptiques. Face à ceux pour qui le triomphe importe plus que la vérité, comment être lucide  ? Comment ne pas tomber dans le relativisme en croyant déjouer les ruses  ?

La démystification n’est pas suffisante. Les idées reçues sont efficaces, prégnantes, parce qu’elles répondent à quelque chose au plus profond de nous. Nul ne se prononce, en politique ou dans la vie courante, sur la base unique de raisonnements conformes aux règles de la logique. Ce sont tout autant (souvent davantage) des émotions, des affects, des juxtapositions d’images, des habitudes qui emportent notre adhésion. Est-ce si tragique  ? Le cœur peut bien avoir ses raisons que la raison ne connaît pas. Mais, dans ces défis à la raison, où s’arrête le cœur et où commence la tromperie  ? Les apparences, c’est aussi ce que l’on vit  : comment, par exemple, séparer l’insécurité et le sentiment d’insécurité  ?

Il ne faut ni mépriser les apparences, ni se convertir au marketing politique qui «  réussit  ». Alors que faire  ? Une première voie consiste à faire vivre la méthode dialectique, à penser les éléments d’un problème dans leur interaction mutuelle. Par ses fonctions critiques et heuristiques, elle permet d’envisager la maîtrise raisonnée des processus, de prendre en compte les possibles et les contradictions, pour passer à l’action. Un effort de décentrement, d’ouverture au dialogue et à la discussion collective est aussi nécessaire pour sortir de nos préjugés. On ne peut se contenter de «  contre-discours  », il faut faire le pari de l’intelligence.

Pierre Crépel et Théo Ruchier-Berquet, coordinateurs de la Revue du Projet


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message