L’État et son capital symbolique (Bourdieu sur l’Etat)

mardi 27 décembre 2011.
 

Sur l’État, cours au collège de France, 1989-1992, de Pierre Bourdieu. Éditions du Seuil-Raisons d’agir, 2012, 30 euros.

À l’occasion des dix ans de la mort de Pierre Bourdieu, les Éditions du Seuil et Raisons d’agir viennent de publier les cours sur l’État que cet « intellectuel critique », adversaire résolu et redouté de tous les idéologues néolibéraux, a prononcés de 1989 à 1992 au Collège de France.

Comme souligné en annexe de ces quelque 600 pages de retranscriptions, le mot État n’apparaît que tardivement dans une œuvre commencée à la fin des années cinquante, par des travaux sur la société kabyle. Si l’on excepte, peut-être, quelques interventions publiques (l’une d’elles, datant de 1982, sera partiellement reproduite dans l’Humanité du 23 janvier), il faut attendre Homo academicus, en 1984.

Dans cet ouvrage, l’État est une « instance officielle, reconnue comme légitime, c’est-à-dire comme détentrice du monopole de la violence symbolique légitime », formulation directement inspirée de Max Weber, lequel parlait, pour sa part, de « monopole de la violence physique légitime ».

Dans son cours, Bourdieu va plus loin  : l’État est le monopole des deux types de violence à la fois. En reprenant à son compte l’apport de Weber, il évite l’écueil d’une approche idéaliste, déconnectée de la réalité des multiples conflits travaillant la société. En introduisant dans la perspective wébérienne la prise en compte d’une dimension symbolique, il entend congédier dans le même temps une vision de l’État étroitement instrumentale, « fonctionnaliste », ainsi que son pendant, « l’économisme »  ; deux travers que Bourdieu débusque essentiellement du côté d’une certaine « tradition marxiste rudimentaire ».

Le rejet de celle-ci traverse ces trois années de cours. Mais, forcément, le contexte d’un cours – avec la nécessité d’aborder de multiples auteurs, les mises en abîme et les parenthèses inhérentes à l’exercice – ne se prête pas toujours à l’approfondissement des clivages théoriques dans lesquels se situe le professeur lui-même. Reste alors de nombreux questionnements possibles.

On pourra par exemple se demander pourquoi même le marxisme italien de Gramsci, théoricien de l’hégémonie, du rôle des intellectuels et de la culture dans le changement de société, est l’une des principales cibles du sociologue. « La vie de l’État est conçue comme une formation continuelle et un continuel dépassement d’équilibres instables (…) entre les intérêts du groupe fondamental et ceux des groupes subordonnés, équilibres où les intérêts du groupe dominant l’emportent mais jusqu’à un certain point, c’est-à-dire non jusqu’au mesquin intérêt économique-corporatif », expliquait, dans ses Cahiers de prison le fondateur du Parti communiste italien.

Est-ce si éloigné de l’approche « bourdieusienne » de l’État moderne comme « champ » traversé de rapports de forces permanents entre dominants et dominés, où le groupe dominant sera celui qui parvient le mieux à « théâtraliser » son dévouement au bien public, à « l’universel », fixant ainsi les conditions de la lutte que se livrent les différents autres champs de la société  ?

Quoi qu’il en soit, ce cours de Bourdieu ne laissera personne indifférent, ne serait-ce que par l’érudition dont il témoigne.

Laurent Etre


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