« MÉLENCHON EST EN CONCURRENCE AVEC HOLLANDE POUR ÊTRE EN TÊTE AU SOIR DU PREMIER TOUR »

vendredi 20 avril 2012.
 

La fin de campagne est bonne, pour Jean-Luc Mélenchon. Le candidat du Front de gauche a encore rassemblé une large foule, jeudi soir, à Toulouse. Celui qui semble bien devenir le troisième homme de la présidentielle complique le jeu pour François Hollande. Si le ton s’est tendu entre les deux équipes à plusieurs reprises, on note cependant ces derniers temps un certain réchauffement. Par Public Sénat.

Plusieurs élus du PS, comme la sénatrice Marie-Noël Lienemann sur publicsenat.fr ou Arnaud Montebourg, ont exprimé leur souhait d’ouvrir des discussions avec le Front de gauche pour les législatives. Le président PS du Sénat, Jean-Pierre Bel, a salué jeudi le « talent » de l’ex-sénateur et a promis un « vrai dialogue ». Le sénateur-maire de Lyon Gérard Collomb a certes comparé son « modèle » à celui pratiqué jadis en URSS ou au Cambodge, avant de se rattraper, voyant en lui « un démocrate et un républicain ». François Hollande lui-même reconnait qu’il doit « entendre des messages » d’une « colère » qu’il peut « comprendre ». Le candidat PS a de nouveau attaqué la finance, mercredi, lors de son meeting à Rennes avec Ségolène Royal. A l’inverse, du côté de Jean-Luc Mélenchon, on évite les noms d’oiseaux ces derniers jours.

Alors doit-on y voir un infléchissement ? Un prélude à de futurs rapprochements, après la présidentielle ? Pour Eric Coquerel, secrétaire national du Parti de gauche et conseiller spécial de Jean-Luc Mélenchon, le compte n’y est pas. « Nous regardons les mesures de François Hollande. Ça ne nous satisfait pas. Sur le concret, il n’y pas d’évolution », note-t-il. « Une politique de rigueur rend impossible une politique de gauche ». Il ajoute : « François Hollande n’a toujours pas pris la mesure qu’aujourd’hui, c’est fini, il n’y a plus qu’une seule force à gauche, mais deux grandes forces ». Entretien.

Avez-vous ressenti ces derniers temps un ton plus conciliant au PS à l’égard de Jean-Luc Mélenchon ? Par exemple, le président du Sénat Jean-Pierre Bel a salué son « talent » et a promis un « vrai dialogue »…

Ça dépend de qui. Quand Gérard Collomb nous traite de Khmers rouges, ce n’est pas très conciliant. Notre progression fait débat au PS. Les réactions diffèrent. Celui qui fait la synthèse de ces contradictions, c’est Arnaud Montebourg. Il en est le reflet. A un moment, il dit qu’on peut négocier, à d’autres il prône le vote utile. Il est le chaud et le froid à lui tout seul. Quant à Jean-Pierre Bel, c’est clair qu’il n’est pas le plus virulent des socialistes à notre encontre. Il a toujours eu de bons rapports avec Jean-Luc Mélenchon. Mais je ne suis pas sûr qu’il donne la ligne du PS. On peut toujours se rattacher à des phrases plus ou moins sympathiques, les socialistes sont divers. Sur le terrain, certains disent qu’ils vont voter pour nous. Mais ça ne fait pas la ligne du candidat. On entend la parole de François Hollande et de ses conseillers.

Lors de son meeting à Rennes, François Hollande a dénoncé de nouveau le libéralisme, la mondialisation sans limites. Il a affirmé que l’eau n’était pas une marchandise comme une autre, reprenant un thème de Mélenchon. Ne s’agit-il pas de signaux encourageants pour vous ?

Depuis le Bourget, il y a des signaux là-dessus. Il a quand même compris qu’il y avait une poussée à gauche. Mais concrètement, est ce qu’il s’est engagé sur les services publics, à contredire les socialistes qui, au Parlement européen, ont voté l’ouverture totale de la concurrence sur le ferroviaire ? Est-ce qu’il s’engage à désobéir sur ce point ? Même Nicolas Sarkozy a dit que la finance en faisait trop. Pourtant, il fait une politique en faveur du système financier. Donc nous regardons les mesures de François Hollande. Ça ne nous satisfait pas. Sur le concret, il n’y pas d’évolution.

N’y a-t-il aucun point qui peut, à vos yeux, aller dans le sens d’un accord pour les législatives ?

Non, pour l’instant, on ne voit pas de signes significatifs qui pourraient montrer que sur des points structurels, il y aurait possibilité de négocier. Il continue à dire que son programme sera à prendre ou à laisser. Pierre Moscovici a dit que le programme d’un Président ne se négocie pas, ou éventuellement après les législatives. Sur ses premiers 100 jours, François Hollande ne parle pas du Smic. Dès qu’une question sociale est soulevée, il renvoie à des conférences… C’est le cas sur la retraite à 60 ans alors qu’une gauche digne de ce nom devrait abroger la réforme Sarkozy-Fillon d’entrée. Sur tous les points importants de notre programme, il n’y pas d’infléchissement. Et puis il y a la politique de rigueur. Il dit qu’on va redresser les comptes d’abord et partager ensuite. Le problème c’est qu’une politique de rigueur rend impossible une politique de gauche.

François Hollande n’a toujours pas pris la mesure qu’aujourd’hui, c’est fini, il n’y a plus qu’une seule force à gauche, mais deux grandes forces. On verra qui sera en tête. Le PS ne s’est pas rendu compte de ce qui se passait. Paradoxalement, Nicolas Sarkozy s’en rend compte. Il a critiqué notre programme hier. Cette fois il n’est plus question de rendre hommage à Jean-Luc Mélenchon, il tape et cela nous va. Il apparait que notre programme obéit effectivement à une cohérence inverse à celle que défend le candidat de la droite.

Les discussions ne seront-elles pas plus faciles avec François Hollande après les législatives ?

Il faut lui demander. On compte sur le fait pour l’instant d’être en tête au premier tour. Et si jamais c’est François Hollande, il serait quand même étonnant que d’une manière ou d’une autre il n’y ait pas un signe concret pour rassembler, non pas au gouvernement, car là il y a trop d’écart, mais au moins un signe concret pour créer la dynamique au second tour.

Il y a les législatives derrière : depuis des mois on demande à négocier sur les 90 circonscriptions où il y a un risque que la gauche soit éliminée au profit d’un duel droite-extrême droite au deuxième tour. En février, ils ont stoppé les discussions. Pour eux, il faut un accord politique qui inclut le vote du budget. Mais il est hors de question de s’engager à voter un budget de rigueur. Est-ce que le PS maintiendra sa position si on est par exemple à 15% ou plus ? Là ce serait un signe concret. Si le PS voulait montrer qu’il comprend qu’il y a la nécessité de reconnaitre les électeurs du Front de gauche, sans pour autant qu’il y ait un accord programmatique, ce pourrait être un signe et une reconnaissance à donner en bougeant sur cette question des circonscriptions. La réalité, c’est qu’il y a désormais deux grandes forces à gauche : le PS ne peut plus faire comme s’il y avait lui et des satellites.

Mais les discussions sur les législatives s’étaient interrompues après que Jean-Luc Mélenchon avait comparé Hollande à un « capitaine de pédalo ». Depuis quelques jours, on a l’impression qu’il évite de l’attaquer trop brutalement. Pour ne pas insulter l’avenir ?

Vous avez des moments de campagne différents. Quand Jean-Luc Mélenchon a dit cela, c’était un moment où François Hollande rentrait en campagne sur une base droitière ou d’accompagnement. Nous devions marquer nos différences entre son programme et celui du Front de Gauche. C’était une image qui nous permettait de le caractériser. Notez que nous aurions préféré en débattre publiquement ce qu’il a toujours refusé. Et il faut voir qu’à l’époque, Jack Lang a dit quasiment qu’on faisait les affaires de Sarkozy. Jean-Paul Huchon nous a comparés à Le Pen… Les paroles agressives venaient aussi d’eux.

Mais aujourd’hui, vous faites attention ?

Non, on est dans autre moment de campagne. Les programmes sont maintenant connus et le rapport de force avec le PS s’équilibre. On est dans la capacité à être éventuellement au deuxième tour. On est principalement sur l’affrontement avec Marine Le Pen. Et on renforce notre critique sur le programme de Nicolas Sarkozy aussi. Nous n’avons d’ailleurs jamais cessé de le faire mais les médias font peut-être plus attention. Lui même nous cite dans ses conférences de presse pour nous attaquer. On est en concurrence avec le PS pour être en tête au soir du premier tour. Et nous sommes l’adversaire de la droite et de l’extrême droite pour battre la première et devancer la seconde au premier tour.

Vous pensez sérieusement pouvoir passer devant François Hollande ?

Ce n’est pas le scénario le plus probable, mais il existe. On a gagné 5 points dans les sondages en un mois. Sur le terrain, c’est assez énorme. Les sondages peuvent continuer à nous sous-estimer. Depuis hier, la campagne a changé : en nous attaquant, Nicolas Sarkozy a démontré qu’il y avait bien deux candidats à gauche en capacité de l’affronter au deuxième tour. Mais la priorité, c’est d’être devant le Front national. Ce serait un service pour la gauche et le pays.

Le PS éliminé de nouveau du premier tour, ce serait une forme de cataclysme…

Peut-être pour le PS, mais pas pour la gauche. Il n’y pas une loi naturelle qui dit que le PS est voué à être toujours la première force de la gauche.

Si Nicolas Sarkozy vous attaque, n’est-ce pas aussi son intérêt, en espérant affaiblir François Hollande par votre montée ?

Je n’ai pas l’impression que ses attaques soient faites pour nous plaire. Toute la gauche progresse quand on progresse. Sur les 5 points que nous avons gagnés, pour l’instant on en prend peut-être que 1 sur Hollande. On grossit le total gauche.

Reprendre votre proposition d’un Smic à 1700 euros, ce serait un bon signe de la part du PS ?

On a quelques grands marqueurs : la question de la politique de rigueur, du partage de la richesse avec le Smic, il y a la retraite à 60 ans, la planification écologique, avec des services publics fortifiés, la question du référendum sur le nucléaire, la sortie du commandement intégré de l’Otan et le traité européen. Ce n’est pas avec une mesure sortie du chapeau que cela pourrait nous permettre de gouverner ensemble. C’est par un changement de ligne programmatique. Là je suis plus que sceptique : je ne vois pas François Hollande abandonner une ligne qu’il défend depuis des années et à laquelle il croit. Mais nous avons toujours dit que nous étions ouverts au débat public. Pour le moment constatons que le PS est sur la position du « à prendre ou à laisser » ce qui est une négation des rapports de force politiques issus des urnes. En réponse on a toujours dit : « Dans ce cas on laisse ». C’est donc au PS qu’il faut poser la question, pas à nous. C’est pour cela que nous estimons être de bien meilleurs rassembleurs de la gauche au deuxième tour.


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