Le Front de Gauche est un petit miracle politique dû à une volonté humaine. La nôtre

lundi 9 juillet 2012.
 

Ces temps, je lis aussi des analyses critiques du score du Front de Gauche aux élections législatives. Il est naturel, et utile, qu’une séquence de cette ampleur soulève sa masse de regards croisés. Je m’instruis donc. Ici, là, je m’imprègne. Je fais l’éponge, selon mon usage intellectuel favori. Une bonne source pour moi, comme d’habitude, est dans ce blog même, à la rubrique des commentaires. Les lecteurs attentifs en trouvent la trace dans mes notes, par-ci par-là. En voici une nouvelle illustration. Car à cette heure, parmi les nombreuses constructions et hypothèses formulées, sans oublier les fulgurances des apophètes (prophétie à propos du passé : « J’ai dit il y a huit mois, que trois mois plus tard on verrait bien…. »), je me suis réjoui d’une idée proposée par un commentateur de ce blog. Une idée simple et roborative. Pour être honnête, elle recoupe ce que j’en avais dit moi-même en réunion à des camarades dont certaines fresques définitives me saoulaient légèrement. Comment aurions-nous pu faire mieux dans ces élections législatives ? C’était élémentaire mon cher Watson. A l’élection suivante mieux vaut récupérer au moins les voix de la précédente.

C’est le cas à propos des 3 984 822 électeurs du candidat du Front de Gauche à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, votre serviteur. Ils ne sont pas tous revenus voter aux législatives. Loin s’en faut. Les causes sont multiples, cela va de soi. Et parmi elles une culture qui résume tout à l’élection présidentielle. Elle est dorénavant entrée largement dans les mœurs y compris dans nos rangs. Et elle n’est pas sans fondement dans le cadre de la Vème République. J’en ai largement traité dans ma précédente note à propos de l’analyse de l’abstention. On ne peut faire l’économie de cette perte en ligne.

Ma situation est singulière. Je me sens comptable de l’élan que ma candidature à la présidentielle a pu mettre en mouvement. Je crois que ce serait une bêtise de plus que de vouloir tourner la page de cette campagne, chaque composante « reprenant ses billes » avant de nouvelles tractations d’appareil et d’identité. D’autant que le deuxième rideau de ce débat ne peut rester masqué sans provoquer les dégâts que l’ambiguïté génère toujours. La question de savoir si nous sommes dans la majorité ou l’opposition s’imposera à nous. Elle est réductrice ? En tous cas elle l’est à cette date, alors que le sens de l’action du nouveau gouvernement n’est pas bien défini aux yeux du grand nombre. Et surtout si elle nous divise nous ne gagnons rien a en faire un thème de controverse abstraite. Il faut nous donner un espace d’action positive. Pour cela nous devons choisir nos mots pour désigner par nous-même notre place. J’ai proposé le concept d’autonomie conquérante pour définir notre positionnement. Selon moi, nous ne sommes pas membres de la majorité présidentielle car nous ne sommes nullement liés au programme de François Hollande. Nous ne devons pas voter la confiance au gouvernement Ayrault. Pour autant il ne faut pas l’empêcher de s’installer. Si j’étais député je m’abstiendrais à l’Assemblée. Pierre Laurent a exprimé la même appréciation. Nous sommes donc synchrones à l’heure de rendez-vous concrets. C’est cela qui compte.

Notre plus grande erreur serait d’oublier nous-mêmes, pour d’obscures disputes de responsabilité notre résultat global ! Car enfin, nous avons tout de même progressé ! De 600 000 voix par rapport au score des communistes aux élections législatives précédentes, en 2007. Nous faisons plus de voix mais nous avons moins de sièges. Voilà le scandale. Pourquoi relativiser ce fait ? Pourquoi céder aux sirènes médiatiques et socialistes qui veulent faire de notre résultat un « échec » ? Dans nos rangs, c’est assez clair. Il y a des nostalgiques de la gauche plurielle, et des partisans d’un accord avec le PS. Cette position est parfaitement légitime. Je veux dire qu’on a bien le droit de le proposer et même de le penser. Mais on a aussi le devoir, quand on n’est pas d’accord avec, de pointer que ces deux positions ont intérêt à dénigrer les résultats de notre stratégie d’autonomie à l’égard du PS. C’est la ligne de Robert Hue. Mais Robert Hue n’est plus membre du PCF et son mouvement n’est pas membre du Front de Gauche. Je comprends parfaitement que continue au PCF le débat avec lui. Ce débat est légitime compte tenu de son influence parmi les communistes de base et parmi ceux du sommet. Ce n’est pas mon affaire d’ailleurs, je l’admets sans problème. Pour autant je ne me sens pas tenu aux mêmes égards ni précautions. C’est bien mon droit aussi. D’autant que Robert Hue a été d’une constante violence, méprisante à mon égard, avant, pendant et après la campagne présidentielle. Tout ceci nous fait perdre du temps par rapport au cœur de la difficulté qui s’impose à nous. A nous tous, nous les tenants de la ligne d’un Front de Gauche autonome et conquérant.

A côté de notre progression il y a aussi un autre fait contrariant mais essentiel. Le voici : nous avons également perdu deux millions de voix depuis l’élection présidentielle. Il n’y avait pas de fatalité à cela. La preuve : pour ma part, j’ai gagné des voix depuis la présidentielle dans la 11ème circonscription du Pas-de-Calais. Et je ne suis pas le seul candidat du Front de Gauche dans ce cas. François Delapierre aussi, André Chassaigne de même. Il y en a d’autres et je leur demande pardon de ne pas tous les citer. Ce n’est pas un détail. Que ce serait-il passé si nous avions convaincu l’ensemble de nos électeurs de la présidentielle de renouveler leur vote pour le Front de Gauche aux législatives ? Nous. Je veux dire nous, le Front de Gauche, sans compter sur une remontée mécanique de la participation. Juste nous, comme un effet d’un travail politique d’éducation et de motivation populaire de notre propre électorat. Alors, le résultat aurait été tout autre. Il aurait été extraordinairement différent. Notre score national eut été de 14.16%. Du coup, celui du PS aurait été de 26.94%. L’UMP serait à 24.55%, le FN à 12.7% et EELV 5.78%. Nous aurions ainsi, à la fois, fait reculer l’abstention de 5 points et battu le FN. Rien de moins. Comment se fait-il que cela ne se soit pas fait ? Parce que nous avons été trop critique avec le PS ? Parce qu’on nous reprochait d’être trop « Front de Gauche » ? Parce qu’on nous reprochait d’être « obsédés » par le Front National ? Poser la question c’est un peu y répondre.

Voici venu le moment d’élargir le coup d’œil. Il faut regarder de haut le moment pour en saisir les traits qui comptent pour l’avenir. Nous venons de clore un cycle politique complet. La présidentielle puis les législatives après quatre autres séquences électorales menées en commun, contre vents et marées, c’est davantage qu’un calendrier. Ce temps a été fondateur. Il s’achève par la renaissance du courant politique riche de divers rameaux qui ont su s’accorder pour proposer une alternative à la social-démocratie. D’une élection présidentielle à l’autre, méthodiquement nous avons réglé le compte des problèmes politiques qui cantonnait « l’autre gauche » dans un rôle de figuration folklorique. Je sais mieux que d’autres la fragilité de tout cela, bien sûr. Nous marchons sous la menace de l’écueil gauchiste comme sous celle de la bascule dans l’orbite socialiste. Sans oublier la maladie sénile du gauchisme qu’est la ratiocination des aigreurs et la délectation morose des « je vous l’avais pourtant annoncé ». Quoiqu’il en soit, on doit s’accorder un moment pour faire une évaluation de l’objet politique que nous avons constitué.

Cette évaluation est une nécessité. Il s’agit en fait d’une mise en mot de ce qui est déjà et qui a fonctionné en dépit d’innombrables scepticismes, railleries et mises en garde. A mesure que le temps a passé, nous avons stabilisé l’idée que nous nous faisons du Front de Gauche. Nous ne sommes pas partis pour cela de scénarios abstraits ou de colloques savants, et moins encore des textes définitifs et savants des stratèges en pantoufles, mais de la pratique réelle du Front de Gauche. Car le Front de Gauche est d’abord une stratégie d’action, avant même d’être un cadre formel, une organisation. Il en est ainsi depuis les premières heures et cela pour des raisons strictement concrètes.

Au départ, c’est-à-dire à la fondation du Front de Gauche, il y avait deux visions sous le même label. D’un côté les dirigeants communistes. Ils y voyaient une concrétisation de leur mandat de congrès. Celui-ci fut rappelé à maintes reprises. Il établissait que les communistes formeraient des « fronts ». Le mot était au pluriel. Ce pluriel signifiait que les composantes et les objectifs de tels « fronts » étaient censés varier selon les circonstances à affronter, dans les luttes et dans les urnes. De l’autre, chez les fondateurs du Parti de Gauche, il y avait la théorie du modèle « Die Linke ». Ici c’était le singulier. L’idée était de constituer au plus vite un parti fusionné. Inutile de souligner qu’entre les deux interprétations il y avait un très large espace politique et même une franche contradiction. Au premier coup d’œil les deux thèses sont inconciliables. Combien d’observateurs ne nous ont-ils pas régalés de sarcasmes ! Pourtant il n’y a eu aucun blocage. Au final ni l’une ni l’autre des deux doctrines ne fut mise en œuvre. Les deux le furent en même temps, en quelque sorte. Comment cela a-t-il été possible ?

L’avantage essentiel des deux formules est qu’elles n’étaient pas figées dans l’esprit de leurs concepteurs. Peut-être parce que pour des raisons diverses et du fait des exemples internationaux il était évident que nous étions condamnés à nous entendre. La peur de la bascule dans le néant a été bonne conseillère. D’étape en étape nous avons cherché les points de passage communs dans l’action, sans surévaluer l’écart qui restait à combler sur le plan doctrinal.

Cette ouverture ne fut pas le problème. Ce fut au contraire la voie de passage de la solution. Ce n’est pas un débat théorique qui a tranché, mais la pratique. La question se résuma à savoir comment on appellerait notre liste aux élections européenne. On combina les deux idées. La liste s’appela donc « Front de gauche pour changer d’Europe ». « Front de Gauche » suggérait un modèle d’organisation, « pour changer d’Europe » reprenait l’idée d’un front conjoncturel. Cet assemblage ne signifiait pas un compromis mais une façon de laisser ouverte toutes les pistes pour l’avenir. On se disait qu’on verrait bien quelle conclusion chacun tirerait des résultats. Comme on s’en souvient le résultat fut spectaculaire. Il y avait deux sortants communistes, il y eu quatre entrants Front de Gauche. La méthode d’approximation et d’expérimentation successives fut conservée au fil des élections. La première tentative pour organiser des adhésions individuelles ne passa pas la rampe du congrès extraordinaire du PCF de juin 2009 où l’idée, pourtant convenue en réunion commune, et relayée par Marie-George Buffet, fut repoussée par un vote des congressistes communistes. L’obstacle psychologique était précisément l’idée que cela créerait une organisation pérenne se substituant aux organisations fondatrices. On continua donc de façon pragmatique, au cas par cas, d’une élection à l’autre, d’une lutte et d’une manifestation à l’autre. A mesure, le Front exista à la fois comme entité distincte des partis qui le composaient mais avec un fonctionnement réel de cartel. A la base, sur le terrain, selon les départements et même selon les localités, l’existence et l’intégration du Front variaient du tout au tout. Cette bigarrure a duré et dure encore. Mais elle change de nature de plus en plus profondément. Dans les faits s’installent des modes de fonctionnements très divers liés aux circonstances et aux personnalités davantage qu’à quoi que ce soit d’autres. Cette diversité des approches et des pratiques ne résulte en effet jamais de grands débats théoriques. Elle combine toutes sortes de paramètres politiques culturels et souvent même très personnels. Jamais ce processus de mise en place du Front n’a été ni théorisé ni même mis en mots. L’extension des domaines d’action du Front qui s’est opérée pendant l’élection présidentielle a procédé de la mêle démarche pratique. Nous n’avons pas créé par exemple, « le Front de gauche de la culture » ou le « Front de Gauche des luttes » pour autre chose que pour remplir une tâche électorale avec l’idée que nous nous faisons de cette tâche. Et nous ne l’avons pas fait autrement qu’à partir de personnalités qui se sont avérées capables de porter concrètement ces démarches. Et dès que ces outils se furent mis en place de cette façon, ils produisirent une dynamique, des pratiques et des contenus qui en modifièrent complètement le sens prévu. Une évolution qui enrichit le projet déborda le cadre et rallia d’autant plus largement qu’il n’avait pas commencé par autre chose qu’une mise en mouvement. S’il avait fallu d’abord décrire et s’accorder sur la définition du cadre et de ses fondamentaux on y serait encore.

Dès lors, voici ce que l’on peut dire : c’est en s’auto-construisant que le Front se définit. Pour ma part je suis très attaché à cette démarche pragmatique. Pour être franc, je ne crois à aucune autre. Pour finir, le Front de Gauche n’est ni un simple bail électoral reconductible ni un parti unifié. Il en est ainsi non pas parce que nous en avons délibéré expressément mais parce que les circonstances et nos décisions intermédiaires nous ont ouvert un autre chemin. Il suffisait de vouloir avancer vers la même ligne d’horizon et de laisser à chacun une chance pour sa thèse. Cette logique « floue », pour reprendre un terme scientifique, a produit son résultat cent pour cent opérationnel. J’en déduis qu’il n’y pas d’autres méthodes praticables pour nous dans cette phase. Par conséquent, à cette étape la question à se poser n’est pas qu’est-ce que le Front de Gauche ni même comment le construire. La question est : quelles sont nos tâches ? A quoi pensons-nous qu’il faut s’atteler ensemble ?

La vocation du Front de gauche n’est pas de gérer un patrimoine électoral ou bien une image de marque ou encore la sympathie pour un sigle. Ses soutiens comme toute la situation sont volatils. Il faut en tirer toutes les conséquences. Le Front de Gauche n’a de sens que par son action. Nous sommes donc tous en phase comme en témoigne notre calendrier de travail commun à commencer par l’organisation de nos estivales citoyennes de cet été. Les secousses de la discussion sur le bilan de la séquence législative ne doivent pas être abandonnées aux surenchères que la fatigue de fin d’année provoque aussi parfois. Une véritable meute campe à nos portes, prête à bondir à toute occasion pour se jeter sur la première faille interne qui apparaîtrait. Depuis quatre ans il en est ainsi à chaque étape. Avant on nous dit que ça ne marchera pas. Pendant on nous dit que ça ne marche pas aussi bien que ça en a l’air. Après on nous dit que ça n’a pas marché comme prévu et que nous sommes voués à nous déchirer. Une telle pression rend très difficile la discussion franche. Mais elle ne la rend pas impossible à condition de la mener sans bouc émissaire et sans infaillibilité auto-proclamée.

Ni homme providentiel, ni parti guide, ni secte bavarde. Le Front de Gauche est un petit miracle politique. Mais ce miracle ne doit rien au surnaturel. Seulement a une volonté humaine. La nôtre. Notre Front sort de l’épreuve plus grand, plus fort, n’en déplaise à ceux qui ne savent pas compter les bulletins de vote ni mesurer l’affection et l’adhésion conquises de haute lutte et par l’exemple ! Quand à savoir si nous sommes de la majorité ou de l’opposition devant le gouvernement socialiste, la question va être réglée de toute façon par le comportement et les choix du nouveau gouvernement. Je suis d’accord pour que tous les points de vue aient leur chance une nouvelle fois. Mais je n’ai pas de doute en ce qui me concerne quand je mets bout à bout ce qui est dit et fait depuis trois mois. A la fin de la semaine du carambar je suis surtout ulcéré.


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