Le Front de gauche doit promouvoir une solidarité sans concession

mercredi 5 septembre 2012.
 

Il ne s’agit pas d’une crise (réparable) mais d’un aboutissement logique du fonctionnement capitaliste. Les forces économiques et gouvernementales poussent « globalement » dans le même sens  : «  sauver  » le système – soit alimenter la spéculation, restaurer la «  croissance  » (de quoi et pour qui, au fait  ?), faire payer les plus faibles (les plus nombreux), privatiser à tour de bras, supprimer les services et attenter à l’idée même de «  bien public  » (l’éducation, la justice, la santé, la Sécurité sociale, l’énergie, les transports, l’argent…), désamorçant ainsi la résistance. Nous appartenons à un monde dont les ressources sont en quantité finie  : et nous piochons depuis longtemps dans nos réserves – au point que les spécialistes estiment que nous exploitons la biosphère à 150 %. En d’autres termes, nous vivons dans une «  bulle biosphérique  » comme la finance dans sa bulle spéculative il y a peu. D’autant que la Chine, actuelle pourvoyeuse de fonds sur le marché, s’est à son tour installée dans une telle bulle des subprimes, utilisant, dans sa fuite en avant, les mêmes recettes qui ont fait long feu dans le reste du monde. Ce n’est pas une crise, mais les conséquences vont être dramatiques – même si les plus riches profiteront plus longtemps des miettes (l’avion et la voiture…).

Il y a urgence. Le temps n’est plus à la «  relance  » économique, à l’industrialisation à tout prix, pas plus qu’aux conceptions dominantes de l’économie, celles qui régissent y compris notre pays  : sur cette base, non seulement il n’y a pas d’issue à l’impasse actuelle, mais la répétition des mêmes pratiques, si elle parvient à ajourner les échéances, n’empêche pas leur retour toujours plus grave.

C’est dans ce contexte que nous devons apprécier la situation française et la signification du Front de gauche. Électoralement parlant, le décryptage des statistiques montre une progression depuis 2007, mais le résultat est compromis par le type d’élection et l’absence de proportionnelle. Faut-il le regretter absolument quand la correction donnerait environ 80 députés au Front national contre 35 au Front de gauche  ? Ce rapprochement suffit d’ailleurs à nous rappeler que la progression en voix ne prouve pas que nous ayons raison sur le fond, pas plus que l’échec en sièges ne prouve que nous ayons tort  ! Les Verts ont choisi d’échanger leur âme contre un plat de lentilles. Ce constat, s’il était nécessaire à quelqu’un, montre que le Front de gauche, que nous le voulions ou non, demeure la seule possibilité de faire exister une alternative, pas seulement une alternative de gauche, en vue des prochaines échéances électorales, mais le moyen de construire et de proposer la politique dont le monde a besoin pour se survivre.

La dégradation du vivre ensemble atteint des limites insupportables  : l’égoïsme, la violence, la négligence, le mépris du bien commun, le racisme, la xénophobie, etc., ne sont pas les caractéristiques de jeunes et moins jeunes mal éduqués ou étrangers aux «  valeurs de la France  », mais le résultat de cette dégradation – quand la seule valeur reconnue et soutenue est celle de l’argent pour l’accroissement d’une richesse qui ne profite socialement qu’à de moins en moins de personnes. Le premier effort doit porter sur la restauration de la politique elle-même, dont il s’agit de montrer qu’elle n’est pas synonyme de «  politique économique  », mais d’organisation d’un vivre ensemble désirable  !

Le Front de gauche doit proposer une nouvelle donne  : promouvoir une solidarité sans concession. Il ne s’agit pas de partir de l’idée qu’il faut bien que la majorité des gens fassent des sacrifices pour sauver le système «  qui bénéficie à tous  », mais au contraire de partir de ce que, en aucun cas, nous ne toucherons à ce qui attenterait à la dignité d’un seul  : il est temps de s’apercevoir que l’humanité est fabriquée d’exceptions, et que c’est sur la préservation de ce qui fait la singularité de chacun qu’un lien social viable est constructible. Concrètement, il ne s’agit pas de sacrifier les Grecs (et d’autres ensuite, n’en doutons pas) à l’Europe, mais d’être attentif au plus démuni là où nous le rencontrons (le comble est de se servir de la crise grecque pour inviter les pauvres d’ailleurs à s’estimer heureux  !).

Dès lors, le partage du travail, la répartition des richesses, la modification du système bancaire, la nationalisation de l’argent, la retraite à soixante ans, la Sécurité sociale pour tous, la restauration des services publics, le droit au logement, à l’école, à l’université, etc., rien de cela ne se discute  !

Ce n’est pas réaliste  ? Mais qu’appelle-t-on ainsi  ? Regarder calmement les gens se noyer, un par un, selon les prédictions  ? Il ne s’agit pas non plus d’attendre que l’autre fasse le premier pas (plonge le premier)  : il ne le fera peut-être jamais. Il convient que chacun fasse le pas dont il est capable quand il doit le faire. Il convient donc que le Front de gauche se fasse confiance à lui-même. Et à quelques autres  : un réseau des Fronts de gauche semble déjà mailler l’Europe et au-delà.

Dans un entretien récent, Dennis Meadows mettait la situation actuelle, entre autres, au compte du fait que l’humain serait déterminé à éviter le danger  : et c’est ce qu’il ferait encore, non seulement fuir, mais mettre un écran sur le danger imminent pour continuer à dormir tranquille. Il y a eu de cela dans le fait que nombre d’électeurs potentiels du Front de gauche ont voté PS au dernier moment  : «  jouant la sécurité  », «  votant utile  », soit en jetant un masque sur la situation et les réactions qu’elle appelle.

Au même moment, la biologie nous enseigne que l’humain serait déterminé à être indéterminé  : ce point d’indétermination est celui qui est requis pour que nos actes ne soient pas le simple résultat mécanique d’un jeu de forces ou d’un calcul, mais l’affirmation de notre responsabilité. Et de cela nous pouvons nous servir pour autre chose que nous voiler la face. Maintenant.

Marie-Jean Sauret


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